L’année de tous les dangers

Parmi tous les désastres potentiels qui menacent de s’abattre sur le monde en 2007, le pire serait une attaque américano-israélienne contre l’Iran.

Publié le 8 janvier 2007 Lecture : 6 minutes.

Bien que percer les brouillards de l’avenir soit toujours une entreprise hasardeuse, on ne court pas grand risque à dire que de tous les désastres potentiels qui pourraient s’abattre sur le monde dans l’année qui commence, le plus catastrophique serait une attaque américano-israélienne contre l’Iran. Est-elle probable, ou même possible ? Hélas, oui. Aux États-Unis et en Israël, les mêmes planificateurs militaires, lobbyistes politiques et stratèges en chambre qui ont entraîné l’Amérique à envahir l’Irak la pressent maintenant de s’en prendre à l’Iran – et en grande partie pour les mêmes raisons. Quelles sont-elles ? En bref, la volonté de contrôler les ressources pétrolières au Moyen-Orient et d’en priver des rivaux potentiels, tels que la Chine, le désir de démontrer aux amis et ennemis de l’Amérique la capacité – dont elle est seule à disposer – de faire valoir sa puissance militaire sur toute la planète, enfin, et surtout, la détermination d’Israël de conserver sa suprématie sur tout autre adversaire régional, en particulier sur un ennemi aussi imprudemment provocant que le président iranien Mahmoud Ahmadinejad.
Pour être efficace, une opération américano-israélienne contre l’Iran devrait détruire non seulement ses installations militaires, mais aussi sa capacité de représailles, autrement dit la totalité de son complexe militaro-industriel. L’attaque devrait être assez dévastatrice pour enlever à l’Iran l’envie et les moyens de répliquer. Cela pourrait nécessiter des semaines de bombardements et de tirs de missiles, et du fait des dimensions du pays et de la dispersion des objectifs militaires, la tâche serait excessivement compliquée. Il semble plus que probable que, s’il est attaqué, l’Iran s’arrangera pour répliquer – contre les troupes américaines en Irak, contre Israël et contre les bases américaines et alliées dans le Golfe. Parmi toutes ces cibles, les États arabes du Golfe – les plus prospères, les plus modernes et les plus tournés vers l’avenir de tout le monde arabe – sont sans doute les plus vulnérables, et ils pourraient partir en fumée. L’impact sur l’avenir de la société arabe serait incalculable. L’impact serait également dévastateur sur les relations arabo-américaines, sur la sécurité à long terme d’Israël, sur l’approvisionnement en pétrole venu du Golfe, sur les cours du pétrole, sur les économies du monde industriel et sur un dollar déjà grandement fragilisé. Et pourtant, aux États-Unis, certaines voix influentes prétendent que la seule manière dont l’Amérique peut espérer « gagner » en Irak est de détruire l’Iran.
Le président George W. Bush doit faire une déclaration sur sa stratégie au Moyen-Orient dans les prochains jours. Tout indique qu’il rejettera les conseils du Groupe d’étude sur l’Irak dirigé par James Baker et Lee Hamilton, à savoir rappeler les troupes présentes en Irak, engager le dialogue avec l’Iran et la Syrie, et faire du règlement du conflit israélo-arabe la priorité numéro un. Au lieu de quoi Bush semble s’engager dans la direction inverse. Il serait question d’envoyer de nouvelles troupes en Irak, de renforcer les sanctions contre l’Iran et la Syrie, de mobiliser les États arabes « modérés » contre les « extrémistes », de donner des armes au gouvernement de Fouad Siniora au Liban contre le Hezbollah, et aux forces du Fatah de Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, contre le gouvernement du Hamas démocratiquement élu.
Dans la Corne de l’Afrique, les États-Unis prêtent leur « soutien tacite » à l’Éthiopie dans sa guerre contre l’Union des tribunaux islamiques somalienne, au nom d’une « guerre mondiale contre le terrorisme » qui continue à créer plus de « terroristes » qu’elle n’en élimine. Au lieu de calmer les passions et d’apporter la paix dans une région profondément perturbée, la Maison Blanche alimente la guerre civile en Irak, expose les troupes américaines à des dangers encore plus grands, oblige l’Iran et la Syrie à renforcer leurs défenses, exacerbe les conflits au Liban et en Palestine, et ouvre en Somalie un « nouveau front » qui risque de déstabiliser une bonne partie de l’Afrique orientale.
Encore prisonnier de la cabale néoconservatrice qui a ruiné sa présidence par sa folle belligérance, Bush continue de considérer l’axe Téhéran-Damas-Hezbollah comme l’ennemi principal qu’il faut abattre. Le vrai danger, cette année, est que l’Arabie saoudite, alarmée par la montée de l’Iran et l’éveil des communautés chiites au Liban et dans la région du Golfe, ne soit amenée à se ranger aux côtés des États-Unis contre Téhéran. Le royaume serait plus avisé d’engager avec Téhéran un dialogue largement ouvert conduisant à un accord sur leurs intérêts mutuels, et même à la conclusion d’un pacte de sécurité irano-saoudien, qui, seul, pourrait stabiliser la région sans l’intervention de puissances extérieures.
Pendant ce temps, Israël continue à jouer au chat et à la souris avec la communauté internationale, faisant semblant d’accorder des concessions à Mahmoud Abbas, comme de supprimer quelques postes de contrôle et de libérer une partie des fonds qu’il a bloqués, tout en créant une nouvelle colonie illégale dans la vallée du Jourdain et en accélérant la construction du honteux mur de séparation. Le message est clair : la mainmise d’Israël sur la Cisjordanie continuera quoi que disent Washington ou d’autres.
La guerre du Liban de l’été 2007 a mis Tel-Aviv devant un choix très net : soit continuer de chercher à dominer la région par la force militaire et à agrandir son territoire aux dépens des Palestiniens, soit faire la paix avec le monde arabe sur une base inspirée de ses frontières de 1967. Le gouvernement Olmert a choisi la première option : il a rejeté l’offre de la Syrie de réengager des négociations sur la restitution des hauteurs du Golan ; il n’a aucune intention de mettre fin à l’occupation de territoires palestiniens ou de permettre la création d’un État palestinien viable ; il réarme et réentraîne ses forces dans la perspective d’un « second round » contre le Hezbollah au Liban ; il continue une guerre d’usure contre le Hamas à Gaza ; et il est déterminé à garder le monopole régional des armes de destruction massive. Plusieurs personnalités israéliennes importantes ont même déclaré que si les États-Unis ne détruisent pas les installations nucléaires de l’Iran, Israël doit s’en charger.
Si l’on considère l’impact probable de ces politiques américaine et israélienne, il est évident que l’année qui commence devrait être chaude dans la région. Le vrai problème est l’absence d’un leadership mondial. Il n’y a à peu près personne qui ait le pouvoir ou la vision nécessaires pour mettre fin à l’anarchie internationale actuelle. George W. Bush s’est déconsidéré et a ruiné l’autorité américaine avec ses errements. Vladimir Poutine a réussi à ramener la Russie aux premiers rangs des puissances internationales, mais son objectif principal reste de rétablir le contrôle de l’État sur la production de pétrole et de gaz tout en maintenant solidement ses voisins, tels que l’Ukraine, la Biélorussie et la Géorgie, dans son orbite.
L’Union européenne (UE) donne le magnifique exemple de vingt-sept pays, qui, par un accord mutuel et grâce à des lois soigneusement conçues, permettent à 500 millions de personnes de vivre dans la paix, la stabilité et une prospérité remarquable. Mais pour ce qui est de la politique étrangère commune, l’UE est un échec. Ses membres tirent à hue et à dia. Le Britannique Tony Blair a marginalisé son pays par un attachement servile aux États-Unis. Il quittera le pouvoir, de toute façon, en 2007. Le président Jacques Chirac, fin connaisseur du Moyen-Orient, partira de l’Élysée en mai. Aucun de ses éventuels successeurs n’a une grande expérience en politique étrangère, et l’un comme l’autre se sont politiquement fourvoyés. À droite, Nicolas Sarkozy ne veut pas de la Turquie dans l’UE, une erreur stratégique, et la socialiste Ségolène Royale s’est engagée à empêcher l’Iran d’acquérir la technologie nucléaire, même à des fins pacifiques ! Des deux, Sarkozy est le plus dangereux, car il risque de renoncer à la politique chiraquienne d’indépendance dans le domaine international et de s’aligner sur les États-Unis et Israël.
Au Moyen-Orient, trois hommes auront, cette année, une lourde responsabilité : le roi Abdallah d’Arabie saoudite, le président égyptien Hosni Moubarak et le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan. Tous trois ont de graves problèmes chez eux, mais s’ils mettaient en commun leurs considérables ressources et conjuguaient leur influence politique, ils pourraient protéger la région des désastres qui la menacent.

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