Le bonheur est dans le baril

Cinq des six pays de la zone Cemac sont producteurs de pétrole. Et profitent largement de l’envolée des cours.

Publié le 7 novembre 2005 Lecture : 5 minutes.

« Quand le pétrole va, tout va », serions-nous tenté de dire à propos des six pays de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac). Hormis la République centrafricaine, tous sont producteurs de pétrole et profitent d’une conjoncture très favorable. En 2004, grâce à la très bonne tenue des cours mondiaux, la zone Cemac a affiché un taux de croissance de 6,9 %, contre 4,3 % en 2003. Aujourd’hui, avec un baril de référence frisant les 60 dollars, la tendance se poursuit. « La Guinée équatoriale est devenue le premier producteur de la sous-région, le Tchad fait une entrée remarquée, le Congo reste sur la même lancée. Quant au Gabon et au Cameroun, ils ont réussi à maintenir leur production en optimisant les techniques de forage », résume Jean-Pierre Favennec, économiste à l’Institut français du pétrole (IFP). « La mise en production des nouveaux champs en Guinée équatoriale et au Tchad devrait compenser le déclin attendu au Cameroun, voire au Gabon », ajoute le rapport de la zone franc, publié le 20 septembre à l’occasion de la réunion des ministres de l’Économie et des Finances, à Paris. Au final, le pétrole représente 37 % du PIB et plus de la moitié des recettes fiscales de la région. De quoi envisager l’avenir avec sérénité et tenter de mettre un peu d’ordre dans les finances publiques, puisqu’il est toujours plus facile d’engager des réformes lorsque l’argent rentre qu’en période de vaches maigres. Encore très endettés, avec une fiscalité insuffisante et parfois hasardeuse, les six pays semblent s’être donné le mot : « Offrons des gages à la communauté internationale, notamment aux institutions de Bretton Woods. »
Dernier en date, le Cameroun, qui a vu son programme de partenariat avec le Fonds monétaire international (FMI) relancé, le 24 octobre. À la clé, un crédit d’ajustement de 26,8 millions de dollars (14,5 milliards de F CFA) sur trois ans et 8,2 millions en annulation de dette. Yaoundé se félicite « des efforts accomplis » et promet de poursuivre sur le chemin de la bonne gouvernance et de la rigueur budgétaire. Le FMI salue « la croissance consolidée, l’inflation ralentie et les déficits maîtrisés ». Si cette lune de miel se prolongeait, le Cameroun pourrait atteindre le point d’achèvement de l’initiative pour les pays pauvres très endettés (PPTE) à la mi-2006 et effacer ainsi, à terme, près de la moitié de sa dette extérieure estimée à 6,9 milliards de dollars.
Au Gabon, la restauration de la confiance avec les bailleurs de fonds a permis la signature, en mai 2004, d’un accord avec le FMI, qui a été bouclé le 31 juillet 2005. Il pourrait être suivi par un programme multisectoriel et pluriannuel. La durée de vie limitée des derniers gisements pétroliers encore en exploitation rend indispensable une diversification de l’économie. « Le Gabon ne doit plus être un pays de rente », affirme un conseiller du président Omar Bongo Ondimba. Avec 3 millions de tonnes annoncés pour 2006 et 7 millions en 2010, le Gabon veut devenir le premier producteur mondial de manganèse. Les réserves, dans le Sud-Est, sont estimées à 175 millions de tonnes. Autre minerai, le fer : le gisement de Belinga, dans le Nord, constitue à n’en pas douter un nouvel eldorado. Au total, le potentiel minier inexploité au Gabon pourrait générer 300 millions à 400 millions de dollars par an.
Le Congo-Brazzaville peut aussi afficher un certain optimisme. Si les champs pétroliers historiques (Loango, Likouala…) commencent à montrer quelques signes de fatigue, le gisement de Mboundi (7,6 millions de barils en 2004) offre de nouvelles perspectives, tandis que les autorités ont lancé, en août, le projet offshore de Moho-Bilondo. Accroissement des recettes (+ 22,3 %), maîtrise des dépenses (+ 7,3 %), le solde budgétaire est excédentaire. De quoi rembourser une partie de la dette publique, estimée à 6,3 milliards de dollars, alors que le pays n’a pas encore satisfait aux critères de l’initiative PPTE. « Ce qui sera fait avant la fin de l’année », assure le ministre des Finances, Pacifique Issoïbeka. « Les performances macroéconomiques se sont améliorées au cours des dix-huit mois passés, déclarait le FMI, en août. Une meilleure gestion économique et un environnement international exceptionnellement favorable [hausse du pétrole] ont abouti à une augmentation de la croissance et à une amélioration significative du budget. » Avant de souligner « l’amélioration bienvenue de la gouvernance et les efforts sur la transparence dans les transactions pétrolières ».
Le Tchad et la Guinée équatoriale découvrent à leur tour les « délices » de la transparence pétrolière. Avec des fortunes diverses. L’argent du pétrole sera-t-il pour ces deux pays une malédiction ou une chance ? « Malabo doit de toute urgence profiter de cette manne pour diversifier son économie, car la production pourrait décliner dès 2009. Or nous constatons aujourd’hui des comportements dépensiers à court terme », remarque un observateur régional. « Il convient de suivre avec attention ce qui se passe au Tchad, prévient Jean-Pierre Favennec, qui insiste sur le rôle de la Banque mondiale. Depuis la mise en exploitation, en juillet 2003, des champs de Doba, dans le Sud, des mécanismes de contrôle ont été mis en place et une loi a été votée pour que l’argent du pétrole soit facteur de développement. »
Moins chanceuse avec son sous-sol, la Centrafrique, financièrement exsangue après vingt ans de troubles politico-militaires, attend beaucoup de la communauté internationale. En visite à Paris en septembre, le président François Bozizé a « demandé aux patrons français de venir investir dans son pays ». Première priorité : la relance de la filière coton. En 2005, la récolte n’a pas dépassé 8 000 tonnes, contre 32 000 tonnes trois ans plus tôt. Gangrené par la corruption, les caisses désespérément vides, l’État est incapable de payer régulièrement ses fonctionnaires tandis que 1 700 agents ont été suspendus pour fraudes. La grève menace, les esprits s’échauffent, et trois ministres ont été suspendus. « S’il n’y a pas d’aide immédiate, nous risquons de nous retrouver à la case départ », a déclaré le président centrafricain à nos confrères de RFI, le 24 octobre. Avec plus de 66 % de sa population vivant avec moins de 1 dollar par jour, la Centrafrique se situe au 171e rang sur 177 au classement du développement humain établi par le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). Dans la zone Cemac, seul les Tchadiens sont plus mal lotis (173e). Il est permis d’espérer que Doba changera la donne. Dans les autres États membres, certains indicateurs sociaux sont à peine meilleurs. Et pourtant, le pétrole n’y manque pas…

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