Un consensus à bout de souffle

Le mandat du président Amadou Toumani Touré n’arrive à expiration que dans dix-huit mois. Mais l’échéance agite déjà la classe politique.

Publié le 7 novembre 2005 Lecture : 4 minutes.

Ibrahim Boubacar Keita (IBK), président de l’Assemblée nationale, mis en minorité. Mort annoncée d’une importante alliance politique : Espoir 2002, regroupement de formations et de personnalités incontournables dans la vie politique, qui porte sa date de naissance dans son appellation. Positions contradictoires au sein de la direction du parti, sans doute le plus important du pays : l’Alliance pour la démocratie au Mali (Adéma). Bref, la démocratie du consensus a vécu.
Modèle unique, ce système de gestion du pays et des hommes a son histoire, ses personnages. Il a eu pour effet d’endormir (durablement ?) la totalité de la classe politique, en faisant disparaître, comme par magie, toute voix discordante. Autoritarisme du président Amadou Toumani Touré (ATT) ? Pas le moins du monde. Le général devenu président est cet officier qui avait renversé, en 1991, le régime de Moussa Traoré et épargné de nombreuses vies humaines durant la fièvre démocratique qui s’était emparée du pays sous la houlette de l’Adéma. ATT est aussi le premier auteur d’un coup d’État militaire à tenir sa promesse de rendre le pouvoir aux civils, en organisant des élections générales pluralistes libres et transparentes.
D’où vient alors l’atonie de la classe politique ? Elle a commencé à se manifester en avril 2002. Le pays est alors en pleine campagne pour l’élection présidentielle. Alpha Oumar Konaré, le chef de l’État sortant, ayant accompli les deux mandats que lui permet la Constitution, ne se représente pas. Son parti, l’Adéma, qui n’a pas préparé la succession, est laminé par une multitude de candidatures. Celle de Soumaila Cissé, ancien ministre des Finances, membre du « clan de la CMDT » (du nom de la Compagnie malienne pour le développement du textile) incarnant l’élite intellectuelle qui a activement contribué à la chute du parti unique de Moussa Traoré, semble la plus sérieuse. IBK, ancien Premier ministre de Konaré, se retire de l’Adéma, crée le Rassemblement pour le Mali (RPM) et se lance dans la course.
Les grandes figures de l’opposition, Choguel Maiga, chef de file du Mouvement patriotique pour le renouveau (MPR, se réclamant de Moussa Traoré), et Mountaga Tall, avocat et leader du Congrès national d’initiative démocratique (CNID), entrent en lice à leur tour. Mais tous les pronostics donnent leur faveur à ATT, qui brigue le palais de Koulouba en candidat indépendant, appuyé par une constellation de petits partis et de membres de la société civile. Le général est cependant contraint à un second tour par Soumaila Cissé, qui devance IBK. L’ancien Premier ministre se console en prenant l’initiative de convier chez lui tous les candidats malheureux du premier tour. Cette réunion informelle débouche sur la création d’un front politique au spectre large, soutenant ATT : Espoir 2002. Même le parti de Cissé est divisé. Une partie de l’encadrement de l’Adéma apporte son soutien au général au détriment de son propre candidat. C’est ainsi qu’ATT a été porté vers Koulouba par un consensus général.
Depuis, il n’y a plus d’opposition. Tout le monde, ou presque, est représenté dans les institutions de la République. IBK hérite du perchoir, Mountaga Tall est son premier vice-président, Choguel Maiga dirige le département ministériel de l’Industrie. Quant à l’Adéma, elle rentre dans le rang. C’est ainsi que naquit la démocratie de consensus qui a caractérisé les quarante mois de règne d’ATT. Avant d’éclater, le 3 octobre 2005, à l’occasion de la rentrée parlementaire et du renouvellement des structures de l’Assemblée. IBK ayant manifesté son intention de briguer le fauteuil présidentiel, en avril 2007, ses alliés d’hier se rebiffent et le mettent en minorité. À la tête de cette fronde : Mountaga Tall. Le MPR de Choguel Maiga (4 députés) et l’Adéma (35 représentants dans l’Hémicycle), soutenant l’idée d’un second mandat pour ATT, se joignent à la manoeuvre.
Constitutionnellement, IBK ne peut perdre le perchoir (le mandat de président de l’Assemblée dure toute la législature), mais le RPM, parti le plus représenté au sein de l’institution législative (49 députés pour un total de 150), est paradoxalement absent des commissions parlementaires. Ce miniséisme provoque des répliques au sein de l’Adéma. Des barons de l’ancien parti au pouvoir exigent un débat interne sur la position à tenir en vue de l’échéance électorale de 2007. Soumailou Boubèye Maiga, ancien journaliste et ex-patron des services secrets, Mande Sidibé, ancien Premier ministre du président Konaré, ou Iba N’Diaye, ex-maire de la capitale, jugent nécessaire une candidature Adéma à ce scrutin.
À ce psychodrame qui frappe de plein fouet le microcosme politique se greffe une tragédie. Le 3 novembre, alors que le Mali fête l’aïd el-Fitr, marquant la fin du ramadan, un accident de la circulation provoque la mort du président du groupe parlementaire du RPM, Kadari Bamba, 65 ans, personnalité historique du combat démocratique dont il fut l’un des théoriciens. Cette disparition donne une dimension nouvelle au communiqué lu par Bamba, le 14 octobre, devant l’Assemblée nationale. Il y assimilait la mise en minorité d’IBK à une intolérable atteinte à la démocratie. Et n’hésitait pas à dire, en substance, qu’après avoir été un modèle le Mali est en train de devenir un cas.
La mort donne à ces propos valeur de testament. Mais pour qui ? Fidèle à sa ligne de conduite, estimant qu’il a été élu au suffrage universel en candidat indépendant, ATT ne se sent pas lié par un quelconque engagement à l’égard de la classe politique. Il y a sans doute plus important que les chicaneries qui secouent les états-majors des partis. Reste que le « testament » de Kadari Bamba pose les termes d’un vrai débat dont le Mali ne saurait faire l’économie. Y a-t-il une vie politique après le consensus ?

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