Éthiopie : le TPLF met Abiy Ahmed sous pression

Circonscrits les premiers mois à la région du Tigré, les combats ont gagné l’Amhara et l’Afar. Alors que les rebelles disent avoir pris le contrôle de deux villes stratégiques situées à 400 km de la capitale, le Premier ministre appelle ses concitoyens à s’armer.

Le conflit qui se déroule dans le Tigré s’est étendu à la région voisine d’Amhara après que le TPLF a repris la majeure partie de son État aux forces gouvernementales en juin, puis a envahi l’Amhara et l’Afar en juillet 2021. © Jemal Countess/Getty Images via AFP

Le conflit qui se déroule dans le Tigré s’est étendu à la région voisine d’Amhara après que le TPLF a repris la majeure partie de son État aux forces gouvernementales en juin, puis a envahi l’Amhara et l’Afar en juillet 2021. © Jemal Countess/Getty Images via AFP

Publié le 3 novembre 2021 Lecture : 4 minutes.

Abiy Ahmed sent-il le vent tourner ? Un an après le début des hostilités, le conflit qui oppose les forces pro-gouvernementales aux combattants du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF) connaît un spectaculaire revirement.

Tous les habitants doivent s’organiser par blocs et quartiers pour protéger la paix et la sécurité

Fin octobre, les rebelles ont progressé de manière significative dans la région de l’Amhara, où ils affirment avoir fait alliance avec l’Armée de libération oromo (OLA). Ensemble, ils ont pénétré dans les villes de Dessie et de Kombolcha. Le gouvernement a confirmé l’existence de combats mais démenti avoir perdu le contrôle de ces deux localités stratégiques, situées à près de 400 km de la capitale sur l’axe reliant Addis-Abeba à la province du Tigré.

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Les communications ayant été coupées, il est difficile de vérifier les affirmations de l’un ou l’autre camp. La situation est néanmoins suffisamment sérieuse pour que les autorités fédérales se soient décidées à décréter l’état d’urgence sur toute l’étendue du territoire. Le Premier ministre a lui-même appelé la population à s’organiser et à prendre les armes. « Tous les habitants doivent s’organiser par blocs et quartiers pour protéger la paix et la sécurité dans leur zone, en coordination avec les forces de sécurité », a ajouté le responsable du département de la paix et de la sécurité de la capitale, Kenea Yadeta.

Contre-offensive

Comment la situation a-t-elle pu à ce point dégénérer ? Le 28 novembre 2020, les soldats d’Abiy Ahmed s’emparaient de Mekele, la capitale du Tigré, après 24 jours de combats. Le Premier ministre annonçait alors, triomphant, la « fin des opérations ». À cette date, le conflit était circonscrit à la province du Tigré, à 700 km d’Addis-Abeba. Un bout de terre septentrionale qui représente seulement 5 % de la superficie du pays mais dont les envies d’autonomie donnent du fil à retordre à l’armée fédérale, qui y a commis des exactions, servant ainsi la cause du Front de défense du Tigré (TDF, le bras armé du TPLF).

« Les 20 000 éléments tigréens qui ont été victimes de l’épuration d’Abiy Ahmed, en novembre 2020, sont venus grossir les rangs de la rébellion, explique Patrick Ferras, chercheur au CNRS. Qualifiés et entraînés, ils ont établi une stratégie de contre-offensive. »

Avec succès puisque, le 28 juin dernier, le TPLF parvient à reprendre Mekele.

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Ce dernier décide alors de créer une « zone tampon » dans les régions Amhara, au sud, et Afar, à l’est. Avec plusieurs objectifs : se venger des miliciens issus de ces zones qui ont aidé les forces gouvernementales à réprimer la rébellion au Tigré, mettre fin au blocus qui y est imposé et couper l’axe reliant Addis-Abeba à l’est du pays. « Notre objectif principal est de diminuer les capacités militaires de l’ennemi. Donc, si cela signifie aller en Amhara, nous le ferons », avait prévenu Getachew Reda, le porte-parole du TPLF, le 29 juin.

Pour le TPLF, contrôler l’Afar et le Nord, c’est perturber le pouvoir central

Joignant les actes à la parole, les rebelles tigréens ont effectué une percée en territoire amhara dès le mois de juillet. Le 7 octobre, l’armée éthiopienne, appuyée par des miliciens amharas, a lancé la contre-attaque et la deuxième région la plus peuplée du pays est désormais elle aussi le théâtre de violents combats.

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Un autre front a également été ouvert en juillet, dans l’Afar. Appelant la jeunesse éthiopienne à se mobiliser, le 10 août dernier, Abiy Ahmed a cru bon d’affirmer que des miliciens afars avaient pris part à l’offensive dans le Tigré. « Ce fut une erreur. Tsadkan Gebre-Tensae [le chef des TDF] y a immédiatement envoyé des hommes », affirme Patrick Ferras. La région est aussi stratégique de par sa position, aux portes de Djibouti. « Pour le TPLF, contrôler l’Afar et le Nord, c’est perturber le pouvoir central », ajoute le chercheur.

Menace sur Addis

La capitale éthiopienne peut-elle être à son tour menacée ? Au sein de la rébellion, certains n’hésitent plus à évoquer l’hypothèse d’une avancée jusqu’à Addis, mais la suite qui va être donnée à cette offensive reste incertaine.

Le gouvernement fédéral est indéniablement sous pression. Évoquant « une expansion de la guerre autant prévisible qu’inacceptable », Jeffrey Feltman, l’émissaire américain pour la Corne de l’Afrique, a demandé « au TPLF de retirer ses troupes des régions Amhara et Afar ». Le président des États-Unis, Joe Biden, a par ailleurs annoncé son intention de retirer l’Éthiopie de la liste des pays bénéficiaires de l’Agoa, loi commerciale offrant un accès privilégié au marché américain.

Resté jusque-là imperméable aux menaces de la communauté internationale, Abiy Ahmed, Prix Nobel de la paix en 2019, a quant à lui exhorté ses citoyens à utiliser « n’importe quelle arme […] pour bloquer le TPLF destructeur, le renverser et l’enterrer ».

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