Aux urnes, étrangers !

Le Parlement fédéral octroie aux non-Européens le droit de vote aux élections locales. À condition qu’ils montrent patte blanche.

Publié le 8 mars 2004 Lecture : 3 minutes.

La Belgique est décidément avant-gardiste. Dans la nuit du 19 au 20 février, le Parlement fédéral a adopté une loi autorisant les étrangers non européens à voter lors des élections locales. Un sujet pourtant sensible en Belgique, où 4 % de la population est étrangère, et où, comme en France, en Allemagne ou en Grande-Bretagne, la question de l’immigration divise la classe politique.
Au sein de l’Union européenne, si tous les ressortissants des Quinze peuvent voter aux élections locales et européennes quel que soit leur pays de résidence, seuls l’Irlande, la Suède, la Finlande, le Danemark et les Pays-Bas autorisaient, à ce jour, le vote des étrangers non européens aux municipales. Aux élections de 2006, ces derniers pourront en faire l’expérience en Belgique. À condition, cependant, de résider dans le royaume depuis plus de cinq ans, de s’être préalablement inscrit sur les listes électorales et d’avoir signé une déclaration stipulant qu’ils respectent la Constitution belge et la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Des restrictions importantes que regrette Marco Martiniello, directeur du Centre d’études de l’ethnicité et des migrations, à Liège, et maître de recherche au Fonds national de la recherche scientifique belge (FNRS), prompt à critiquer cette « loi au rabais ». « Pourquoi les étrangers autorisés à voter devraient-ils aller s’inscrire sur les listes électorales ? Les Belges, eux, sont automatiquement inscrits à 18 ans. Signer une déclaration signifie également qu’il y a, dès le départ, une suspicion envers l’étranger. Ils vont devoir être sérieusement motivés pour aller voter ! »
D’ailleurs, sur les quelque 150 000 personnes concernées par cette loi, on prévoit déjà que le taux de participation sera inférieur à 20 %. De quoi désarmer les détracteurs de la loi (l’extrême droite, les conservateurs et les libéraux flamands, dont le VLD du Premier ministre, Guy Verhofstadt), qui accusent les partis francophones, presque tous favorables, de vouloir s’attirer les faveurs d’un électorat composé majoritairement de Marocains, de Congolais, d’ex-Yougoslaves et de Turcs, plus susceptibles de parler le français que le néerlandais. Les 30 000 étrangers qu’on attend aux bureaux de vote ne pèseront donc pas lourd dans la balance, excepté dans quelques communes bruxelloises où ils représentent parfois 35 % de la population.
« Dans les pays qui autorisent déjà les étrangers à voter, le taux de participation est faible, explique Catherine de Wengen, du Centre d’études sur les relations internationales, à Paris. En outre, contrairement à une crainte souvent exprimée, le vote des étrangers ne reflète aucune appartenance ethnique ou musulmane. Il est à l’image de celui de la population nationale : il se fait sur des critères socio-économiques. »
En France, la question du vote des immigrés a déjà été soulevée, mais n’est pas vraiment inscrite à l’ordre du jour. « Sur ce plan-là, l’Allemagne et la France font figure de lanternes rouges en Europe, affirme Catherine de Wenden. Aujourd’hui, en France, les politiques ont peur qu’une telle loi soit mal vécue, et qu’elle représente un cadeau pour l’extrême droite. » L’Allemagne, elle, avait tenté de créer des comités consultatifs d’étrangers auprès des conseils municipaux, sans grand succès. L’Italie avait préparé un projet de loi en 1997, mais le gouvernement de Berlusconi l’a relégué aux oubliettes. Quant au Royaume-Uni, l’Espagne et le Portugal, ils n’autorisent que certains ressortissants bien déterminés à s’exprimer par le vote (ceux du Commonwealth pour Londres, ceux de pays qui leur assurent une réciprocité pour Madrid et Lisbonne).
La Belgique entre donc dans le club restreint des avant-gardistes, une trentaine d’années après avoir lancé le débat sur le vote des étrangers en Europe. En 1972, elle était la première à avoir instauré les conseils communaux consultatifs d’immigrés. Et possède, depuis 2000, l’un des codes de la nationalité les plus progressistes au monde. Trois ans de résidence dans le pays suffisent à un étranger pour être en droit d’obtenir la citoyenneté. Sur le papier, en tout cas. Car, dans la pratique, les choses sont souvent plus compliquées. « La Belgique est un pays paradoxal, conclut Marco Martiniello. Les partis flamands, et notamment celui du Premier ministre, ont reçu une gifle avec le vote de cette loi. Je crains qu’on ne remette sur le métier une réforme du code de la nationalité. »

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