Dix cités au banc d’essai

À de rares exceptions près, les grandes agglomérations du continent souffrent des mêmes insuffisances financières et matérielles.

Publié le 7 novembre 2005 Lecture : 11 minutes.

Le mouvement est général : le nombre d’Africains vivant en ville est en constante augmentation. Deux raisons : la poussée démographique et l’exode rural. Par leur dynamisme économique, même relatif, les agglomérations attirent toujours plus de migrants. En conséquence, elles s’étendent, en grignotant les zones agricoles environnantes. Mais cette extension n’est que rarement balisée par des schémas de développement urbain. La politique en matière de logements accuse un réel retard. D’où la persistance, voire l’augmentation des bidonvilles dans les périphéries. Les infrastructures de base (eau, électricité, systèmes d’assainissement) ne sont plus à même de répondre aux besoins d’une population croissante. Enfin, les réseaux routiers, hérités des périodes coloniales, n’ont généralement pas connu l’adaptation nécessaire à l’explosion du parc automobile. Les municipalités doivent ainsi faire face aux problèmes de toutes les villes du monde (délinquance, pollution…), sans pour autant que les moyens financiers et matériels soient suffisants. Dans cette réflexion sur l’urbanisme d’aujourd’hui et de demain, livrons-nous à une confrontation des expériences dans dix villes du continent.

Abidjan
La perle décrépie

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C’était le 6 mai dernier : première sortie officielle de la Brigade de salubrité et de sécurité du District d’Abidjan, 300 hommes et femmes chargés de patrouiller en ville pour inviter les citoyens à ne plus jeter les ordures n’importe où, à ne plus uriner dans la rue… Leur mission, « Rendre à Abidjan son lustre d’antan », voeu formulé lors de cette journée, paraît gigantesque, et les moyens dérisoires, tant la capitale économique ivoirienne a perdu de sa superbe depuis le déclenchement de la crise en 2002. Le chômage s’est aggravé avec l’arrivée en ville de milliers de réfugiés et le départ de nombreux étrangers. La métropole ivoirienne compterait aujourd’hui entre 4 et 5 millions d’habitants. Le climat sécuritaire s’est dégradé, l’état des routes et de certains bâtiments aussi. La distribution en eau et en électricité est aléatoire dans certains quartiers. Il y a quelques mois, une pompe à eau était cassée à la station de distribution de Yopougon. Une grande partie du quartier en a subi les conséquences. Le ramassage des ordures n’a pu reprendre que grâce à la réouverture de la décharge d’Akouédo en avril dernier. La construction de nouveaux logements sociaux est très loin de satisfaire une demande annuelle estimée à 20 000 unités. En fait, de nombreux projets urbains sont aujourd’hui en sommeil. Ainsi l’idée d’un train qui desservirait les communes d’Abobo à Koumassi. Ainsi le projet d’un troisième pont sur la lagune. Ainsi le programme de dépollution de la baie de Cocody… Autant de grands chantiers urbains qui dépendent d’un chantier national, autrement plus important : restaurer la paix.

Yaoundé
Relativement insalubre

« Nos villes sont relativement sales », disait Inoni Ephraïm, il y a quelques mois. Dans cette remarque, le Premier ministre camerounais incluait évidemment la capitale du pays, Yaoundé, confrontée depuis des années à de sérieux problèmes de salubrité et de propreté. D’aucuns invoquent des causes climatiques à cette situation, comme les très fréquents orages qui déversent des trombes d’eau et inondent l’agglomération. Mais la raison principale est d’abord humaine. Trop longtemps, les canaux d’évacuation des eaux n’ont pas été curés ; trop longtemps les rues et les routes n’ont pas été entretenues ; trop longtemps les ordures n’ont pas été ramassées… La société Hysacam (Hygiène et salubrité du Cameroun), chargée de la collecte des ordures, ne dispose que d’une quarantaine de camions, rarement adaptés à la taille des rues. Et pourtant, Yaoundé s’était doté d’un Plan directeur en 1980, puis d’un Deuxième Projet urbain en 1989. Mais voilà, les moyens financiers ont été soit insuffisants, soit mal utilisés… Aujourd’hui, les autorités veulent redorer le blason de la capitale. Plus de 10 milliards de F CFA sont débloqués pour la réfection de la voirie (déjà 70 km réhabilités, selon le gouvernement), pour les travaux d’assainissement (curage du Mfoundi, aménagement du lac municipal), pour les projets de reboisement et d’espaces verts.

Antananarivo
« Atmosphère,
atmosphère… »

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Une étude réalisée il y a quelques années par un Institut de technologie nucléaire avait révélé qu’Antananarivo est la deuxième ville la plus polluée après Mexico. Cette étude, reprise régulièrement par la presse locale, s’appuie sur des données collectées à proximité d’un des tunnels de la capitale malgache. Perché à 1 200 m d’altitude, Antananarivo est constitué de collines abruptes séparées par d’anciennes zones marécageuses, et une grande plaine inondable encore occupée par des rizières. Les derniers plans d’urbanisme de cette ville complexe datent des années 1950, avant l’indépendance, quand la ville comptait moins de 300 000 habitants. Elle abrite aujourd’hui plus de 1,3 million de personnes. Le parc automobile a doublé en l’espace de quinze ans. Et les véhicules qui arrivent sur le marché sont, en grande majorité, des véhicules d’occasion, âgés souvent de plus de dix ans. Par ailleurs, les vieilles ruelles pavées ne suffisent pas à absorber la circulation. Les embouteillages sont quotidiens et causent une forte pollution atmosphérique. Depuis trois ans, les autorités municipales se réfèrent à un nouveau plan d’urbanisme, établi par le Bureau de développement d’Antananarivo (BDA) : tracé de boulevards périphériques pour décongestionner le centre-ville (Rocade du Marais Masay, Petit Boulevard, By-Pass), réfection et entretien des rues. Coût des travaux : plusieurs millions de dollars, sur dix ans. Les financements proviennent des principaux bailleurs (Banque mondiale, Union européenne, Agence française de développement).

Dakar
Faire sauter le bouchon

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Chaque année, 224 millions d’heures perdues par les Dakarois ! C’est le résultat d’une étude effectuée il y a trois ans sur les dysfonctionnements du transport urbain à Dakar. Dans la capitale sénégalaise, les embouteillages sont légendaires. Et ce temps passé à attendre dans sa voiture ou dans un bus représente un sérieux manque à gagner sur le plan économique. D’après l’étude réalisée, le temps perdu aux heures de pointe (le matin entre 5 heures et 9 heures, et le soir à partir de 17 heures) coûterait 41 millions de F CFA par an. L’encombrement de Dakar s’explique par sa situation géographique, sur la presqu’île du cap Vert. Les zones de développement urbain sont, de fait, limitées à la partie nord. La zone d’expansion est donc restreinte, alors que la population a augmenté (2,5 millions d’habitants aujourd’hui, contre 600 000 en 1970), et le nombre de véhicules aussi. Au-delà des rues, c’est toute la première agglomération sénégalaise qui sature. La municipalité prétend vouloir améliorer la mobilité, grâce à des gares routières rénovées, des parkings pour organiser le stationnement. Est-ce que cela suffira pour faire de Dakar une ville sans embouteillages ?

Johannesburg
Peur sur la ville

« Jo’burg 2030 » est l’ambitieux projet de régénération urbaine concocté par les autorités locales sud-africaines, il y a quelques années. Aux dires de ses dirigeants, le « futur Johannesburg » devra casser l’image d’insécurité qui colle à la peau de la métropole actuelle : 6 000 meurtres, 12 000 viols et 100 000 cambriolages chaque année pour cette agglomération de 2,7 millions d’habitants… Au-delà du danger (réel), il y a aussi l’obsession sécuritaire. La police présente chaque année des chiffres en hausse concernant ses effectifs ; le centre-ville est dorénavant sous large surveillance vidéo ; les sociétés privées de sécurité et de gardiennage prospèrent. Selon les spécialistes, cette violence est certes un héritage de la période de l’apartheid, mais aussi une conséquence d’inégalités sociales de plus en plus marquées. Les clivages raciaux et sociaux façonnent l’organisation de Johannesburg. Au nord, les quartiers cossus, résidentiels, commerciaux et d’affaires (Sandton, Randburg…) ; au sud, les « townships » (Soweto, Eldorado Park…). Entre les deux, un centre-ville plutôt déserté du fait du climat d’insécurité nocturne. Cependant, Johannesburg, la « cité de la ruée vers l’or », joue à plein son rôle d’attraction au niveau national, voire international. L’agglomération se veut la vitrine d’une Afrique du Sud qui avance, qui bouge. Encore faut-il que les questions d’insécurité ne constituent plus, à l’avenir, un pavé qui briserait la vitrine.

Kinshasa
En roue libre

La capitale de la République démocratique du Congo traîne une bien peu envieuse réputation par-delà les frontières : « Kinshasa » est le surnom donné à un immeuble-taudis surpeuplé du centre de Johannesburg. De fait, la vraie Kinshasa offre également l’image triste d’une cité délabrée. Les constructions coloniales du centre-ville sont laissées à l’abandon. Les trois quarts de la population vivent dans les quartiers périphériques soumis aux inondations et au risque de glissements de terrain. Partout, le long des rues et des boulevards défoncés, les couches d’immondices témoignent de l’absence quasi totale de gestion municipale. On l’appelait « Kin la Belle », la voilà surnommée « Kin la Poubelle ». L’alcool coule à flots, la misère est omniprésente, la violence et la délinquance progressent. Les quelques dirigeants locaux de bonne volonté et pas encore trop corrompus voudraient bien parler d’« urbanisme », de « schéma de développement »… Mais les moyens financiers nécessaires sont bien trop considérables pour oser y penser. L’administration, comme les grands immeubles, est en déliquescence. Les investisseurs privés ne se bousculent pas. Et Dieu sait qu’il y aurait du travail pour refaire les routes, assainir la ville, construire des logements, rétablir l’électricité, re-mettre en service un réseau de transport collectif, etc. Kinshasa compte aujourd’hui plus de 8 millions d’habitants. La pression démographique et surtout les vagues de réfugiés fuyant les tensions politico-militaires à l’est du pays font de la capitale congolaise une mégalopole qui continue de s’étendre. Et de s’enfoncer dans l’anarchie.

Rabat
Le mégaprojet de Bouregreg

Bouregreg.com… La paisible vallée marocaine a donné son nom à un site Internet ! Le visiteur y découvre un projet quasi pharaonique, pensé depuis des années, et décidé par le roi lui-même. Bouregreg, aujourd’hui, est un site un peu amorphe, une zone fluviale séparant les agglomérations de Rabat, la capitale, et de Salé, au nord. Bouregreg, demain, sera une cité intégrée, moderne. Les promoteurs du projet envisagent l’aménagement d’un port, d’une île artificielle, de digues ; la construction d’un tunnel sous les Oudayas ; la création d’un tramway entre les gares de Rabat et Salé ; l’assainissement des eaux usées… Encore plus prestigieux : des hôtels de luxe, des bureaux, un Palais des congrès, des centres commerciaux, des jardins suspendus ! De quoi faire rêver n’importe quel maire de capitale africaine. À Rabat-Salé, le rêve pourra devenir réalité grâce, notamment, à l’énorme apport financier d’un holding des Émirats arabes unis (Dubai International Properties) : environ 2 milliards de dollars. Les plus optimistes annoncent la création de 100 000 emplois directs ou indirects. Les plus sceptiques voient dans ce mégaprojet un risque de forte spéculation immobilière et une menace pour les sites historiques existants. L’ambitieux projet devrait être terminé à l’horizon 2010.

Alger
Le logement à tout prix

Aménager Alger revient avant tout à loger une population en permanente augmentation : 800 000 habitants en 1962 ; plus de 4 millions aujourd’hui. La solution : raser les bidonvilles, ériger de nouveaux immeubles. Lors de la campagne électorale de 2004, Abdelaziz Bouteflika a promis 1 million de nouveaux logements, sur l’ensemble du pays, pour les cinq prochaines années. Rien que dans la capitale, il en faudrait des dizaines de milliers. Les autorités s’efforcent de garantir la transparence dans l’attribution de ces nouveaux logements ; de faciliter l’accès à la propriété ; d’inciter les investisseurs privés à s’engager dans l’immobilier. L’État cherche à alléger ses dépenses, notamment en matière de financement de logements. Et si les classes moyennes de la métropole algéroise applaudissent les nouvelles constructions immobilières, certains habitants signalent quand même l’urgence à réhabiliter les immeubles existants, en centre-ville, souvent vétustes, parfois délabrés.

Tunis
Le grand lifting

« La Petite Sicile » : le projet est emblématique d’une ville en devenir. Ce quartier populaire de Tunis va faire l’objet d’un profond lifting pour devenir un pôle d’activités tertiaires, avec centres commerciaux et résidences de haut standing, autour du port transformé en marina. La capitale tunisienne veut entrer dans le XXIe siècle. Pour cela, les autorités s’appuient sur le Schéma directeur d’aménagement du Grand Tunis à l’horizon de 2016. La métropole doit avant tout composer avec son histoire, son patrimoine et ses atouts naturels (les lacs, les dizaines de kilomètres de littoral…). Elle doit aussi gérer une population qui ne cesse de croître : 560 000 habitants en 1960, quatre fois plus aujourd’hui. La ville s’étend au point d’absorber les communes environnantes dans un rayon de 20 kilomètres. D’où l’utilité des autoroutes vers le nord et le nord-ouest. Mais cette extension de la métropole provoque parallèlement l’émergence de nouvelles zones d’habitations parfois précaires dans la grande périphérie, à l’ouest ou au sud. Les pouvoirs publics sont de fait obligés de reconsidérer (et renforcer) le réseau de transport en commun, afin de limiter l’usage croissant des véhicules individuels et sa conséquence : un phénomène de pollution urbaine préoccupant.

Maputo
Opération séduction

Vivre ou même séjourner à Maputo… L’idée était inconcevable il y a quinze ans, au plus fort de la guerre civile. Même si la capitale mozambicaine n’a pas subi directement les douleurs des combats, elle a dû accueillir des dizaines de milliers de réfugiés. En quelques années, Maputo a ressuscité, pour offrir aujourd’hui un visage séduisant. Les touristes sont de plus en plus nombreux à succomber aux charmes de la ville basse (baixa) avec ses anciens bâtiments coloniaux. Les habitants privilégiés se disputent les terrains sur la colline qui domine toute la baie. La ville attire de riches hommes d’affaires venus d’Afrique du Sud ou d’Europe. Les bailleurs de fonds apprécient les efforts de redressement du pays, et les accompagnent financièrement. Enfin, la tenue de quelques conférences internationales (avec les infrastructures hôtelières indispensables) prouve que Maputo, aujourd’hui 1,6 million d’habitants, est appelé à jouer dans la cour des grands. Corruption endiguée dans la gestion municipale, rues entretenues et ordures plus régulièrement ramassées, réseau de transport public efficace, port en voie de modernisation… Revers de la médaille, la question de l’accès à l’eau. Les ressources d’alimentation se tarissent à mesure que la ville grandit. Et le système de distribution, datant de la période coloniale, nécessite une urgente restructuration à l’échelle de toute l’agglomération.

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