Droits des femmes au Bénin : après le vote de la loi sur l’IVG, l’heure est à la pédagogie
La loi élargissant les conditions du recours à l’IVG votée par l’Assemblée nationale est vivement critiquée par les instances religieuses. Mais le gouvernement béninois défend ce texte, ainsi qu’une réforme plus large censée lutter contre les violences sexuelles et les mariages forcés.
L’Assemblée nationale béninoise a voté, la semaine dernière, trois textes qui constituent autant de réformes de fond quant à la protection du droit des femmes dans le pays. L’un d’entre eux a provoqué une levée de boucliers de la part, en premier lieu, des instances religieuses : l’extension des conditions dans lesquelles une femme peut avoir recours à une interruption volontaire de grossesse (IVG).
Le texte, voté à l’unanimité mercredi 20 octobre, prévoit que l’IVG, qui se fait « à la demande de la femme enceinte », peut désormais « être autorisée lorsque la grossesse est susceptible d’aggraver ou d’occasionner une situation de détresse matérielle, éducationnelle, professionnelle ou morale incompatible avec l’intérêt de la femme et/ou de l’enfant à naître ». Une véritable révolution. Depuis 2003, en effet, une femme enceinte ne pouvait avoir légalement recours à l’IVG au Bénin que si la grossesse mettait en danger sa vie et sa santé, était la conséquence d’un viol ou d’une relation incestueuse, ou lorsque l’enfant à naître était atteint d’une affection d’une particulière gravité.
Le clergé catholique, qui était à la tête des contempteurs de la nouvelle loi avant qu’elle ne soit soumise au vote des députés, a réitéré ses critiques au lendemain de son adoption. La Conférence épiscopale du Bénin, qui a fait campagne auprès des parlementaires pour qu’ils votent contre cette réforme de la loi relative à la santé sexuelle et à la reproduction de 2003, a exprimé « son profond regret et sa grande déception », dans un communiqué signé de la main de Mgr Victor Agbanou, évêque de Lokossa, qui qualifie l’IVG « acte inhumain ».
Un enjeu de santé publique
Ces critiques ont aussi été portées par des membres de l’Assemblée nationale : son président, Louis Vlavonou, a ainsi affirmé le 11 octobre que « l’avortement est la négation de la vie » et Aké Natondé, un député de l’Union progressiste (UP), a vivement pris position contre le texte. Ce qui ne l’a pas empêché d’être voté à l’unanimité. « Je suis contre l’IVG, mais la loi est votée, a consenti Natondé ce vendredi dans un court message sur les réseaux sociaux. La démocratie, c’est la loi de la majorité. »
Plus de 200 femmes, dont 20 % d’adolescentes, décèdent chaque année des suites d’avortements non sécurisés
Si le texte est bel et bien voté – il faut néanmoins, pour qu’il entre en vigueur, que soit signé les décrets d’application –, le ministre de la Santé, Benjamin Hounkpatin, sait qu’il lui faudra encore convaincre du bien-fondé de cette évolution. Premier argument sur lequel il insiste : la santé publique. Et sur ce front, les statistiques sont sans ambiguïté : « Plus de 200 femmes décèdent en silence chaque année des suites d’avortements compliqués et non sécurisés », a notamment insisté le ministre, qui juge que la loi votée en 2003 sur le sujet « n’a pas pu régler la question des avortements clandestins et meurtriers ». Et 20 % d’entre elles sont des adolescentes, dans un pays où, selon les statistiques mises en avant par le gouvernement, 59 % des femmes ont eu leur premier rapport sexuel avant l’âge de 18 ans.
« Le clergé catholique est dans son rôle et il ne fallait pas s’attendre à autre chose. C’est le contraire qui aurait étonné », juge Wilfried Léandre Houngbédji, secrétaire général adjoint et porte-parole du gouvernement, qui met avant une « adaptation de la législation à l’évolution de la société ».
Mais le débat déborde le seul cadre religieux. « Compte tenu de la mentalité collective, de la représentation de la famille, l’IVG n’est pas socialement accepté. C’est un bouleversement prématuré », juge ainsi le sociologue Aimé Tcheffa. Un point de vue aux antipodes de celui des ONG qui interviennent dans la défense du droit des femmes et de l’égalité des sexes. « C’est une décision courageuse qui nous permettra de mettre fin à l’hécatombe au sein des femmes et filles en âge de procréer », rétorque Angela Kpeidja, activiste contre les violences basées sur le genre, à la tête de l’ONG N’aie pas peur.
Contre les mutilations et les mariages précoces
Cette polémique sur l’IVG a presque relégué au second plan les deux autres textes votés la semaine dernière par l’Assemblée. Le premier porte sur une modification du Code des personnes et de la famille. Se fondant sur une récente décision de la Cour constitutionnelle, les députés ont voté un amendement qui offre désormais la possibilité à une femme d’attribuer son nom de famille à ses enfants. Jusqu’ici, seul le père pouvait transmettre son nom à sa progéniture.
Autre texte voté par le parlement : la très attendue loi portant répression des infractions commises à raison du sexe. Le texte, initié par le président Patrice Talon, redéfinit le champ d’application et les peines que risquent les auteurs de harcèlement sexuel, de viol ou encore de mutilations génitales féminines. Le texte prévoit un arsenal pénal contre le mariage précoce et les mariages forcés. Sur le plan opérationnel, une chambre de jugement spécifiquement dédiée à ces infractions basées sur le genre sera bientôt créée au sein de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet).
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus – Politique
- Sexe, pouvoir et vidéos : de quoi l’affaire Baltasar est-elle le nom ?
- Législatives au Sénégal : Pastef donné vainqueur
- Au Bénin, arrestation de l’ancien directeur de la police
- L’Algérie doit-elle avoir peur de Marco Rubio, le nouveau secrétaire d’État améric...
- Mali : les soutiens de la junte ripostent après les propos incendiaires de Choguel...