L’ami américain

Pour Washington, Nouakchott est désormais un allié de poids dans la lutte contre le terrorisme. Maaouiya Ould Taya a tout de suite vu l’intérêt que son pays pouvait tirer de cette nouvelle donne.

Publié le 8 mars 2004 Lecture : 4 minutes.

Chaque semaine ou presque depuis le début de cette année 2004, dans son vaste bureau du troisième étage de la nouvelle présidence aux tons gris livrée clés en main par les Chinois, Maaouiya Ould Taya reçoit une délégation venue de Washington. Généraux, sous-secrétaires d’État, spécialistes du renseignement et de l’antiterrorisme, ambassadeurs itinérants, émissaires du Commandement des forces américaines en Europe, hauts fonctionnaires de l’Otan : tous semblent avoir fait de Nouakchott une étape obligée sur le parcours de leurs tournées maghrébines ou ouest-africaines. Chapeau texan enfoncé sur le crâne, l’ambassadeur des États-Unis Joseph Lebaron est devenu une figure familière de la capitale, où il sponsorise volontiers des conférences sur des thèmes aussi sensibles que « Le rôle de l’armée dans une société démocratique ».
Dans cette République islamique à part, où l’État d’Israël entretient une ambassade et où les Peace Corps ont pignon sur rue, les Américains se sentent désormais presque comme chez eux. Certes, le département d’État continue de diffuser des conseils de prudence à ses ressortissants en raison de « menaces non spécifiées » pesant sur leur sécurité. Mais, à la différence de la situation qui prévalait il y a une dizaine d’années, au sortir de la première guerre du Golfe, Nouakchott est résolument dans le même camp que Washington : celui de la lutte tous azimuts contre le terrorisme.
Cette conjonction, qui fait de la Mauritanie d’aujourd’hui un pays d’importance géostratégique réelle aux yeux de l’administration américaine, est le fruit d’une double évolution. Celle des autorités de Nouakchott tout d’abord. Réaliste, volontiers anticipateur, Maaouiya Ould Taya sait qu’il préside aux destinées d’un pays poreux, ouvert aux influences, hospitalier pour le meilleur et pour le pire. Nombre d’islamistes radicaux venus du Maghreb et du Golfe y ont un moment trouvé refuge et, aujourd’hui encore, une tendance religieuse dure, menée par l’activiste Jemil Ould Mansour, évolue dans le sillage de Khouna Ould Haïdallah, ancien président et candidat malheureux au scrutin de novembre 2003.
Des connexions avérées existent entre cette mouvance islamiste mauritanienne et les putschistes du 8 juin 2003, dont certains sont encore en fuite de l’autre côté de la frontière malienne et dont une centaine, actuellement détenus, devraient être jugés cette année.
Enfin, il va de soi que les perspectives pétrolières et gazières, désormais tangibles, aiguisent les appétits déstabilisateurs. Fin 2005, cinq ans après la découverte du premier puits offshore de Chinguetti – à 80 km au sud-ouest de Nouakchott -, l’or noir commencera à couler. Les puits voisins de Banda et de Tiof entreront en production peu après, et l’onshore s’annonce prometteur. Dès 2006, entre 150 millions et 250 millions de dollars de recettes nettes reversées par le consortium que dirige la société australienne Woodside devraient garnir le budget de l’État. Une petite révolution pour un pays redevenu terre d’immigration vers laquelle affluent Sénégalais, Maliens et Guinéens attirés par les lumières de Nouakchott, capitale en pleine expansion où les hôtels se multiplient au même rythme que les véhicules 4×4 rutilants.
Bien après les Français, mais avec beaucoup plus de détermination, les Américains ont découvert les vertus et les fragilités de ce pays charnière. Pays saharien, partie du « Grand Moyen-Orient » tel qu’on le définit désormais à Washington, mais aussi porte du Sahel, la Mauritanie joue un rôle clé dans l’élimination de cette « zone de non-droit », refuge potentiel de terroristes et de trafics illicites, qu’est le vingtième parallèle africain. L’après 11-septembre ayant entraîné un redéploiement des efforts américains vers ces trouble spots qu’il convient de réduire, la Mauritanie a tout naturellement été choisie comme tête de pont de l’« Initiative pan-Sahel », dotée de 100 millions de dollars. Objectif : former en deux mois des commandos du désert spécialisés dans l’antiterrorisme en leur fournissant l’entraînement et tout le matériel nécessaires. Une opération qui a d’ores et déjà débuté sur plusieurs bases militaires en Mauritanie et au Mali et qui devrait être sous-traitée, en ce qui concerne le Niger et le Tchad, à une société privée de Los Angeles travaillant pour le Pentagone : Pacific Architects and Engineers.
Subtil, Maaouiya Ould Taya a immédiatement vu l’intérêt que son pays pouvait tirer, en matière de consolidation de l’autorité de l’État et de maillage du territoire national, de ce nouveau tropisme américain. Homme d’ordre, ayant appris pendant près de vingt ans à acquérir une vraie indépendance dans la multidépendance, tout investi dans son combat du moment (pour le savoir et contre « l’ignorance », mère de tous les extrémismes), le président mauritanien observe avec un certain amusement les états d’âme suscités à Paris par ce glissement géopolitique. Si ses relations personnelles avec Jacques Chirac sont sans nuages, il est évident que l’ex-puissance coloniale ne paraît toujours pas avoir pris la mesure du rôle et du poids futurs de la Mauritanie – contrairement à l’Espagne, de plus en plus présente. Et comme il ne faut pas compter sur Ould Taya, qui n’a rien d’un officier méhariste le petit doigt sur la couture du saroual, pour aller mendier une quelconque reconnaissance, c’est à la France de redécouvrir la Mauritanie…

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