Un second souffle pour les partis ?

La loi votée le 21 octobre par la Chambre des représentants devrait contribuer à assainir le fonctionnement des formations politiques. Même si certains jugent excessif le rôle dévolu au ministère de l’Intérieur.

Publié le 7 novembre 2005 Lecture : 6 minutes.

Des partis rajeunis et féminisés où la démocratie interne deviendrait la règle, des programmes intelligibles, des comptes transparents, la fin du nomadisme parlementaire… C’est sur ces orientations que discutaient depuis un an, avec plus ou moins de bonheur, le ministère de l’Intérieur, à l’origine du projet de loi sur les partis, adopté le 20 octobre, et les principaux concernés, invités à commenter le texte. L’objectif était de répondre à la demande expresse du monarque, formulée lors du discours du Trône de juillet 2004, de rendre l’action politique plus saine et plus transparente, et ce à moins de deux ans des prochaines élections législatives.
Le foisonnement des partis, la transhumance parlementaire – pratique répandue qui veut que des députés, une fois élus, rejoignent contre rétribution d’autres groupes -, la corruption, le maintien désespéré des caciques à leur poste, l’absence de démocratie interne… ont donné une piètre image des moeurs politiques. Ce qui a eu pour principales conséquences le désintérêt chronique des Marocains vis-à-vis de leur classe politique et le découragement des nouvelles élites à intégrer un jeu qu’ils jugent vicié.
« Vous rendez-vous compte que Mohammed VI discute avec des hommes qui discutaient déjà avec son grand-père ? » Lancée en forme de boutade, cette déclaration du politologue Mohamed Tozy n’en traduit pas moins une des réalités incontournables de la vie politique marocaine : depuis des décennies, les Yazghi (Union socialiste des forces populaires, USFP), Aherdane (Mouvement populaire, MP), Osman (Rassemblement national des indépendants, RNI) et autres dinosaures s’accrochent avec l’énergie du désespoir à leur position, se préoccupant plus de leur devenir personnel que de celui de la nation.
Partant, ils ont oublié le rôle naturellement dévolu aux partis d’encadrement des masses, dont ils n’ont cessé de s’éloigner au nom d’un réformisme consensuel, tout en se retrouvant dans l’incapacité de maîtriser élus et discipline de vote. Quand ils n’ont pas donné le spectacle désolant d’achats de voix. Du coup, que ce soit pour cause d’egos démesurés ou de volontarisme politique, « la promotion de nouvelles générations ne s’est faite qu’à travers des scissions », rappelle Mohamed Tozy. Ainsi en est-il d’un certain nombre de partis issus du mouvement national comme l’Organisation de l’action démocratique et populaire (OADP, ex-23-Mars, lui-même créé par d’anciens étudiants affiliés à l’Union nationale des forces populaires) ou plus récemment la Gauche sociale unifiée (GSU).
Aux côtés de ces « sécessionnistes », on trouve aussi pléthore de partis de l’administration, en clair voulus par la monarchie, à l’instar d’un Mouvement populaire créé pour faire contrepoids à la bourgeoisie citadine de l’Istiqlal. De même que le Rassemblement national des indépendants, en fédérant au Parlement notables ruraux et citadins sous l’étiquette d’indépendants, devait veiller à l’application du pacte de la Marche verte.
Et c’est ainsi qu’aujourd’hui ce sont pas moins de vingt-six partis qui s’affrontent sur l’échiquier, représentant « toutes les nuances qui peuvent exister entre la gauche, l’extrême gauche, la droite conservatrice et libérale et les islamistes ». Sauf que ces nuances sont souvent très ténues et que tout le monde s’y perd, à commencer par les citoyens.
Pour Mohamed Tozy, le projet de loi adopté le 21 octobre par la Chambre des représentants correspond au souhait du pouvoir de s’entourer d’une nouvelle élite politique en phase avec les masses, capable de conduire les réformes et de les appliquer. À l’heure de l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH), nouveau chantier de la monarchie lancé le 18 mai dernier, il devient urgent de remplacer analphabètes et autres corrompus notoires, notamment dans les 1 500 communes que compte le royaume, par des gens en mesure de relayer sur le terrain les politiques gouvernementales. Tout en évitant deux écueils majeurs : l’amazighité et, surtout, l’islamisme.
Seuls à sortir plus ou moins leur épingle de ce jeu peu reluisant, les islamistes du Parti de la justice et du développement (PJD), vierges de toute expérience dans la conduite des affaires gouvernementales, surfent sur les vagues du mécontentement populaire et risquent de rafler la mise en 2007. S’ils sont bien en mal de construire un programme économique viable, il leur est facile de dénoncer, pêle-mêle, le clientélisme, le népotisme, l’affairisme des hommes politiques qui ont « construit » le Maroc depuis l’indépendance, avec les résultats économiques et sociaux que l’on sait.
Reste que, dans la nouvelle loi, est déclarée « nulle et de nul effet toute constitution de parti fondée sur une base religieuse, linguistique, ethnique ou régionale… ». Si le PJD – qui a beau jeu d’affirmer que l’islam est un référentiel commun inscrit dans la Constitution – ne s’affiche pas dans ses statuts comme un parti fondé sur une base religieuse, il ne pourra plus jouer sur ce registre au risque d’être légalement suspendu, voire interdit.
Cette tutelle de l’Intérieur (qui se manifeste dans la loi de la création à l’interdiction en passant par la suspension d’un parti) est souvent assimilée à une mainmise d’un département qui entend réguler la vie politique, ses travers et ses défaillances. Pour Mohamed Tozy, elle démontre aussi et surtout la frilosité et l’incapacité des partis à s’organiser. « Qu’est-ce qui empêchait, par exemple, les partis de lutter contre le nomadisme parlementaire ? Il aurait suffi qu’ils se mettent d’accord entre eux pour refuser l’entrée et la sortie des SPF, les « sans parti fixe » », avance le politologue. Mêmes interrogations et conclusions concernant la transparence financière, la démocratie interne, l’organisation des congrès…
S’il ne croit guère à l’efficacité de cette loi sans clarification idéologique, le même Tozy estime que certains aspects peuvent néanmoins contribuer à un assainissement de l’échiquier politique. Ainsi en est-il de la transparence financière (articles 28 à 40), puisque dorénavant les comptes des partis devront être arrêtés annuellement et certifiés par la Cour des comptes. Quand, à son retour de France en 1993, Abderrahmane Youssoufi, alors secrétaire général de l’USFP, avait promis d’effectuer un audit interne pour divulguer les comptes sur lesquels planaient des soupçons, il n’a pas pu tenir parole. De même, chacun garde en mémoire les luttes fratricides qui avaient secoué le Parti du progrès et du socialisme (PPS, communiste) à la mort d’Ali Yata pour savoir à qui revenaient, du parti ou de la famille, l’imprimerie et le journal. Comptes personnels et ceux du parti étant souvent confondus.
Certes, l’application des nouvelles dispositions n’ira pas sans déchirement interne. Mais quel parti aurait pu se permettre de défendre l’opacité ? D’autant que le ministère de l’Intérieur a laissé deux ans aux partis pour être en conformité avec la loi, une fois celle-ci promulguée. Par ailleurs, certains optimistes voient dans l’article 24, qui stipule que le « mode de choix et d’accréditation des candidats du parti aux différentes consultations électorales doit être fondé sur des principes démocratiques », la fin de la pratique bien connue – et détestée des militants – de la vente des « tazquiat » (accréditations). Là encore, les partis n’ont guère protesté, même si les tazquiat leur rapportent beaucoup d’argent et permettent de parachuter à la dernière minute les « candidats » que les états-majors partisans pensent à même de gagner.
En dépit d’une timide levée de boucliers, notamment sur le rôle dévolu au ministère de l’Intérieur et sur la question du seuil de représentativité – seuls les partis ayant remporté au moins 5 % des voix aux législatives de 2002 bénéficieront dorénavant d’une subvention de l’État -, la plupart des groupes parlementaires ont voté en faveur de cette loi (à l’exception des deux députés du Parti socialiste unifié [PSU] qui ont voté contre et des vingt-deux députés du PJD qui ont préféré s’abstenir). Sans doute parce que ce projet, comme l’a rappelé récemment Abdelouahed Radi de l’USFP, est avant tout le produit d’une « volonté royale ». Plus sûrement, parce que chacun sait que le véritable enjeu se situe ailleurs. Dans une réforme de la Constitution, qui, pour le moment, est loin d’être à l’ordre du jour.

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