Sur la bonne voie

Le compte n’y est pas encore. Mais la première femme élue à la tête du pays est depuis un an sur le chantier de la reconstruction. Non sans quelques succès.

Publié le 8 janvier 2007 Lecture : 5 minutes.

Le 16 janvier, Ellen Johnson-Sirleaf célébrera le premier anniversaire de son investiture en tant que présidente élue du Liberia. Un symbole fort : jamais auparavant une femme n’avait accédé à la magistrature suprême sur le continent. D’où le vif intérêt pour cette diplômée de la prestigieuse université américaine de Harvard (ancienne fonctionnaire de la Banque mondiale et ex-ministre) et l’immense espoir suscité par son arrivée au pouvoir par la grâce des urnes. Pour ses 3 millions de compatriotes, ou ce qu’il en reste, c’est un grand bol d’air. Pour la présidente, un défi capital à relever : redresser, reconstruire, l’un des pays les plus meurtris par des années de guerre et le banditisme érigé en système de gouvernement. Un an après, le bilan est encore loin du compte.
« C’est maintenant que les choses sérieuses vont commencer, estime un observateur libérien. Ellen Johnson-Sirleaf a consacré la première année de son mandat à voyager à l’étranger pour solliciter l’aide extérieure. Partout, elle a reçu des réponses positives. Mais il s’écoule beaucoup de temps entre une promesse et sa concrétisation. » Profitant de l’effet provoqué par son élection, la présidente a donc fait le tour du monde pour essayer d’attirer les investisseurs et de redorer l’image ternie de son pays par quinze années de guerre civile. On l’a vue, privilège rare, s’adresser aux membres du Congrès américain, à Washington. On l’a vue à Paris, accueillie avec tous les honneurs, ou encore à Bamako, au Mali, lors du sommet Afrique-France de décembre 2005, alors qu’elle n’était pas encore officiellement chef de l’État. Et aussi à Banjul, en Gambie, où elle a participé, en juillet 2006, à son premier sommet de l’Union africaine, auréolée de tout son prestige.
Au Liberia, il n’y a pas une priorité, mais des priorités, des urgences. Cette vérité, Johnson-Sirleaf l’a assénée à tous ses interlocuteurs. L’eau, loin s’en faut, ne coule pas partout et l’électricité est tellement rare que seule une petite portion du centre-ville de Monrovia, la capitale, est éclairée. Les infrastructures, là où elles existent, ont été détruites. À cela s’ajoutent des problèmes liés à la réinsertion dans la société des anciens combattants et des enfants soldats. Sans parler de la réorganisation des forces de sécurité afin de consolider la stabilité du pays, ou encore de l’assainissement d’une administration gangrenée par la corruption
La situation générale du pays est plus qu’alarmante. Selon le Fonds monétaire international (FMI), même si son économie connaissait un taux de croissance annuel de 10 % dans les vingt-cinq prochaines années, le Liberia ne reviendrait, au mieux, qu’au stade où il se trouvait en 1980 ! Aujourd’hui, le budget de l’État n’est que de 129 millions de dollars. Et les besoins en matière de sécurité restent énormes : dans le comté de Maryland (Sud-Est), peuplé de 100 000 habitants, l’ordre est assuré par seulement vingt-trois policiers, rapporte l’hebdomadaire The Economist.
Pourtant, malgré son délabrement actuel, le Liberia n’est pas aussi démuni que cela. Il possède environ 4 millions d’hectares de forêts. C’est-à-dire à peu près 50 % des forêts de grands arbres de l’écosystème qui englobe, outre le Liberia, la Guinée, la Côte d’Ivoire, le Ghana et la Sierra Leone. L’exploitation du secteur a fait la fortune des différents chefs de guerre, dont Charles Taylor. L’argent a servi, entre autres, à acheter des armes pour entretenir le conflit et l’insécurité. Cette situation a conduit le Conseil de sécurité de l’ONU à interdire, en mai 2003, l’importation du bois libérien et de tous ses produits dérivés. Depuis 2004, l’Initiative en faveur des forêts du Liberia (LFI) s’attelle à la mise en uvre de réformes susceptibles de garantir au pays 60 % de ses besoins en devises étrangères. Johnson-Sirleaf le sait bien, dont l’une des premières mesures fut l’annulation de toutes les concessions forestières accordées par ses prédécesseurs. Une loi entérinant la réforme du secteur forestier a été promulguée début octobre 2006. Le 20 décembre dernier, le Conseil de sécurité a levé l’embargo sur le bois. Mais il faudra encore du temps pour que le Liberia profite pleinement des revenus provenant de l’exploitation de ses forêts.
En revanche, l’embargo sur les diamants, l’une des ressources sur lesquelles le chef de l’État compte pour redresser son pays, a été reconduit pour une nouvelle période de douze mois. En même temps, le Conseil de sécurité de l’ONU s’est félicité « que le gouvernement libérien continue de coopérer avec le Système de certification du processus de Kimberley » et noté « les progrès accomplis par le Liberia dans le sens de la mise en place des contrôles et autres prescriptions d’ordre interne nécessaires pour satisfaire aux conditions minima du processus de Kimberley ». Pour convaincre l’ONU de ses bonnes dispositions et l’amener à lever les sanctions dont elle a hérité, la présidente a mis en place un Groupe d’étude national sur les diamants.
Le gouvernement a également engagé la lutte contre la corruption, condition sine qua non de la relance de l’économie et garantie dont ont besoin les éventuels investisseurs. D’où la transparence exigée par le chef de l’État lors de la signature de contrats et l’attribution à des femmes qu’elle trouve intègres de ministères tels que les Finances, le Commerce et l’Industrie, la Justice. Sans oublier les sanctions infligées aux fonctionnaires véreux. Johnson-Sirleaf tente également de renforcer la sécurité sur l’ensemble du pays, notamment par des réformes dans l’armée et la police. La tâche est tellement ardue que, pour le moment, sa sécurité personnelle est assurée par des Nigérians. Contrairement à ses prédécesseurs, elle essaie de détribaliser la vie politique et de contenir le vieux démon de l’antagonisme séculaire entre Libériens d’ascendance afro-américaine et « autochtones ».
Un chantier d’autant plus vaste que son gouvernement doit mener ses réformes dans un environnement politique qui ne lui est pas forcément favorable : son parti n’est pas majoritaire au Parlement. Si sa popularité reste intacte, la stabilité du Liberia n’est pas pour autant assurée. Tout dépend de la célérité avec laquelle la communauté internationale, élément clé dans son action, l’aidera à financer les réformes dont son pays a besoin pour se relever. Or tout semble marcher au ralenti. Même ses liens privilégiés avec les États-Unis ne sont pas déterminants. D’où ce commentaire désabusé d’un Libérien : « Les Américains ne sont pas pragmatiques dans ce qu’ils font. Ils prétendent nous aider. Pourtant, la grande partie des fonds qu’ils débloquent est destinée à payer les salaires des personnels de leurs organisations non gouvernementales. »
Johnson-Sirleaf ne cesse d’insister sur l’urgence qu’il y a à tenir les promesses. Cela, malgré la présence du Programme d’assistance pour la gouvernance et la gestion économique (Gemap), une sorte de comité de tutelle mis en place par la communauté internationale, et qui est censé aider le Liberia à s’en sortir. La conférence internationale des donateurs prévue à Washington, en février, sera sans doute déterminante pour l’avenir immédiat du Liberia.

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