Les leçons de Ceuta et Melilla
Un rapport d’Amnesty International dénonce l’arbitraire érigé en règle de conduite tant du côté espagnol que marocain.
« Vous n’êtes que des Noirs. Vous n’avez pas à poser de questions. » Le propos n’est pas tiré d’un vieux livre d’histoire. Il date du début du mois d’octobre 2005. Il a été adressé par un fonctionnaire espagnol à un ressortissant malien incarcéré dans un commissariat de police à Melilla. L’émigrant sahélien venait de franchir la fameuse double clôture métallique qui sépare cette enclave espagnole située sur la côte méditerranéenne du Maroc du royaume chérifien.
Les enquêteurs d’Amnesty Intenational, qui ont recueilli et rapporté ce propos dans un document rendu public, le 26 octobre, au terme d’une mission de dix jours en Espagne et au Maroc, dénoncent, au-delà du racisme, l’arbitraire érigé en règle de conduite vis-à-vis des candidats subsahariens à l’émigration clandestine, tant du côté espagnol que marocain.
« Nous avons pu constater que les responsables de l’application des lois (dans les deux pays) faisaient un usage illégal et disproportionné de la force, n’hésitant pas à se servir d’armes meurtrières », soulignent les rédacteurs du rapport qui égrènent, d’abord, quelques griefs à l’égard des autorités de Madrid. Ils leur reprochent d’avoir refoulé, début octobre, lors des fameux assauts d’émigrants clandestins contre Melilla et Ceuta, l’autre préside espagnol au nord du Maroc, plusieurs blessés graves « sans aucune formalité » et sans la moindre assistance médicale. « Les droits des immigrés et des demandeurs d’asile garantis par la législation espagnole ne sont pas, ajoute le document, respectés entre les deux clôtures, même lorsque ces personnes se trouvent, de fait, entre les mains des autorités espagnoles. »
Le gouvernement marocain n’est pas, loin de là, épargné. Les enquêteurs d’Amnesty International, qui ont sillonné le royaume d’Oujda à Tanger en passant par Nador, font état de témoignages sans indulgence pour les autorités de Rabat : arrestation puis incarcération, sans respect des dispositions légales, d’émigrants dans des commissariats de police, dans des casernes de gendarmerie et dans des bases militaires ; refoulement et abandon de Subsahariens à la frontière algérienne dans une zone désertique « pratiquement sans vivres et sans eau ». Le document accuse aussi Marocains et Espagnols d’avoir eu tendance à mettre dans le même sac émigrants clandestins et demandeurs d’asile reconnus en tant que tels par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).
« Nous nous inscrivons en faux contre ces affirmations », réplique Nabil Benabdallah, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement marocain. Avant de qualifier le rapport de « tendancieux » et de soutenir que les autorités de Rabat avaient réservé à cette question un « traitement soucieux des droits des migrants et des droits de l’homme, même si, reconnaît-il, des erreurs ont été commises çà et là ».
Pour que celles-ci ne se reproduisent plus, l’ONG de défense des droits de l’homme a émis, à l’adresse de Rabat et de Madrid, un certain nombre de recommandations telles que l’adoption d’un protocole spécifique réglementant l’usage de la force dans et autour des deux enclaves espagnoles – usage de la force responsable, fin septembre et début octobre, de la mort d’au moins onze Subsahariens. Les enquêtes menées séparément par les deux pays sur ce drame devront être « approfondies, indépendantes et impartiales ». Amnesty prie également mais « instamment » les deux capitales de « mettre immédiatement un terme à tous les refoulements et à toutes les expulsions d’immigrés et demandeurs d’asile en provenance de l’Afrique subsaharienne ».
Sur ce dernier point, l’ONG semble prêcher dans le désert. L’opération de rapatriement de migrants vers leurs pays d’origine, entamée le 10 octobre par le Maroc, ne risque pas d’être stoppée. Plus de 3 000 Subsahariens – Sénégalais et Maliens essentiellement, mais aussi beaucoup de Camerounais et de Nigérians – en ont déjà fait les frais. Ou en ont bénéficié, car, désormais, bon nombre de départs sont volontaires. Comme le confirment l’ambassadeur sénégalais à Rabat, Ibou Ndiaye, et son homologue malien Moussa Coulibaly, ce sont des migrants ayant perdu tout espoir de gagner l’Europe, qui, dorénavant, optent pour le retour au bercail. Et en font état à leurs ambassades, qui coordonnent les rapatriements avec les Marocains. Coût de l’opération ? 80 millions d’euros à ce jour, entièrement déboursés par le royaume. « Pas un centime, tient-on à préciser à Rabat, en provenance de l’Union européenne, si prompte à donner des leçons mais si rétive à mettre la main à la poche. »
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