Aller simple pour l’Amérique
Après de longs mois de tractations secrètes, les États-Unis ont accepté d’accueillir plusieurs milliers de Libériens installés en Côte d’Ivoire.
Ils sont 9 000 réfugiés (dont 55 % de femmes), âgés pour la moitié d’entre eux de moins de 18 ans. Ils sont, dans leur écrasante majorité, libériens (97 %), mais aussi rwandais, burundais, centrafricains, sans oublier quelques ressortissants des deux Congos. Jusque-là, un millier d’entre eux vivaient à Abidjan, et les 8 000 autres, dans l’ouest de la Côte d’Ivoire. Pour être précis, à Tabou, San Pedro et Peacetown, un camp de transit situé à Nicla, près de Guiglo.
D’ici à la mi-mai, si tout va bien, ils seront tous (ou presque) installés à New York, Washington, Boston, Seattle ou Memphis, où les attendent un logement décent et un emploi. Puis, dans un an, la fameuse green card, la carte de résident permanent. Et peut-être, au bout de cinq ans, la citoyenneté américaine. Le Pérou, comparé à une vie de réfugiés dans un centre de transit insalubre ou dans des villages ivoiriens bien souvent dépourvus de tout !
« C’est une chance formidable, surtout pour les adolescents et les enfants. Leur avenir, ce sera l’ordinateur, pas les kalachnikovs », se réjouit le juriste congolais Sanda Kimbimbi, représentant du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) en Côte d’Ivoire (et diplômé de la prestigieuse université Harvard).
L’aventure de ces réfugiés commence en septembre 2002. La Côte d’Ivoire, qui leur a ouvert généreusement ses portes au cours de la décennie précédente, alors qu’ils fuyaient un conflit ou des exactions dans leur propre pays, bascule elle-même dans la guerre civile. Ils doivent déguerpir pour ne pas se retrouver sous les feux croisés des belligérants ou pour échapper aux agents recruteurs des rebelles et de l’armée ivoirienne. Le HCR, dont ils dépendent, doit, de toute urgence, les sortir de ce guêpier. Que faire ? Les rapatrier dans leur pays d’origine ? Autant les envoyer en enfer. Le Liberia est toujours en proie à une effroyable guerre civile qui a fait, ces dernières années, plus de 300 000 victimes et 500 000 déplacés. Et contraint à l’exil près de 800 000 personnes.
L’organisme onusien, dont le siège est à Genève, en appelle alors à la « communauté internationale ». Les États-Unis, où vit une forte communauté libérienne, manifestent aussitôt le souhait d’accueillir les malheureux sur leur territoire. Pour éviter que ses bureaux ne soient assaillis de demandes, le HCR décide de garder secrètes ses tractations avec les Américains. Depuis 1980, ceux-ci ont accueilli plus de 138 000 réfugiés africains. Ils prévoient d’en accueillir 25 000 autres au cours de l’année fiscale 2004.
Dans un premier temps, le HCR soumet une liste de noms aux responsables américains. Quelques semaines plus tard, cette liste lui est retournée, expurgée des noms des candidats qui ont précédemment fait l’objet d’un refus. Ensuite, on procède à une nouvelle vérification de l’existence des réfugiés, avec le concours du gouvernement ivoirien. Les postulants sont identifiés, regroupés, puis conduits en convois à Abidjan, Washington ayant posé comme condition que les dernières vérifications soient faites exclusivement dans la mégapole ivoirienne.
Au total, entre juillet 2003 et février 2004, dix-sept convois sont organisés à partir de Guiglo, San Pedro et Tabou. À leur arrivée, les réfugiés sont logés dans des centres de transit – en fait, de spacieuses villas de location, dans le quartier résidentiel de Cocody (notamment). Par petits groupes, ils sont interviewés par des fonctionnaires du HCR, en présence d’agents américains assermentés, puis passent un entretien avec des responsables d’Overseas Processing Entity, une ONG américaine chargée de constituer les premiers dossiers, de vérifier la composition des familles et de demander, en cas de besoin, un supplément d’information.
Dans la foulée, ils sont livrés aux officiers de l’immigration américaine (Department of Homeland Security, DHS) chargés de déterminer s’ils réunissent toutes les conditions pour être considérés comme des réfugiés et être admis aux États-Unis. Un réfugié éligible peut néanmoins être exclu du programme, pour des raisons de santé (maladies contagieuses, troubles mentaux), en raison d’activités criminelles passées (trafic de drogue, condamnations pour crime, prostitution, actes de persécution ou de torture), ou pour des motifs de sécurité (espionnage, terrorisme, etc.).
Au terme de ce véritable parcours du combattant, les agents du DHS prennent en toute souveraineté leur décision et en informent par lettre personnalisée le candidat. À la fin du mois de février, les dix officiers du DHS avaient ainsi interviewé plus de 6 000 réfugiés et donné le feu vert à 5 000 d’entre eux. Parmi ces derniers, 2 700 se sont déjà envolés vers leur nouvelle terre d’accueil, après une visite médicale et trois jours « d’orientation culturelle ». En fait, une initiation-éclair « à tout ce qui est américain », de l’utilisation d’appareils électriques au shopping dans les grands magasins, en passant par les transports publics (métro et bus).
Le HCR a, dans le passé, organisé deux opérations similaires. Entre 1998 et 2001, 4 500 jeunes Souda-nais ont ainsi été installés aux États-Unis. Et quelque 13 000 Bantous somaliens sont en voie de l’être depuis décembre 2002. Les responsables onusiens espèrent qu’au terme du processus en cours en Côte d’Ivoire 7 000 personnes (sur un total de 9 000) seront admises sur le territoire américain.
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