La méthode Gizenga

L’ancien compagnon de route de Patrice Lumumba devra faire preuve d’habileté et de courage pour relever les défis qui l’attendent à la tête du nouveau gouvernement.

Publié le 8 janvier 2007 Lecture : 6 minutes.

« Ce n’est pas à 81 ans que l’on va changer Antoine Gizenga. Les principes moraux et la rigueur qui ont conduit sa vie vont à présent nourrir son action à la tête du gouvernement », assure Godefroid Mayobo, le porte-parole du Parti lumumbiste unifié (Palu). Après vingt-cinq ans d’exil et quatorze ans d’opposition (voir J.A. n° 2397), l’ancien compagnon de route de Patrice Lumumba, qui n’a jamais cédé aux sirènes du pouvoir lorsque celles-ci étaient placées sous le signe de la compromission, est devenu le 30 décembre, le Premier ministre de la République démocratique du Congo. Il est le 21e chef de gouvernement depuis l’indépendance, en 1960. Nommé par le président Joseph Kabila, conformément aux accords conclus au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle du 30 juillet 2006, le voilà au pied du mur. Le défi est immense : la reconstruction d’un pays dévasté par la guerre, pillé pour ses ressources naturelles et ravagé par une pauvreté endémique. Le « patriarche », réputé inflexible et incorruptible, va être jugé sur pièces.
Les relations sont sereines, confiantes et totalement apaisées, assurent les entourages respectifs des deux dirigeants. Les séances de travail sont régulières, courtoises et approfondies, précise Mayobo, qui a assisté à plusieurs de ces entretiens. « L’arrivée d’Antoine Gizenga est une chance historique et extraordinaire », déclare même sans ambages Léonard She Okitundu, directeur de cabinet du chef de l’État. « Par son parcours, il incarne une revanche de l’Histoire et referme définitivement la parenthèse Mobutu », espère-t-il avant de rejeter les faiblesses supposées du nouveau Premier ministre.
De fait, si l’âge peut engendrer une faiblesse physique, il permet aussi d’accéder au statut de « vieux sage » au-dessus de la mêlée. N’ayant rien à perdre, rien à gagner, cet homme est libre. Et il va être difficile d’exiger de lui quoi que ce soit. Quant à son inexpérience aux plus hautes fonctions de l’État, elle symbolise la volonté de rupture voulue par les électeurs. Le projet présenté se veut ambitieux et sans concession : « tourner le dos » aux mauvaises habitudes, renouveler la classe politique en écartant les pamevo (« paresseux, menteurs, voleurs»), chasser les « antivaleurs » (corruption, clientélisme) pour renouer avec celles des années 1960 qui ont conduit à l’indépendance (sens de l’État, unité du pays). Mais au-delà des symboles et du discours, il va falloir gouverner et savamment doser le partage du pouvoir.
« L’entente entre l’Alliance pour la majorité présidentielle [AMP] et le Palu repose sur une unité idéologique », se risque Okitundu. « Les marges de manuvre dont nous disposons sont convenables, car la coalition s’appuie sur une vision commune. La répartition des postes ministériels doit correspondre au poids électoral des différentes formations politiques », assure Mayobo. S’appuyant sur une écrasante majorité parlementaire de 332 députés sur 500, Gizenga peut donc, à première vue, compter sur le fair-play de l’entourage présidentiel. La Constitution fixe d’ailleurs très clairement les règles du jeu. « Le président de la République nomme les membres du gouvernement et met fin à leurs fonctions sur proposition du Premier ministre », précise l’article 78. « Le gouvernement définit, en concertation avec le président de la République, la politique de la nation », stipule l’article 91.
Il faudra cependant dompter la tentation hégémonique du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD) qui a raflé 111 sièges, contre 34 pour le Palu. Son secrétaire général, Vital Kamerhe, a été, logiquement, élu président de l’Assemblée nationale après avoir battu campagne dans toutes les provinces pour le président Kabila. Quant aux membres de la formation présidentielle habitués aux prébendes du pouvoir, il n’est pas certain qu’ils acceptent d’être sacrifiés sur l’autel du rassemblement. Malgré le soutien de l’opinion, le nouvel exécutif va devoir prendre garde à ne pas additionner les déçus dans ses propres rangs. À terme, ceux-ci pourraient, sinon, rejoindre l’opposition « forte et républicaine » conduite par l’Union pour la nation (UN) de Jean-Pierre Bemba, ou bien, encore, renforcer les rangs de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) d’Étienne Tshisekedi, « le front du refus », qui parie sur un échec de l’attelage Kabila-Gizenga après avoir boycotté le processus électoral.
Le plus difficile pour les deux dirigeants ne sera pas de mener une politique commune, mais de calmer les ardeurs de leurs proches afin de ne pas les perdre. La paix sociale et la stabilité politique sont à ce prix. Dans son ordonnance de nomination, le président Kabila a pris les devants en demandant à son Premier ministre de respecter, dans la composition de son équipe, les principes de représentativité nationale ainsi que « les critères de compétence, d’honorabilité, de crédibilité et d’intégrité ». Message reçu cinq sur cinq. Mais Gizenga fait aussitôt savoir qu’il rejette toutes les personnalités citées dans des rapports parlementaires sur les contrats miniers opaques ou dans ceux de l’ONU sur le pillage des ressources naturelles.
Dans ses vux de nouvel an, le président enfonce le clou : « L’année 2007 qui commence sera une année d’exorcisme collectif [] qui requiert un changement profond des mentalités, une révolution morale et éthique. » Une allocution que Gizenga aurait pu prononcer à la virgule près. L’exécutif bicéphale est sur la même longueur d’onde. Les équilibres politiques et régionaux seront respectés, mais on y ajoutera une touche de respectabilité et de bonne moralité. Au final, cela devrait donner naissance, autour du 10 janvier, à un gouvernement pléthorique d’une soixantaine de membres rassemblant une quarantaine de ministres – dont cinq avec le rang de ministre d’État – et une vingtaine de vice-ministres. Pour certains il s’agirait d’inconnus, de nouveaux venus, de technocrates, parfois issus de la diaspora. Deux ministres sans portefeuille (faisant office de directeur de cabinet) se verraient rattachés au président et au Premier ministre.
« Nous sommes confiants, sereins et prêts à assumer nos responsabilités », assure Sylvain Ngabu, le secrétaire permanent sortant du Palu, appelé à « de hautes fonctions étatiques », selon les propres termes de son collègue Mayobo. « Il n’y a pas de rivalités et nous n’avons pas modifié notre fonctionnement », ajoute le porte-parole qui souligne l’organisation rigoureuse de son parti beaucoup plus habitué à la rigueur de la clandestinité qu’aux délices du pouvoir. Telle une armée disciplinée, le Palu dispose d’un service courrier, protocole, logistique ainsi que d’une solide direction. La base est régulièrement consultée. Cela a été le cas lors de la candidature du « chef », dont la caution de 50 000 dollars a été payée par les militants sous forme de souscription. Les décisions sont prises collégialement au sein d’un comité exécutif national réunissant au moins trente membres ou bien par un conseil plus restreint.
Quant à Gizenga, il est resté le même malgré un agenda chargé et les nombreuses navettes effectuées entre le siège du Palu, dans le quartier de Limete, la primature et la présidence situées le long du fleuve Congo. Son équipe rapprochée est sollicitée, mais l’arbitrage final ne souffre d’aucune contestation. Il répartit les tâches au sein de son état-major, consulte les dossiers et tranche. Les demandes d’audiences sont nombreuses, mais sélectionnées sans concession. Il est levé à l’aube et s’impose la même discipline de vie. « Pas d’excès de table, pas d’alcool, de la lecture et du temps pour la réflexion. » « À présent, il va être bousculé, recevoir des flèches mais c’est la meilleure façon de mourir, laisser les siens sur le bon chemin et mettre fin à un système qui a détruit le pays », conclut son porte-parole. À 81 ans, ce sera le point d’orgue d’une carrière entamée en 1960. À l’époque, tout était différent dans ce qui allait devenir la République démocratique du Congo.

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