Accords Maroc-UE : quand la justice européenne bafoue le droit international
Considérée par certains comme un camouflet pour le Maroc face au Polisario, l’annulation par la Cour de justice de l’Union européenne de deux accords de libre-échange entre Rabat et Bruxelles n’est rien de moins qu’une injure au droit international.
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Samir Bennis
Analyste politique, cofondateur de Morocco World News, Washington
Publié le 29 octobre 2021 Lecture : 4 minutes.
Le 29 septembre dernier, répondant à un recours déposé par les indépendantistes sahraouis du Front Polisario, la justice européenne décidait d’annuler deux accords commerciaux entre le Maroc et l’UE, entrés en vigueur deux ans plus tôt.
Le premier avait trait à l’application de tarifs préférentiels aux produits agricoles en provenance du Maroc. Le second, relatif à la pêche, permettait aux navires européens d’accéder aux eaux atlantiques, jusqu’au Sahara occidental. Pour les juges européens, « le peuple sahraoui » a le droit d’être consulté lorsqu’un accord commercial concerne le territoire sur lequel il est installé. En mettant en avant cet argument pour motiver sa décision, le tribunal européen, volontairement ou non, s’est placé sur le terrain politique, foulant au pied, par la même occasion, les principes du droit international.
Outrepasser ses prérogatives
Il faut savoir que ce tribunal n’a pas compétence pour statuer sur des litiges opposant l’UE à un État tiers, c’est-à-dire un État ne faisant pas partie de l’institution. De tels différends relèvent de la Cour internationale de justice (CIJ), laquelle ne peut intervenir que dans des conflits opposant deux États – ou un État à une organisation internationale ou régionale –, à condition, toutefois, que les parties concernées lui en fassent expressément la demande. La CIJ a consacré ce principe dans le jugement qu’elle a rendu le 30 juin 1995 sur le litige opposant le Portugal et l’Australie.
Le Polisario n’a pas de personnalité juridique lui permettant de présenter un recours devant les juridictions de l’UE
Pour rappel, en 1989, Canberra et Jakarta avaient signé des accords sur l’exploitation de l’espace maritime du Timor oriental, colonie portugaise envahie par l’Indonésie en 1975 et annexée unilatéralement un an plus tard, en 1976. Saisie par Lisbonne pour qui ces accords étaient illégaux, la CIJ s’était déclarée incompétente à se prononcer sur le comportement de l’Indonésie sans que celle-ci ait formellement sollicité son arbitrage. Il apparaît donc clairement que le tribunal européen a non seulement outrepasser ses prérogatives en empiétant sur celles de la CIJ, mais, surtout, il s’est mis en porte-à-faux avec la jurisprudence de la CIJ et, plus généralement, avec le droit international.
En effet, parce qu’il n’est pas un sujet du droit international, c’est-à-dire une entité ayant les attributs d’un État, le Polisario n’a pas de personnalité juridique lui permettant de présenter un recours devant les juridictions de l’UE. L’argument suivant lequel il serait représentatif du « peuple du Sahara occidental » – et aurait donc la « capacité d’agir devant le juge de l’Union » – est significativement en contradiction avec la convention de Vienne sur le droit des traités, « applicable aux États et eux seuls », comme l’a démontré le professeur Abdelhamid el-Ouali. Professeure à la Hague University of Applied Sciences, Eva Kassoti elle aussi abonde dans le même sens et ses multiples travaux sur le sujet en attestent.
Une discutable représentativité
En arguant que le Polisario est le « seul représentant légitime » des Sahraouis, la justice européenne laisse aussi entendre que seuls ceux qui sont installés dans les camps de Tindouf sont considérés comme des Sahraouis. Ce qui, évidemment, est très loin de la réalité. Ce n’est pas la première fois qu’un tel sous-entendu est relevé.
Ainsi, dans un article paru le 14 juin 1979, Charles Vanhecke, correspondant du journal Le Monde à Madrid, soulignait qu’alors même que les dirigeants espagnols savaient pertinemment que « le Polisario […] est composé pour moitié de Sahariens venus du Niger, du Mali, de Mauritanie et d’Algérie », ils étaient disposés à pencher en sa faveur sous prétexte qu’il avait « réussi à créer une volonté commune parmi les populations sahraouies ».
Même son de cloche chez Mustapha Salma Ould Sidi Mouloud, ancien chef de police du Polisario, qui, en janvier 2020, me confiait que « l’Algérie et le Polisario [s’employaient] à faire oublier à la communauté internationale qu’un tiers des Sahraouis dans les camps sont des Reguibat originaires du sud-ouest de l’Algérie et n’ont aucun lien avec le Sahara ».
En posant mal l’équation du conflit du Sahara, le tribunal européen alimente l’illusion d’indépendance et pérennise ainsi l’impasse diplomatique
En suggérant que les Sahraouis vivant dans les camps de Tindouf sont les seuls habilités à donner leur consentement pour l’exploitation des ressources du Sahara, le tribunal européen dénie à la majorité des Sahraouis, qui vit dans les régions de Dakhla et Laâyoune sous souveraineté marocaine, le droit d’être considérés comme des Sahraouis originaires du Sahara et celui de s’en réclamer. Aussi, dans les camps de Tindouf, beaucoup, désormais, n’ont plus foi au Polisario. Si certains reprochent aux séparatistes la corruption endémique et le détournement de l’aide humanitaire destinée aux réfugiés, d’autres n’ont simplement plus confiance en leur capacité à mettre fin aux souffrances des Sahraouis.
Incompatibilité avec le processus politique
Et le langage adopté par le tribunal européen dans l’arrêté de son verdict n’arrange rien à l’affaire car il est en inadéquation avec celui du Conseil de sécurité des Nations unies (ONU), seule instance habilitée à statuer sur le conflit du Sahara. Contrairement à l’ONU qui évoque un processus visant à parvenir à une solution politique, le verdict mentionne plusieurs fois une autodétermination synonyme d’indépendance.
Pour quiconque prend le temps de lire les résolutions du Conseil de Sécurité depuis avril 2007, ainsi que les derniers rapports du secrétaire général de l’ONU, il est désormais plus qu’évident que le processus de recherche de solution que préconise l’ONU exclue toute idée de référendum d’indépendance et met plutôt l’accent sur la nécessité d’une solution politique réaliste.
« Mal nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs du monde », disait Albert Camus. De même, en posant mal l’équation du conflit du Sahara, en simplifiant à outrance les complexités historiques et sociales pour aboutir à un verdict politique et erroné, le tribunal européen s’aligne sur les positions de ceux dont la posture doctrinale de sauveurs du mythique peuple Sahraoui alimente l’illusion d’indépendance et pérennise ainsi l’impasse diplomatique et la tragédie sociale qui en découlent.
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