La chute des « baobabs »

Huit jours après sa nomination, le Premier ministre réaménage le gouvernement et écarte plusieurs proches du chef de l’État. Le début d’une ère nouvelle ?

Publié le 8 mars 2004 Lecture : 5 minutes.

L’effet Fall n’a pas tardé à se faire sentir. Le 2 mars, moins de dix jours après sa nomination au poste de Premier ministre, François Lonsény Fall a pris une résolution inédite dans l’action gouvernementale en Guinée : adresser à chaque ministre une lettre de mission indiquant clairement des objectifs à atteindre à court, moyen et long termes. Non sans préciser que chacun sera jugé à la tâche, à travers des évaluations périodiques. Une gestion par objectifs, en somme, qui astreint tout membre de son équipe à une obligation de résultat. Certains voient là un héritage de la culture du management américain dans laquelle Fall s’est immergé de 2000 à 2002, quand il représentait son pays auprès des Nations unies, à New York. D’autres, une volonté de faire des fauteuils ministériels autre chose que de simples tremplins pour accéder à davantage de privilèges.
Le nouveau locataire de la primature a d’ores et déjà décidé d’ouvrir trois chantiers : la relance de l’économie, la reprise du dialogue politique interne et la restauration de l’image du pays à l’étranger. En témoigne la composition de la deuxième partie du gouvernement, rendue publique le 1er mars. Après l’attribution, alors qu’il était en mission aux États-Unis, d’une douzaine de portefeuilles ministériels, Fall semble avoir voulu marquer de son empreinte le nouvel attelage au pouvoir, en plaçant des « valeurs sûres » à la tête des départements qui restaient à pourvoir. Mais, pour les hommes de la seconde vague, comme pour ceux de la première, le cahier des charges est le même aux yeux du Premier ministre : redresser un pays en proie à une paupérisation galopante, à une inflation à deux chiffres, et à une grave dépréciation du franc guinéen, qui a perdu la moitié de sa valeur au cours des cinq dernières années.
Tous les hauts responsables du secteur financier ont ainsi été remplacés le 1er mars. À commencer par le premier d’entre eux, le ministre de l’Économie et des Finances, Cheick Ahmadou Camara, qui a dû payer la rupture depuis deux ans des liens entre la Guinée et ses partenaires au développement. Le choix de son successeur n’a rien de fortuit : Mady Kaba Kamara est connu et apprécié des institutions financières internationales pour avoir été ministre du Commerce et de la Promotion du secteur privé dans le gouvernement de juillet 1996 qui, sous Sidya Touré, a mené de nombreuses réformes en partenariat avec le Fonds monétaire international.
La Banque centrale n’a pas été épargnée, pour assainir un secteur économique et financier passé de plus de trois mois de réserves de change à moins d’un jour au cours de ces quatre dernières années. Ibrahima Chérif Bah, gouverneur de l’institution, a été « admis à faire valoir ses droits à la retraite ». Le vice-gouverneur, Fodé Soumah, fidèle parmi les fidèles du chef de l’État, remuant « parrain national » du Parti de l’unité et du progrès (PUP, au pouvoir), a été placé à la tête du ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Culture. Une façon de retirer les clés du coffre-fort à quelqu’un qui a été longtemps soupçonné, à tort ou à raison, d’être le « financier » du régime, au point qu’on le surnommait « Fodé Aldjana » (« Fodé paradis ») dans les cellules du PUP, ou « Fodé-sacs d’argent », dans certains salons feutrés de Conakry.
Estimant l’économie indissociable de la politique extérieure, Fall entend également agir sur ce dernier levier, pour restaurer l’image du pays. D’abord, en dissociant la Coopération des Affaires étrangères, affectées à Mamadi Condé, un ancien ambassadeur en Algérie et en Chine. Ensuite, en plaçant à la tête du département de la Coopération un homme de confiance, El Hadji Thierno Habib Diallo, qui fut son second aux Affaires étrangères.
Pour replacer rapidement son pays dans une certaine « normalité internationale », Fall s’est fait remettre tous les dossiers qui opposent la Guinée à ses partenaires extérieurs. Ainsi de celui relatif à la libéralisation des ondes, qui préoccupe au plus haut point un partenaire comme l’Union européenne. Il s’en est saisi et s’attelle d’ores et déjà à faire signer un décret d’application de la loi organique de 1991 sur la liberté de la presse, qui prévoit la libéralisation des ondes avec, à la clé, la création de radios et de télévisions privées. Objectif : aligner la Guinée sur les autres pays de la sous-région (Sénégal, Mali, Côte d’Ivoire…), mais aussi décrisper la situation politique interne.
Ce sera en effet un gage supplémentaire donné à l’opposition, après le départ du gouvernement de Moussa Solano, que celle-ci accusait de bloquer tout dialogue par l’organisation d’une cascade d’élections contestées. L’ancien ministre de l’Administration du territoire et de la Décentralisation, nommé à la Fonction publique le 23 février, a été du reste limogé la veille de sa prise de fonctions, qui était prévue le 2 mars. S’il a officiellement été débarqué pour « faire valoir ses droits à la retraite », bien des observateurs ont vu la main de Fall derrière son départ. D’autant que Solano, frappé par la limite d’âge depuis le 1er janvier 2000, n’en est pas moins demeuré en fonctions.
L’éphémère ministre de la Fonction publique n’est, d’ailleurs, que l’une des victimes d’un vaste nettoyage autour du chef de l’État. Sous le même prétexte (politiquement correct) de la mise à la retraite, N’Faly Cissoko, chef du protocole d’État, Ousmane Sanogo, secrétaire général du gouvernement, et Abdoulaye II Bangoura, son adjoint, ont été, eux aussi, évincés de la sphère du chef de l’État. S’il parvient à conserver son poste, Fodé Bangoura, le ministre secrétaire général à la présidence de la République (tenu à l’écart de la formation de la nouvelle équipe) est aujourd’hui affaibli. La tempête Fall a secoué le « petit palais » et presque tout emporté sur son passage. À l’arrivée, une « révolution » qui change les hommes pour changer les méthodes. Aux « baobabs » du régime, le nouveau Premier ministre a préféré « de jeunes cadres, des technocrates qui ont fait leurs preuves au sein des départements ministériels », comme les nouveaux ministres de la Coopération, de l’Emploi et de la Fonction publique, ou celui de l’Énergie et de l’Hydraulique…
Autre signe de la volonté évidente de modernisation : la nomination aux Postes et Télécommunications de Jean-Claude Sultan, un professionnel du secteur, à qui le Premier ministre a réclamé « des actions concrètes » pour combler le retard du pays dans le domaine des nouvelles technologies de l’information et de la communication.
Voilà pour l’annonce. Mais les fruits tiendront-ils la promesse des fleurs ? Comment réagiront les « baobabs » écartés, dont certains sont crédités d’une certaine capacité de nuisance ? Fall lui-même continuera-t-il à disposer d’une marge de manoeuvre pour donner toute sa mesure ? Les Guinéens ne tarderont pas à être fixés.

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