Si l’immigration m’était contée

Avec « Il était une fois dans l’oued », le réalisateur franco-algérien signe une comédieà contrepied du débat sur l’intégration en France.

Publié le 7 novembre 2005 Lecture : 5 minutes.

Il était une fois dans l’oued, le dernier film de Djamel Bensalah – sorti en France le 19 octobre -, raconte l’histoire d’un Français « pur porc » qui se prend pour un Algérien et rêve de s’installer en Algérie. Un thème inspiré par la chanson du groupe de rap 113 : « Tonton du bled ». Le réalisateur (29 ans) n’avait pas remis les pieds en Algérie depuis quinze ans avant de poser sa caméra de l’autre côté de la Méditerranée. Né à Saint-Denis, en région parisienne, Djamel Bensalah a fait des études d’anthropologie et de sociologie avant de se tourner vers le cinéma. En 1999, son premier long métrage, Le Ciel, les oiseaux et ta mère !, est un succès : plus de 1,2 million d’entrées. En 2002, il réalise son deuxième film, Le Raid.

Jeune Afrique/L’Intelligent : Le titre de votre film n’a rien à voir avec Il était une fois dans l’Ouest, le western spaghetti de Sergio Leone…
Djamel Bensalah : « Il était une fois », pour le Maghrébin que je suis, renvoie aux Mille et Une Nuits. C’est une référence à tout ce que l’Orient a amené de bien à l’Occident, comme les contes et ce qui va avec, Shéhérazade, les fantasmes… ça évoque aussi un monde meilleur. J’avais envie de parler de l’Algérie différemment. Pour une fois qu’un film ne pleure pas sur ce pays. Depuis toujours, l’Algérie au cinéma est une terre que l’on quitte. Cette fois-ci… on y va ! On parle d’intégration et non de déchirement. Il n’y a rien de triste. C’est un conte de fées basé sur des faits réels.
J.A.I. : Filmer l’Algérie était une façon de retrouver vos racines ?
D.B. : Mes parents économisaient toute l’année pour passer l’été là-bas. Tout ce que je raconte dans le film, je l’ai vécu. C’est un point de vue français avec une sensibilité maghrébine, un film universel mais fait pour la France. Il touche la communauté maghrébine car il parle de l’intégration, dans l’esprit d’un Gérard Oury quand il fait Rabbi Jacob. J’ai réalisé ce film pour rire avec les Algériens et pas des Algériens. Je l’ai fait par amour de l’Algérie, de la communauté arabe et musulmane.
J.A.I. : Votre film est très coloré, un peu naïf, vous y montrez une vision idyllique de l’Algérie.
D.B. : Je fais du cinéma, pas du documentaire. Je ne veux pas filmer l’Algérie d’aujourd’hui car on la raconte tous les jours à la télé. Avec mon film, on ne compte plus les morts, on compte les rires. Je suis un conteur d’histoires. Ce n’est pas nier la réalité mais c’est montrer autre chose. L’histoire se passe en 1988, le dernier été avant la guerre. Je n’ai pas connu les attentats ni le couvre-feu ; je peux juste rappeler l’insouciance et le bonheur qu’on avait de rentrer au pays. Je n’ai pas le droit d’offrir autre chose qu’une vision colorée et drôle.
J.A.I. : Vous revendiquez donc un style de cinéma populaire ?
D.B. : Oui, je veux faire du cinéma qui parle à tout le monde. Ce serait génial qu’un fils d’immigrés fasse rire la France ! Quelle fierté ! C’est ce à quoi j’aspire. Je ne suis pas un porte-parole ni un cinéaste engagé mais je suis persuadé qu’un film réussi est forcément un acte politique : il doit faire du bien au monde. Les utopies n’existent plus dans les discours politiques. Elles sont dans les films, dans les chansons, dans l’art. Il n’y a plus de projets, il n’y a que des réformes. Quand les politiques démissionnent, il faut prendre le relais. Mon premier film répondait à une envie : raconter la banlieue de façon différente, pas en noir et blanc ni de façon haineuse. J’avais volontairement choisi un éclairage coloré, l’humour et un thème anodin qui s’est révélé être plus politique que n’importe quel discours.
J.A.I. : Le personnage de Julien-Bachir existe-t-il vraiment ?
D.B. : Il est partout en banlieue ! Dans une cité, quand vous êtes l’unique représentant de la communauté française alors que les Arabes et les Noirs sont majoritaires, vous finissez par devenir africain ou arabe ! Quand vous êtes le seul à fêter Noël, vous avez envie de faire ramadan comme tout le monde. C’est une acculturation à l’envers. Vous devenez étranger dans votre propre pays. Les parents de Julien habitent dans une cité qui n’a pas été faite pour eux, ils réagissent négativement alors que leur fils, lui, a une réaction très positive. Il est algérien de coeur, il adhère à la culture dominante. Ses enfants seront vraiment algériens !
J.A.I. : À travers ce film qui se passe en Algérie, vous parlez aussi de la France…
D.B. : Il faut parler du racisme de façon différente. Le cinéma et la musique permettent de sortir des sentiers battus pour aborder le sujet. En France, on a plein de problèmes, la discrimination au travail n’a jamais été aussi grave qu’aujourd’hui par exemple. Aller de l’autre côté de la Méditerranée permet de mieux s’interroger sur notre société. Il y a un effet de miroir important.
J.A.I. : Quel regard portez-vous sur l’Algérie d’aujourd’hui ?
D.B. : L’Algérie est un pays qui a vingt ans de retard à cause de dix ans de guerre. Tout est à reconstruire mais je suis optimiste parce que ce peuple a tellement souffert qu’il ne veut plus rien endurer. C’est le pays des possibles, même s’il faut encore changer les mentalités. La reconstruction mentale ira plus vite qu’on ne le croit car les Algériens en ont assez de regarder le bonheur à la télévision.
J.A.I. : Une génération de jeunes réalisateurs d’origine maghrébine semble émerger : vous-même, Mabrouk El Mechri, avec son récent Virgil, Lyes Salem, césar du meilleur court-métrage cette année. Qu’en pensez-vous ?
D.B. : Je ne suis pas le seul à réussir et je suis ravi de constater que de plus en plus de réalisateurs issus des banlieues font des films. Ça montre que le cinéma est plus ouvert que la société. On est dans une période où le cinéma français va être sauvé par les gens de l’immigration !

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