Kadhafi, les satans et la statue

Publié le 8 janvier 2007 Lecture : 2 minutes.

Saddam Hussein sur son gibet aura donc sa statue en plein centre de Tripoli, aux côtés de celle du héros nationaliste local Omar el-Mokhtar, lui aussi pendu, par les Italiens, il y a 75 ans. Ainsi en a décidé Mouammar Kadhafi après avoir décrété, seul au monde, trois jours de deuil national en l’honneur du « martyr » et « prisonnier de guerre » exécuté à Bagdad. « Tout cela est une farce », a commenté le colonel. « Où est le pape ? Où sont les Églises ? est Confucius ? Pourquoi tant d’hypocrisie ? Ce monde ne compte pour rien. C’est une saloperie. Ce monde dégradé et lâche a peur de la vérité. Il n’est peuplé que de satans muets. » L’air épuisé, les joues mangées par une barbe de trois jours, fixant la caméra, le « Guide » a conclu son speech du 31 décembre devant les ambassadeurs et les leaders religieux en répétant qu’à ses yeux les Américains et les Britanniques qui occupent l’Irak auraient dû avoir « le courage d’exécuter eux-mêmes Saddam Hussein », plutôt que de sous-traiter cette besogne à un « gouvernement illégitime ».
Pourquoi tant d’affliction et de compassion envers un homme que Kadhafi a toujours considéré comme un rival, qui le méprisait et avec lequel il ne s’est jamais entendu ? Peut-être pour conjurer le sort : la chute, puis l’arrestation de Saddam furent, on le sait, déterminantes dans la décision prise par Kadhafi de livrer à la justice internationale les suspects de l’attentat de Lockerbie, puis d’abandonner entre les mains des Américains son propre programme d’armes de destruction massive. Surtout, le colonel a trouvé là une excellente occasion de redorer son blason auprès d’une « rue arabe » qui lui reproche de s’être rendu en rase campagne et d’avoir, par crainte de subir le même destin que Saddam, opéré un virage à 180 degrés en direction de Washington. À l’image de cette Algérienne de 35 ans qui s’est jetée par la fenêtre de son immeuble après avoir regardé les images de la pendaison sur Al-Jazira, une bouffée d’irrationnel mêlée de colère et de honte a traversé le monde arabe le jour de l’Aïd. C’est cette émotion que Kadhafi a avant tout cherché à capter, en fonction de critères et de calculs où la sincérité ne tient qu’une part très réduite. Nul doute, pour le reste, que le colonel ne tirera aucune conséquence de l’exécution de son « frère Saddam » en termes de politique extérieure. Le rapprochement de la Libye avec les bourreaux du dictateur pendu se poursuivra inexorablement. Choqué, Mouammar Kadhafi ? Sans doute. Fou, certainement pas. C’est ce qu’on appelle l’instinct de conservation.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires