Business nuptial

Ils sont traiteurs, décorateurs, couturiers, coiffeurs ou musiciens… Toute une florissante industrie se développe autour de l’institution du mariage.

Publié le 8 janvier 2007 Lecture : 4 minutes.

Quand on aime, dit-on, on ne compte pas. Les tourtereaux, sans doute, mais leurs parents ? Qu’il soit traditionnel ou « à l’occidentale », un mariage en Tunisie est en effet hors de prix. La famille de Walid (27 ans) en sait quelque chose : la cérémonie nuptiale de leur rejeton, l’été dernier dans un hôtel de la capitale, lui a coûté la bagatelle de 12 000 DT (7 000 euros). Comme elle ne roule pas sur l’or, elle a eu du mal à réunir une telle somme. « Heureusement, les banquiers nous ont soutenus », explique le père.
Pour complaire à leurs chérubins, pour la plupart de plus en plus exigeants, les parents dépensent davantage d’année en année et n’hésitent pas à s’endetter pour s’offrir des cérémonies mémorables. La règle consistant à faire mieux que weld flen, le « fils d’untel », quitte à se ruiner, la concurrence fait rage. Fonctionnaire dans une banque à Sousse, Mohamed n’a pas fini, six mois après, de rembourser la robe de mariage de sa fille aînée, « en mousseline de soie et dentelle », précise-t-il. Ladite robe lui a coûté trois mois de salaire, mais il n’hésitera pas à remettre ça pour le mariage de ses quatre autres filles. « On leur en a mis plein les yeux, à la belle-famille ! » pavoise-t-il. Quand on lui demande comment il compte se débrouiller pour faire face à la dépense, il lève les yeux au ciel : « Dieu nous viendra en aide, sinon… ça sera au tour de ma femme de contracter un crédit. » Heureusement, les banques ne se montrent pas trop regardantes
Reste que l’élévation de l’âge moyen du mariage – 30 ans pour les hommes, 28,5 ans pour les femmes – a bouleversé la donne. Plus âgés qu’autrefois, les futurs mariés sont souvent entrés dans la vie active au moment de leur union et disposent d’un pouvoir d’achat qui leur permet de participer aux dépenses. Une enquête menée récemment à Tunis, Sousse et Sfax montre que les jeunes en âge de se marier sont prêts à engloutir dans l’opération jusqu’à 95 % de leurs économies. Pour 35 % d’entre eux, il s’agit avant tout de se faire plaisir et de fêter dignement le « plus beau jour de leur vie », mais 51 % reconnaissent avoir pour principal objectif d’impressionner le voisinage. Au-delà de sa dimension économique, la signification du mariage reste pourtant inchangée aux yeux des principaux intéressés. 85 % des jeunes interrogés n’envisagent de se marier que par amour. Et 97 % voient dans cette institution une « valeur refuge », synonyme de sécurité. Bref, on se marie pour ne pas rester seul.
En l’occurrence, le bonheur des uns fait aussi celui des autres : tous les corps de métier liés de près ou de loin à l’organisation des cérémonies. En été, comme il est de tradition en Tunisie, mais aussi, de plus en plus souvent, en hiver, coiffeurs, traiteurs, décorateurs, couturiers et quelques autres sont débordés. Sorte de catalogue en ligne créé en juillet 2005, le site Internet mariagedetunisie.com présente une longue liste de sociétés et de particuliers choisis en fonction de leur sérieux et de la qualité de leurs prestations. On y trouve, par exemple, des instituts de beauté proposant une « formule mariée » pour un prix moyen de 500 DT (300 euros). Ou des entreprises spécialisées dans la décoration et l’« aménagement d’espace ». C’est le cas de la société Khima, qui, pour un budget moyen de 3 500 DT, se fait fort de rendre votre soirée « inoubliable ». L’idée de mariagedetunisie.com est née d’un constat. « Il n’existait pas de site regroupant tout ce qui gravite autour du mariage, alors que la demande était bien réelle, explique une responsable du site. Les futurs mariés recherchent aujourd’hui la facilité. Ils disposent de peu de temps et apprécient de tout trouver au même endroit. C’est la raison de notre succès. »
Quant à ceux qui n’ont toujours pas trouvé chaussure à leur pied, qu’ils ne désespèrent pas : la solution existe, même si elle n’est pas vraiment bon marché ! Suprême Relation, une agence matrimoniale créée en 2001, leur propose pour 484 DT (280 euros) par an de les aider à dénicher le (ou la) conjoint(e) idéal(e). L’amour sur catalogue, en somme. Vous recherchez une grande brune plantureuse branchée balades romantiques ? Un jeune cadre dynamique bien sous tous rapports ? Pas de problème, il suffit de demander. Et de passer à la caisse. « Nous sommes la seule agence matrimoniale sur le marché », précise fièrement Rim Ouertani, sa responsable. Son business n’est certes pas encore florissant, mais elle garde confiance : « À bien des égards, notre démarche innovante est en contradiction avec les us et coutumes de la société tunisienne. Mais les mentalités changent avec l’arrivée des nouvelles générations. »
Bien sûr, les traiteurs figurent parmi les grands gagnants de ce « business du mariage ». À preuve, leur nombre est en progression exponentielle. « Ils sont tellement nombreux que je ne sais plus à qui m’adresser », se lamente Amel, une pharmacienne de 28 ans dont le mariage est prévu au mois de juillet, à Hammamet. Cocktails dînatoires, buffets ou repas assis, les prix varient naturellement en fonction de la formule choisie.
Et puis, il y a la pièce maîtresse de toute cérémonie nuptiale qui se respecte : l’animation musicale. Aucune troupe n’acceptera de se déplacer pour moins de 250 DT (147 euros), même si les prix sont très souvent négociables et varient sensiblement en fonction de la saison. Un chanteur ou une chanteuse de renom fera s’envoler l’addition jusqu’à 1 000 DT, voire beaucoup plus dans le cas d’une star. Et il restera encore à louer une salle (à partir de 600 DT)…
Tout est enfin réglé, la fête peut commencer. Les mariés, leurs proches et leurs invités vont danser, chanter et taper interminablement dans leurs mains, sans se soucier du lendemain. Et qu’importe si, en 2005, un mariage tunisien sur six s’est terminé par un divorce !

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