Chasse à l’opposition

Appareil d’État, armée, police… le pouvoir mobilise tous les moyens de répression pour faire taire ses adversaires. Dans le sang.

Publié le 7 novembre 2005 Lecture : 3 minutes.

« Atnesam way ! » Les jeunes manifestants scandent l’appel traditionnel à la révolte, littéralement : « Pourquoi ne te lèves-tu pas ? » Ils dressent des barricades, brûlent des pneus, caillassent la police d’élite qui quadrille Addis-Abeba. Elle tire sur tout ce qui bouge et rafle. Au surlendemain de la quasi-émeute qui a éclaté le 1er novembre, on dénombre des dizaines de morts et des centaines de blessés par balles. Le comité central du parti d’opposition le plus important, la Coalition pour l’unité et la démocratie, et des milliers de ses militants ont été arrêtés. Loin des regards, la répression qui frappe les villes de province et plus encore les campagnes où vivent 85 % des Éthiopiens pourrait être pire.
Depuis qu’il était patent au soir des élections générales du 15 mai 2005 que l’opposition avait fait une percée si marquée qu’elle pourrait sortir vainqueur des urnes, l’homme fort de l’Éthiopie, Mélès Zenawi, n’a eu de cesse de la faire capituler en mobilisant toutes ses forces : un État ; une armée et une police totalement soumises ; une communauté internationale objectivement acquise parce que la continuité lui semble le gage de la stabilité de l’Éthiopie. Il exige de l’opposition qu’elle entérine non seulement les décomptes officiels, à l’évidence frauduleux, qui signent sa défaite, mais aussi la perpétuation de la mainmise du régime sur tous les leviers économiques et politiques. En bref, Mélès lui dénie son rôle légitime d’opposition et ne la reconnaît même pas comme telle. Ses dirigeants sont des « criminels », des « comploteurs », des « traîtres », qui veulent s’emparer du pouvoir par la force, voire de futurs génocidaires à l’encontre de la minorité tigréenne dont est issue la quasi-totalité des dirigeants réels du pays. Sans jamais apporter la moindre preuve.
Car si l’opposition radicale abrite un courant extrémiste et revanchard, elle n’a jamais prôné la violence. Mais, balbutiante, divisée, chaotique, incapable de capitaliser le vote de protestation, elle n’a pas réussi à faire fléchir Mélès. Elle a dû accepter que les fraudes soient traitées par un Bureau électoral qui a évidemment rendu des arbitrages biaisés. Les élus des Forces démocratiques éthiopiennes unies, minoritaires, sont pourtant entrés au Parlement, les députés de la Coalition, majoritaires, s’y refusant. À plus forte raison pour siéger dans une Chambre croupion après qu’une réforme votée à la hâte par les sortants l’eut privée d’un réel pouvoir budgétaire et de tout débat sur un point quelconque sans l’aval de la majorité. Enfin, ultime concession, mais de taille : la Coalition acceptait de revenir sur son boycottage parlementaire sans annulation du résultat électoral officiel ni formation d’un gouvernement d’unité nationale si huit exigences qui iraient de soi dans toute démocratie étaient satisfaites. Sinon, elle appellerait à un « combat pacifique ». Pour toute réponse, le Parlement levait l’immunité des boycotteurs.
Le piège se refermait. Plus le régime affirmait son hégémonie et affichait sa morgue, plus les partis d’opposition se montraient incapables d’en venir à bout, plus le rejet du pouvoir, massif dans les villes, se muait en haine. Elle ne pouvait avoir d’autre exutoire qu’une explosion populaire qui n’ouvre aucune perspective politique interne.
La communauté diplomatique a d’abord délivré un quasi-satisfecit au déroulement du scrutin. L’Union africaine est même allée jusqu’à affirmer qu’il s’était déroulé « conformément aux lois du pays » et se contente aujourd’hui d’appeler au « calme » et au « dialogue ». Seule la mission d’observation de l’Union européenne a jugé qu’il n’avait pas été « à la hauteur des normes internationales » avant que le Parlement européen n’adresse récemment une sévère mise en garde à Mélès. Surtout, l’incessante médiation, emmenée par les États-Unis et la Grande-Bretagne, a imposé à l’opposition concession sur concession, mais n’a obtenu de Mélès que des promesses jamais tenues. Au mieux par naïveté, au pire par duplicité, ils ont été instrumentalisés. Or ils disposent d’un atout maître : l’aide internationale représente au moins le quart du PIB éthiopien. Loin d’en jouer, ils ont assuré qu’elle s’amplifierait pour accompagner la « démocratisation » du régime. Mais l’ultime chance de son émergence est que la communauté internationale l’exige enfin de Mélès.

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