Antonio Dikele Distefano : « Les Noirs d’Europe ne se préoccupent pas du sort des migrants »
Dans le roman « Invisible », déjà adapté sur Netflix, cet Italien d’origine angolaise retrace le parcours du combattant d’un Noir en Europe. Entretien avec ce touche-à-tout qui témoigne du racisme et évoque sans détours la question de l’immigration.
« Invisible » est à la fois tout et rien. Dans ce premier roman paru le 9 octobre, Antonio Dikele Distefano met en scène Zéro, un personnage à la fois timide et engagé qui navigue dans cette Italie où les gens de couleurs peinent à se faire une place. Si l’auteur affirme que ce roman n’est pas un autoportrait, il est tout de même difficile de ne pas le confondre avec son personnage principal.
L’enfance d’Antonio, né en 1992 à Ravenne, en Émilie-Romagne, est marquée par la précarité. Chômage, fins de mois compliquées, expulsions… Sa famille, qui a fui la guerre civile en Angola, se heurte vite aux réalités des migrants africains en Italie. Très jeune déjà, tout comme Zéro, Antonio se sent « vieux » face aux difficultés. Alors que sa mère est rentrée au pays, il se confronte dès l’âge de 17 ans à la vie d’un adulte noir en Italie. Mais il se forge rapidement une carapace et pause petit à petit ses pions.
Écrivain, scénariste, présentateur d’émissions télévisées, le parcours de cet autodidacte à qui le destin n’a pas fait de cadeau est aujourd’hui un symbole de réussite dans la péninsule. Ce succès est le fil conducteur de ce roman aujourd’hui adapté en série et disponible sur la plateforme Netflix, qui laisse peu de place au fatalisme.
Jeune Afrique : Votre roman s’intitule « Invisible » et le personnage principal porte le nom de Zéro. Pourquoi ces choix ?
Antonio Dikele Distefano : Le mot « zéro » représente tout et rien. Alors dans ce roman j’ai voulu dessiner un personnage auquel tous les lecteurs pouvaient s’identifier. Ce terme peut aussi renvoyer à la fois à l’invisibilité et à la visibilité d’une personne noire en Italie. Quand on est noir dans ce pays, nous sommes soumis aux jugements. Les Noirs sont ceux qui attisent les débats. En revanche, du point de vue de la loi et de l’état civil, nous sommes invisibilisés.
Enfin, ce chiffre représente graphiquement un point et un espace qu’on peut remplir avec ce que l’on veut. C’est exactement ce que fait le personnage du livre en se créant sa propre histoire pour ne pas tomber dans un certain déterminisme social. Il ne veut pas vivre la vie que la société veut lui imposer, mais celle qu’il veut inventer.
Dans votre livre, vous utilisez quelques mots en lingala. Le parlez-vous ?
J’ai appris le lingala à la maison. Mon père s’est toujours exprimé en lingala avec ses frères. Chez nous la règle était simple, quand mon père me parlait en lingala, il fallait que je lui réponde dans la même langue et non en italien.
Quel est donc votre rapport à l’Afrique ?
L’Afrique est un continent que j’ai dans la peau et c’est probablement l’endroit où je me sens le mieux. J’y vais autant que je peux et à terme, j’aimerais partager ma vie entre le continent et l’Italie.
Les Noirs d’Europe se sont mobilisés après la mort de George Floyd mais ne s’occupent pas du sort des migrants
Dans l’un des passages de votre livre, vous dîtes : « les Africains défendent une identité qui ne leur appartient pas. L’histoire m’a appris que si je suis d’origine angolaise c’est parce que les Européens l’ont voulu ». Qu’est ce que cela signifie ?
Les Noirs sont avant tout animistes, même si les colons ont voulu nous faire croire que cette pratique incarne le mal. Les frontières africaines qui prévalent aujourd’hui ne nous appartiennent pas. Un jour, les Européens se sont assis à une table et se sont partagé le continent comme un gâteau. C’est pour cette raison que je m’identifie d’abord à une tribu au lieu de dire que je suis angolais. Mes ancêtres étaient bantous avant l’arrivée des Portugais.
Les afro-descendants doivent-ils donc revenir aux sources pour mieux appréhender leur identité ?
Absolument. Il manque à un enfant noir qui vit en Europe une certaine dimension historique de son identité. À l’école, l’histoire des Africains se résumait à la traite des esclaves et à leur déportation en Amérique. C’est en partie à cause de cette erreur d’appréciation qu’en Europe, les Noirs ont tendance à adopter les luttes afro-américaines.
En Italie et ailleurs, j’ai vu beaucoup d’entre eux aller dans les manifestations après la mort de George Floyd. Mais quand il s’agit de se préoccuper du sort des migrants qui se noient dans la Méditerranée, il n’y a personne. C’est déplorable puisque ces migrants sont plus proches de nous.
Les Noirs d’Europe doivent-ils alors constituer leurs propres luttes ?
Cela est inévitable. Nous devons mener une lutte instructive qui ne vient pas forcément d’un sentiment de rage. La bataille doit être portée sur le plan politique et sur le plan économique. Il faut des Noirs en politique, dans la littérature et au sein des organisations économiques. En Europe, la réussite de l’homme noir ne doit pas forcément se résumer aux footballeurs.
Quand il s’agit d’immigration, les personnes de couleur sont classées dans une sous-catégorie
Alors que les partis d’extrême droite ont le vent en poupe en Europe, quel regard portez-vous sur l’immigration ?
La stigmatisation des migrants africains n’a pas de sens. En Italie, on ne cesse de les tenir responsables de tous les maux alors qu’ils sont minoritaires. La plupart des migrants italiens viennent d’Europe de l’Est et d’Europe du Sud. Ces personnes se sont aussi déplacées pour trouver de meilleurs opportunités. Quand il s’agit d’immigration, les personnes de couleur sont classées dans une sous-catégorie.
Dans le roman, Zéro est constamment victime de discriminations. L’Italie est-elle un pays raciste ?
L’Italie est un pays raciste dans ses lois mais on ne peut pas dire que tous les Italiens le sont. Cela fait huit ans que j’entends dire que je suis un nouvel Italien parce que j’ai acquis la nationalité. Cela n’a aucun sens puisque je suis né dans ce pays et je me sentais italien avant d’être naturalisé. Être italien est un droit, ce n’est pas un mérite.
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