Le chantre du livre

Moussa Konaté, directeur du festival Étonnants Voyageurs de Bamako, se bat pour promouvoir la lecture. Portrait d’un militant.

Publié le 8 mars 2004 Lecture : 3 minutes.

« Le livre est un outil indispensable au développement du Mali. Il véhicule un savoir. Aucun pays ne s’est développé sans l’appropriation du livre », explique Moussa Konaté, voix grave et silhouette élégante. Et Internet ? « Au Mali, où il faut deux ans pour ouvrir une ligne téléphonique, ce n’est pas d’actualité. »
Né en 1951 à Kita, le petit Moussa n’a pas 10 ans quand il découvre Tintin, mais aussi Sade et Marx. « J’ai lu enfant des livres que j’étais trop jeune pour comprendre », raconte- t-il. « J’ai eu la chance incroyable de grandir dans une maison avec une bibliothèque familiale. » L’esprit forgé par les classiques – Dostoïevski est son auteur favori -, il a tout juste 24 ans quand il termine son premier roman, Le Prix de l’âme. Il est en dernière année à l’École normale supérieure de Bamako et s’apprête à devenir enseignant. En 1984, il quitte l’éducation nationale pour écrire. Un choix audacieux dans un pays où personne ne vit de sa plume ; une « inconscience totale », admet-il aujourd’hui. « J’ai connu la vraie misère, et ma traversée du désert a duré six ans. Mais j’avais la foi. Rien n’aurait pu m’empêcher d’écrire. » Peu à peu, talent et volonté lui permettent de se tailler une notoriété, notamment grâce aux pièces de théâtre qu’il écrit et met en scène.
En 1997, nouveau combat. Celui qui soutient que « lire, c’est grandir » décide de créer sa propre maison d’édition, Le Figuier, spécialisée au début dans la littérature de jeunesse. À l’époque, aucune banque ne lui fait confiance, et il se lance dans l’aventure avec les 15 000 francs français qu’il a économisés sur ses droits d’auteur. « Aux impôts, ils ne savaient même pas sous quel titre inscrire la société, l’édition ça n’existait pas », s’amuse-t-il.
En dépit des obstacles – frais de transport, coût de l’électricité, inexistence du réseau de distribution -, il remporte son pari. En sept ans, Le Figuier a publié près de 120 titres de littérature générale. Les tirages sont faibles, de 1 000 à 1 500 exemplaires, mais certains livres sont désormais diffusés en dehors du Mali, en France et dans la sous-région.
L’audace ne s’arrête pas là. Avec sa maison d’édition, Moussa Konaté s’engage dans la bataille pour la promotion des langues nationales, publiant aussi bien en français qu’en bambara, peul, tamashek, songhaï, soninké… Au Mali, où à peine 10 % de la population parle français, il estime que « c’est une question de bon sens », car « on ne peut ignorer 80 % des Maliens ! ». D’autant, précise-t-il, que « ces publications sont celles qui marchent le mieux et aident l’édition en langue française ».
Cette diversité, il réussit cette année à l’intégrer aux ateliers-débats du festival du livre Étonnants Voyageurs, fondé en 2001 avec le français Michel Le Bris et dont la 4e édition s’est déroulée du 23 février au 1er mars à Bamako et dans plusieurs villes de province. « J’ai été submergé de demandes, plusieurs écrivains maliens complètement ignorés ont vu dans notre initiative une réelle opportunité. Ils se sont rendu compte qu’ils pouvaient être utiles. » Même succès du côté des écoles, partenaires du festival : « Avant, nous devions démarcher les écoles. Cette année, nous ne pouvons répondre à toutes les demandes. Et je reçois de plus en plus de manuscrits de jeunes auteurs. » Des signes positifs qui témoignent, selon lui, d’une meilleure implantation du livre au Mali. L’année 2003 a d’ailleurs été un bon cru pour la littérature nationale : « Trois romans d’auteurs maliens ont été publiés en France, c’est du jamais vu depuis les années 1980. »
Reste que le métier d’écrivain, sa « bouée de sauvetage », n’est toujours pas reconnu au Mali. « Ici, les auteurs ne bénéficient ni d’audience ni de réconfort moral. La solitude est nécessaire pour écrire mais, dans notre société communautariste, le besoin d’isolement n’est pas compris. » Raison pour laquelle, en 1999, peu de temps après son mariage et la naissance de ses deux enfants, il s’installe en France, à Limoges. Pour cet intellectuel, l’un des rares à n’avoir jamais suivi d’études à l’étranger, l’exil est une décision douloureuse. Aujourd’hui il « flotte » entre deux terres et enchaîne les allers-retours. « J’ai hâte de pouvoir à nouveau me consacrer entièrement à l’écriture », concède-t-il. Ce d’autant qu’il doit terminer le troisième tome de sa série policière sur le commissaire Habib (L’Empreinte du renard) et un roman. À paraître courant 2004.

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