Soleil et bistouri

Le nouvel eldorado de la chirurgie esthétique ? C’est plutôt dans d’autres spécialités que la médecine locale offre ses compétences aux patients étrangers.

Publié le 7 novembre 2005 Lecture : 3 minutes.

Tout le monde en parle : France 2, France Inter, M6, la presse écrite… À croire que les touristes qui choisissent la Tunisie pour y subir des opérations de chirurgie esthétique tout en profitant des plages débarquent par charters entiers.
Se refaire une beauté au soleil et à moindres frais : la formule a de quoi séduire. Celui qui ne supporte plus sa calvitie – ou celle qui ne peut plus se regarder dans un miroir – n’a qu’à se rendre sur le site Internet, souvent traduit en plusieurs langues, de l’une des cliniques tunisiennes qui traitent depuis près de deux ans ces « patients-touristes ». Sur le portail de la polyclinique El Menzah, à Tunis, il peut découvrir qu’il lui suffit d’envoyer une photo électronique au chirurgien, qui, après avoir étudié son dossier médical, lui fait une proposition d’intervention (liposuccion, « augmentation » ou « réduction » mammaire, implants de cheveux…) assortie d’un devis environ deux fois moins élevé qu’en France. La clinique, qui travaille avec des hôtels de standing alentour, lui réserve une chambre pour sa convalescence. Le patient n’a plus qu’à prendre son billet d’avion, et le tour est joué.
Attrayante pour le voyageur qui veut allier l’utile à l’agréable, intéressante pour les tour-opérateurs parce qu’ils peuvent jouer sur deux tableaux – la santé et le tourisme -, juteuse pour les cliniques, la recette plaît aussi aux pouvoirs publics qui y voient le moyen d’attirer une clientèle de touristes plus riches. Mais elle a suscité un engouement avant même de devenir réalité.
Il est difficile de déterminer précisément le nombre de « touristes esthétiques ». D’après les estimations des agences de voyages spécialisées et des cliniques, la Tunisie n’en accueille pas plus de 1 200 chaque année. Exclusivement français au départ, on trouve désormais parmi eux d’autres francophones, suisses et belges, et quelques Italiens.
Marginal, le phénomène n’en déclenche pas moins des controverses. Du côté des agences spécialisées tout d’abord. Cosmetica Travel et Estetika Tour, les deux seules agréées par l’État tunisien, fonctionnent comme n’importe quel tour-opérateur, jouant les intermédiaires entre la clinique et le patient. Pour une augmentation mammaire, Estetika Tour, qui travaille en partenariat avec un seul et unique établissement à Tunis, prélève 10 % à 15 % du coût total, lequel s’élève à 2 600 euros tout compris (sauf le billet d’avion). En échange de quoi Amor Dehissy, fondateur et gérant d’Estetika Tour, affirme « offrir la tranquillité aux clients ».
Mais les professionnels de la santé reprochent aux agences spécialisées d’abuser les patients (en leur proposant notamment deux opérations au lieu d’une, ce qui, d’un point de vue médical, est fortement déconseillé). Amor Dehissy dément farouchement, et garantit que son objectif « n’est pas de vendre plus ». Idem chez Cosmetica Travel, où l’on affirme que la satisfaction des clients est la meilleure preuve de sérieux.
Les cliniques ont elles aussi leurs détracteurs, mais du côté des chirurgiens français. « C’est un sujet très délicat, car il touche aux intérêts des praticiens français », explique Mohamed Chafik Smida, directeur de la polyclinique El Menzah. D’après lui, ses confrères français ne remettent pas en question les compétences de leurs homologues tunisiens, bien souvent formés en France. Mais plutôt un certain marketing qui appâterait le patient au détriment des exigences de sécurité (importance du suivi postopératoire, une seule opération à la fois, exposition au soleil déconseillée). Le Syndicat français de chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique nie fermement défendre des intérêts corporatistes et invoque la santé du patient pour justifier les mises en garde affichées sur son site Internet.
Ces querelles montrent une chose : le « tourisme esthétique » en Tunisie en est encore à ses débuts et, à cheval sur deux secteurs, la santé et le voyage, il cherche encore son camp. Pas de quoi s’emballer, donc. On est encore bien loin des niveaux atteints en Asie ou en Afrique du Sud. Cette dernière, pionnière de l’accueil de patients non résidents sur le continent africain, compte de nombreuses agences de voyages et cliniques spécialisées qui travaillent en bonne intelligence avec leurs homologues étrangers, britanniques le plus souvent. Idem en Inde et en Thaïlande, qui, toutes spécialités confondues, ont respectivement accueilli 100 000 et 1 million de patients étrangers en 2003. Et même en Roumanie, où plus de la moitié des 50 000 patients étrangers en 2003 ont subi une intervention esthétique. En Amérique latine, le Brésil est aussi dans la course. L’économie se mondialise, et la santé avec.

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