Wilfried N’Sondé au plus proche de la nature

Dans son nouveau roman « Femme du ciel et des tempêtes », l’écrivain et chanteur raconte la découverte d’une sépulture de femme noire en Sibérie et livre un plaidoyer humaniste pour l’environnement.

Wilfried N’Sondé, écrivain, chanteur et musicien. © Vincent Fournier/JA

Wilfried N’Sondé, écrivain, chanteur et musicien. © Vincent Fournier/JA

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Publié le 20 novembre 2021 Lecture : 7 minutes.

Les romans de Wilfried N’Sondé suivent sa trajectoire. L’écrivain et chanteur français né en 1968 à Brazzaville (Congo) avait ancré le début de son œuvre dans les banlieues, où il a grandi. Son premier roman, Le cœur des enfants léopards, avait obtenu le prix des Cinq Continents de la Francophonie et le prix Senghor de la création littéraire en 2007. S’il fallait une expression pour qualifier les récurrences qui traversent ces débuts, on reprendrait le titre de son troisième opus : Fleur de béton. L’innocence se heurte à la violence de la réalité, l’amour la transcende.

Depuis Berlinoise, Wilfried N’Sondé a déménagé plusieurs fois. Comme lui, ses livres voyagent. Nous l’avions quitté avec Un océan, deux mers, trois continents, grand roman historique multiprimé, où l’humanisme de quelques-uns larde de trouées lumineuses les ténèbres de l’esclavage. Nous le retrouvons très loin des lieux funestes de la traite négrière.

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L’action de Femme du ciel et des tempêtes se situe en Sibérie. « L’origine de ce roman est mon périple dans le transsibérien des écrivains en 2010. J’ai eu la chance de découvrir des paysages à la fois majestueux, dépaysants et un peu inquiétants tellement ils sont puissants. J’ai passé une journée assez dingue dans un monastère bouddhiste. Des moines ont voulu que je les suive. Au début, j’étais un peu inquiet mais le traducteur m’a rassuré. Ils voulaient me montrer quelque chose. Je me suis retrouvé dans une salle où il y avait un homme à la peau noire. On a commencé à parler, c’était en fait un Sénégalais de Dakar, qui avait eu des interrogations spirituelles et qui était allé en Inde. Là, il avait rencontré des moines de Sibérie et il les avait suivis. C’était fascinant pour moi de constater qu’il y avait une connivence très forte, des ressemblances entre leur spiritualité et la spiritualité africaine. »

Course contre la montre

Le spirituel s’incarne dans la sépulture d’une reine à la peau noire là où ne l’attend pas, dans la péninsule du Yamal, en Sibérie (Russie). Dans cette contrée polaire de l’Arctique vivent les Nenets, une tribu nomade. Noum, chaman, découvre ce corps, révélé à cause de la fonte du permafrost. Ce point de départ est librement inspiré d’une histoire vraie.

« En 2019, des scientifiques danois ont reconstitué de l’ADN à partir d’un bout d’écorce mâchée. C’était celui d’une jeune femme qui avait vécu il y a 5 700 ans au Danemark. Elle avait la peau noire, les cheveux noirs et les yeux bleus. » L’imagination de l’auteur a fait le reste : « Cette femme n’était pas africaine, ses ancêtres avaient dû quitter l’Afrique une dizaine de milliers d’années auparavant. En inventant qu’on découvrait un corps, je pouvais personnifier un lien entre le Nord de l’Europe et l’Afrique. »

Le monde libéral manque cruellement d’une réflexion qui se fixerait sur le sens, de spiritualité – qui apporte une manière de réfléchir à ce qu’on va faire

Une course contre la montre s’engage. Noum contacte Laurent, un scientifique français pour l’alerter de cette incroyable découverte et empêcher l’exploitation gazière du site naturel par un grand conglomérat industriel secondé dans ses basses œuvres par Serguei, un mafieux russe. Pour ne rien arranger, le bras droit de celui-ci est Micha, le neveu de Noum. Comme dans les classiques de la littérature russe, les grands enjeux se doublent de dilemmes moraux intimes.Au centre des débats, la spiritualité : « Je pense que le monde industriel, libéral manque cruellement de spiritualité, d’une réflexion qui se fixerait sur le sens, qui s’attacherait à la méthode. À un moment, je dis que le chaman agit avec mesure. Quoi qu’on fasse, agir avec mesure. La spiritualité nous apporte une manière de réfléchir à ce qu’on va faire. »

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 © Éditions Actes sud

© Éditions Actes sud

À l’opposé, il y a le matérialisme incarné par Serguei et sa bande. Une façon de dresser le portrait des excès du libéralisme à tout crin : « Serguei est un ancien pauvre. Il est à la tête d’un grand groupe capitaliste mafieux, il vit dans une société qui fait la promotion de l’enrichissement. Ces grands groupes, mafieux ou pas, sont des productions du système. On ne peut pas en vouloir à Serguei de vouloir se sortir de sa condition de pauvre. Moi qui viens d’un milieu modeste, mes parents m’ont envoyé à l’école pour que j’étudie, que j’aille à l’université, dans les grandes écoles, pour que je sorte de ma condition de pauvre. Cette ambition est compréhensible et légitime. Le problème est que, lorsqu’on pousse cette logique au bout, on arrive à des grands groupes qui deviennent monstrueux parce qu’ils ne considèrent jamais la morale. Il n’y a pas la valeur de l’être humain. L’homme ne regarde la nature que dans la mesure où elle peut être exploitée à des fins financières. »

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Un regard résolument positif

Femme du ciel et des tempêtes est un roman d’aventure. N’Sondé tisse le fil du suspens en opposant les défenseurs d’un ordre spirituel, soucieux de l’environnement, et les tenants de l’accumulation matérielle sans limites et sans morale. Laurent doit monter une équipe scientifique en catastrophe et il recrute Cosima, docteure en médecine légale germano-japonaise et Silvère, anthropologue d’origine congolaise, tandis que Serguei organise sa riposte.

Wilfried N’Sondé excelle dans l’art de distribuer les rôles dans ce roman choral, où les femmes, fortes, ont leur mot à dire : « Il est important pour moi d’avoir des figures de femmes. La mère originelle, que j’aime beaucoup, est mythique et elle ne rend pas toujours service aux femmes réelles. Les prostituées sont exploitées, réduites à leur corps. Le personnage de Cosima se bat, elle, pour ne pas être réduite à son corps, elle veut être appréciée selon sa personnalité, son intellect, ce qui ne l’empêche pas d’être sensuelle quand elle le décide. »

Je veux partager l’idée que ce n’est pas la nature que nous devons sauver, c’est nous. Nous devons changer radicalement mais je suis très optimiste, le sursaut arrivera

Ces voix qui poursuivent le même objectif se confrontent parfois. Les vanités, les fautes morales ne sont pas l’apanage d’un seul camp. Wilfried N’Sondé explore cette complexité des êtres, des relations : « Nous sommes tous les enfants de cette société libérale qui fonctionne sur la compétition. Je n’occulte pas le conflit. » Mais comme souvent avec l’auteur, il y a une lumière : « Le plus important est la complicité qui va se créer entre Cosima et Silvère. » Cette connivence qui se noue reflète un regard sur le monde humaniste et positif.

« Je veux partager l’idée que ce n’est pas la nature que nous devons sauver, c’est nous. Je suis très optimiste parce qu’à un moment donné, nous serons beaucoup à comprendre que nous n’avons pas d’autre choix que de changer radicalement. L’appel des 15 000 scientifiques nous alerte régulièrement pour dire qu’on ne peut pas continuer comme ça. Cette conscience commence à s’ancrer. Le sursaut arrivera. »

Cette conscience, Wilfried N’Sondé la voit aussi prospérer en Afrique . « Ce qu’on appelait le sous-développement de l’Afrique sera peut-être sa chance. L’Afrique subsaharienne est tellement dénuée d’infrastructure industrielle que c’est le terrain idéal pour un nouveau modèle économique, pour un nouveau modèle d’aménagement du territoire. J’ai écrit un article dans le quotidien italien Corriere della Sera où j’expliquais que l’espèce de virginité de l’Afrique subsaharienne et une population extrêmement jeune, qui est donc potentiellement poreuse aux nouvelles idées, devraient être la chance de demain. »

Le chemin que N’Sondé veut tracer est celui d’un idéalisme qu’il assume : « Je nous souhaite qu’un jour, l’humanité arrive à cette conscience que l’identité la plus importante, c’est d’être humain. On est d’abord des êtres humains avant d’être hommes, femmes, avant d’être de telle ou telle confession ou athée, d’avoir des convictions politiques de gauche ou de droite. Il y a une coutume dans les cultures dites indigènes ancestrales : quand un étranger arrive, d’abord on lui donne à manger, à boire, il se repose puis on s’intéresse à qui il est, où il va, ce qu’il fait. Le fait qu’il soit un être humain suffit à ce que l’on accueille. »

De la banlieue parisienne à Berlin, puis de Paris à Lyon, où il vit désormais, Wilfried N’Sondé a dû interrompre ses voyages à cause des confinements consécutifs à la pandémie de Covid-19. Mais depuis quelques mois, il peut à nouveau reprendre la route. « Je profite des montagnes de l’Ardèche, de la Bourgogne, de toute cette campagne magnifique. C’est une quête de nature sauvage, j’apprends à apprécier la nature qui n’est pas formatée par l’homme, qui n’est pas réorganisée pour le bonheur de l’homme.

Ce n’est pas un retour vers la nature, c’est un chemin vers la nature. Beaucoup plus de calme, de quiétude, j’essaie de développer une relation à la nature où je déconstruis le sentiment de supériorité. Je n’observe plus la nature, je suis dans la nature. » Il y a quelques mois, il était en résidence d’écriture au large du Chili sur la goélette Tara, en compagnie de scientifiques français, espagnols et chiliens. Gageons que le romancier y puisera la matière pour continuer de questionner nos devoirs moraux vis-à-vis de notre Terre et de nous-mêmes.

Femme du ciel et des tempêtes de Wilfried N’Sondé (éd. Actes Sud, 267 p., 20 €)

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