Questions sur un coup de filet

Au terme de onze jours de traque, un groupe de « dangereux criminels » vraisemblablement liés à la mouvance salafiste a été démantelé dans la banlieue sud de la capitale.

Publié le 8 janvier 2007 Lecture : 4 minutes.

Une maison en construction, en pleine campagne, pas très loin de la petite ville de Soliman, à une trentaine de kilomètres au sud de Tunis : c’est là que le piège s’est refermé sur les derniers « criminels dangereux » traqués depuis le 23 décembre par les forces de sécurité tunisiennes. Les snipers n’ayant pas suffi à en venir à bout, il a fallu recourir, le 3 janvier en fin de journée, aux armes lourdes. Touché par plusieurs obus, le toit de la villa s’effondre. Cinq corps sont retirés des décombres.
Dans la matinée du même jour, deux autres fugitifs avaient été abattus dans une maison du centre de la ville où ils avaient cherché refuge. Apparemment, le compte y est. Tard dans la soirée, une source officielle au ministère de l’Intérieur fait savoir que douze membres du groupe ont été abattus depuis le début de l’opération, onze jours auparavant, et quinze autres arrêtés. « La traque est terminée », annonce-t-elle. Tout avait commencé par un incident fortuit, dans la nuit du 23 décembre
Une patrouille des forces de l’ordre fait irruption dans une maison occupée par des suspects dans le village de Hammam Echatt, non loin de Hammam Lif, à une vingtaine de kilomètres au sud de la capitale. Elle ne s’attend apparemment pas à ce que lesdits suspects soient armés et qu’ils tentent de prendre la fuite. Une fusillade éclate. Deux suspects sont tués et deux autres blessés, ainsi que deux policiers.
Ce n’est qu’au terme de l’enquête préliminaire que les autorités comprennent qu’elles ont affaire à de « dangereux criminels recherchés ». En fait, les limiers de l’antiterrorisme étaient sur la piste de plusieurs éléments soupçonnés de salafisme depuis plusieurs semaines, sinon plusieurs mois. Les autorités décident alors de donner un coup de pied dans la fourmilière. D’importants renforts sont mobilisés, y compris au sein de l’armée, et prennent position dans les régions de Hammam Lif et de Grombalia, le long de l’autoroute du Sud, mais aussi à Sousse, à 150 km de la capitale. Des ratissages sont entrepris dans les montagnes environnantes afin de retrouver les fuyards. Aux principaux carrefours et aux sorties de l’autoroute, les véhicules sont méthodiquement contrôlés. Bref, la traque se met en place. Elle sera ponctuée, jusqu’au 3 janvier, de plusieurs échanges de coups de feu entre les fugitifs et leurs poursuivants.
Restent un certain nombre de questions. Qui sont les vingt-sept « criminels dangereux » mis hors d’état de nuire ? Des trafiquants de drogue comme l’a affirmé – sans convaincre – Achourouk, un quotidien arabophone proche du pouvoir ? De jeunes exaltés jouant aux maquisards ? Des terroristes, comme l’écrit, sans plus de précisions, le quotidien progouvernemental Assarih ? Si l’hypothèse d’un groupe extrémiste se révèle être la bonne, s’agit-il d’un phénomène endogène ou exogène ? Qui sont ses chefs, d’où viennent-ils et comment ont-ils acheminé leurs armes en Tunisie ? Préparaient-ils des attentats en à l’occasion de l’Aïd el-Kébir et des fêtes de fin d’année ?
Le mutisme du gouvernement a logiquement laissé le champ libre aux rumeurs et aux spéculations les plus aventureuses. L’hypothèse la plus fréquemment avancée est qu’il s’agirait d’un groupe terroriste de tendance salafiste-djihadiste (par opposition aux salafistes non violents), sur le modèle algérien et marocain. On sait que, dans ce dernier pays, le gouvernement vient d’annoncer le démantèlement d’un nouveau réseau salafiste qu’il affirme être lié à al-Qaïda.
Deux déclarations faites à l’étranger dans la semaine qui a précédé les événements de la banlieue de Tunis semblent plaider en ce sens. Le 19 décembre, le juge antiterroriste français Jean-Louis Bruguière a affirmé que le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), qui, au cours de l’été dernier, a fait allégeance à al-Qaïda, aurait récemment accru ses activités non seulement en Algérie, où il tient le haut du pavé djihadiste depuis 1998, mais aussi au Maroc, en Tunisie et dans les pays sahéliens au sud du Sahara. Trois jours plus tard, au cours d’un débat en direct sur Al-Jazira, Rached Ghannouchi, le chef en exil du mouvement islamiste tunisien Ennahdha (interdit), a lui aussi brièvement fait allusion à l’apparition d’éléments salafistes en Tunisie.
Tout cela confirme les avertissements du département d’État américain, qui, depuis 2005, s’efforce d’attirer l’attention sur le risque d’attaques terroristes en Tunisie. Le 30 décembre, deux ressortissants tunisiens ont d’ailleurs été arrêtés par les services de sécurité algériens. Ils seraient membres d’un « réseau terroriste international ».
Cela fait beaucoup de zones d’ombre pour un pays habitué au calme et à l’ordre. Et soucieux de préserver cette image pour des raisons économiques évidentes (voir encadré). C’est sans doute ce qui explique que le gouvernement ne communique sur cette affaire qu’avec la plus grande circonspection. Une sorte ?de « service minimum », en somme Il avait adopté la même attitude en avril 2002, après l’attentat contre la synagogue de Djerba (21 morts).

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