Unesco – Taoufik Jelassi : « Nous devons répondre à l’essor de la désinformation »

Le Tunisien pilote depuis juillet l’une des huit sous-directions générales de l’Unesco, où il s’attèle aux chantiers de la promotion de l’accès à l’information et de la transition numérique. L’Afrique n’est pas en reste. Entretien.

Taoufik Jelassi, sous-directeur général de l’Unesco pour la communication et l’information. © UNESCO

Taoufik Jelassi, sous-directeur général de l’Unesco pour la communication et l’information. © UNESCO

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Publié le 2 novembre 2021 Lecture : 5 minutes.

Nommé sous-directeur général pour la communication et l’information de l’Unesco, Taoufik Jelassi est entré en fonction le 1er juillet dernier. Il a succédé à ce poste à un autre Tunisien, Moez Chakchouk. 

Enseignant dans de grandes écoles de commerce à travers le monde, il a déjà joué un rôle multilatéral en tant que ministre tunisien de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et des TIC (2014-2015).

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Il avait notamment négocié des accords de partenariat dans les TIC avec la Corée du Sud et l’Union internationale des télécoms (organisation des Nations unies) et œuvré en faveur de l’Alliance franco-tunisienne pour le numérique, ou encore pour la coopération dans le domaine de l’Enseignement supérieur avec le Maroc, la France et le Canada.

Les progrès technologiques ont aussi engendré de nouvelles formes d’exclusion

Son expérience doit désormais servir les objectifs d’innovation et de transformation numériques mais aussi d’accès à l’information promus par l’Unesco. Au lendemain de la dixième Semaine mondiale de l’éducation aux médias et à l’information (EMI), il revient pour Jeune Afrique sur ses grands chantiers prioritaires.

Jeune Afrique : Vous avez dirigé en août la délégation de l’Unesco au sein du Sommet du G20 des ministres du numérique. Quelles sont vos priorités en la matière ?

Taoufik Jelassi : La transformation numérique rapide et la crise de la Covid-19 ont révélé et exacerbé des défis majeurs. La liberté d’expression et la sécurité des journalistes figurent parmi nos chantiers prioritaires, tout comme la promotion de l’éducation aux médias et le développement des médias.

Nous nous devons notamment de répondre à l’essor de la désinformation et des discours de haine. Nous comptons non seulement promouvoir et protéger l’information en tant que bien public, mais aussi mettre la communication et l’information au service du développement durable et de la paix.

Si les progrès technologiques ont permis d’améliorer l’accès à l’information et au savoir, ils ont également engendré de nouvelles formes d’exclusion et d’inégalité, y compris en ligne. Or il est aujourd’hui plus que jamais essentiel que les citoyens puissent accéder à des informations fiables pour contribuer au développement durable de leurs communautés.

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Placer l’innovation au service d’une transformation numérique inclusive est un autre de nos objectifs. Nous nous attelons par ailleurs à la préservation et à l’accessibilité du patrimoine documentaire, mais aussi à l’accès universel à l’information, y compris dans des langues diverses.

En pleine pandémie, comment faites-vous face aux enjeux de vérification de l’information liée au Covid-19 et plus largement à la santé   ?

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La propagation de la désinformation sur la Covid-19, facilitée par les nouvelles technologies, continue à représenter un défi de taille dans la lutte contre le virus. Nous avons contribué au développement de cours en ligne ouverts et massifs [MOOC] spécifiques sur la pandémie et les vaccins à l’intention des journalistes.

L’Unesco, en partenariat avec l’Innovation for Policy Foundation (i4Policy), a aussi lancé en avril 2020 la campagne en ligne #DontGoViral, visant à encourager la production de contenu local à destination des communautés du continent afin de lutter contre les rumeurs et fausses informations circulant sur le virus. De nombreux artistes de renom, dont Bobi Wine et Marcus Miller, ont rejoint cette campagne, qui a attiré quelque 220 millions de visites sur les réseaux sociaux.

Nous devons désormais poursuivre ces efforts pour garantir une réponse durable à la pandémie, mais aussi renforcer la résilience de nos sociétés face à d’autres défis actuels comme le changement climatique.

Vous êtes le seul représentant de la région Maghreb et Moyen-Orient parmi les huit sous-directeurs généraux de l’Unesco. Entendez-vous porter en particulier les déclinaisons régionales ou africaines de vos projets ?

Mon rôle est avant tout global et non régional. Nous accordons toutefois une importance particulière au continent africain. L’Unesco y est engagée dans la prévention de l’extrémisme violent et la lutte contre les discours de haine, notamment à travers la promotion de l’éducation aux médias et à l’information.

De nombreux pays, y compris le Burundi et le Soudan, ont déjà bénéficié de nos programmes en la matière. Nous soutenons également les processus d’élaboration et de mise en œuvre de lois sur l’accès à l’information, par exemple en République démocratique du Congo et en Tunisie.

Dans le domaine de l’innovation et de la transformation numérique, l’Unesco organise chaque année avec l’entreprise SAP «­ l’Africa Code Week », qui vise à renforcer les compétences numériques et de codage des communautés en Afrique.

L’Unesco soutient la numérisation de manuscrits anciens au Mali

Près de 10 millions de participants de 40 pays du continent ont bénéficié de ces activités depuis 2016. En début d’année, nous avons également publié les résultats de notre enquête sur les besoins en matière d’intelligence artificielle en Afrique.

Elle souligne la nécessité de renforcer les politiques, les capacités, ainsi que les cadres juridiques et réglementaires pour la gouvernance de l’intelligence artificielle. Sur cette base, nos services développent actuellement des initiatives de renforcement des capacités adaptées aux besoins spécifiques des États membres.

Qu’en est-il des initiatives de préservation du patrimoine liées à votre domaine de compétence pour la zone ?

L’Unesco soutient la numérisation de manuscrits anciens au Mali afin de les rendre plus facilement accessibles. Nous avons aussi un partenariat bien établi en ce sens avec la Fondation Amadou Hampâté Bâ en Côte d’Ivoire, axé sur la numérisation des collections de notre organisation.

Enfin, en 2022, nous lancerons par ailleurs la Décennie internationale des langues autochtones, en association avec le département des Affaires économiques et sociales de l’ONU. Nous invitons tous les acteurs africains à se joindre à cette mobilisation internationale afin de promouvoir, protéger et revitaliser leurs langues autochtones.

En quoi l’Unesco peut-elle œuvrer à promouvoir la liberté d’expression dans les pays du Maghreb/Moyen-Orient et d’Afrique ?

La Conférence mondiale sur la liberté de la presse, qui s’est tenue du 29 avril au 3 mai 2021, à Windhoek, en Namibie, a réaffirmé cet engagement à travers l’adoption de la Déclaration Windhoek +30, qui appelle toutes les parties prenantes à protéger et à promouvoir l’information en tant que bien public, en ligne et hors ligne.

Une priorité pour moi sera de poursuivre nos efforts pour le renforcement des capacités des membres de l’appareil judiciaire au niveau régional, notamment en Afrique et au Maghreb, en matière de liberté d’expression, d’accès à l’information et de sécurité des journalistes, afin d’encourager la mise en œuvre d’instruments et de standards internationaux dans ces domaines.

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