Cacao : le paradoxe ivoirien

Comment, selon le quotidien français La Tribune, les producteurs burkinabè ont sauvé la première ressource de la Côte d’Ivoire.

Publié le 7 novembre 2005 Lecture : 3 minutes.

Après la fin du mandat officiel du président Laurent Gbagbo, le 30 octobre, que va-t-il se passer à Abidjan ? Les PME qui fournissaient 50 % des recettes d’impôts à l’État ferment les unes après les autres. Le tissu économique se désagrège. Mais, contrairement à certains pronostics, le cacao ne se meurt pas. Plusieurs centaines de milliers de familles de planteurs, possédant chacune quelques hectares de cacao, restent le poumon de la Côte d’Ivoire. Taxés par l’État, qui ne leur laisse que 0,4 à 0,5 euro par kg (contre 0,8 euro au Ghana voisin), ces planteurs s’appauvrissent. Pourtant, ils résistent encore à la chute des revenus. Par quels moyens ?
Première réponse : l’agriculture familiale, très efficace, surtout dans des systèmes qui n’offrent que peu ou pas d’économies d’échelle, permet de produire un cacao à très faible coût. Vu la terrible pression fiscale sur la première ressource du pays, la résistance des producteurs est un paradoxe quasi universel de l’agriculture familiale. Cette dernière accepte les conditions de survie parce qu’elle n’a pas d’alternative économique, encore moins politique.
La seconde réponse est l’énorme dépendance du pays par rapport aux « étrangers ». Loin du chiffre officiel de quelque 10 % d’allogènes, la composante d’origine étrangère, surtout burkinabè, représente plus du tiers des producteurs « propriétaires » de plantations et la majorité des travailleurs de type métayers. Au total, ces étrangers assurent près de 50 % de la production de cacao du pays. Pour un Burkinabè, dont la terre natale peine à nourrir sa famille, le cacao de Côte d’Ivoire, même payé à vil prix, reste un eldorado. Les migrants burkinabè sont plus dynamiques et novateurs que les planteurs dits de souche ivoirienne, et prennent progressivement leur relais économique. Sur le plan social et politique, ils ne peuvent en revanche que filer doux.
Une troisième réponse est la construction historique d’un étonnant rapport social entre autochtones et migrants. Les premiers ont « cédé » la forêt aux seconds tout en maintenant une relation de clientélisme. Les autochtones voyaient d’ailleurs dans les Burkinabè des gens plus dociles que les migrants internes à la Côte d’Ivoire. De fait, ils acceptent de se montrer toute leur vie redevables à leurs « tuteurs » autochtones par des services réguliers. Même si les Ivoiriens se sentent aujourd’hui frustrés du succès burkinabè, cet arrangement historique reste un ciment social. Au final, les migrations massives de familles, en particulier d’origine étrangère, soucieuses de sortir de la pauvreté, déterminent le rythme exponentiel de plantations de cacao, et donc la formidable croissance de l’offre sur le marché international.
Des centaines de milliers de tonnes de cacao « made in Côte d’Ivoire » relèvent donc du travail et d’initiatives de Burkinabè. En dépit des humiliations et des assassinats dans plusieurs régions, ils continuent d’investir dans le cacao. Si la chute des revenus les oblige à oublier les engrais pour quelque temps et à réduire les pesticides, ils résistent mieux que les autres planteurs. Surtout, ils la compensent en travail et en soins manuels aux plantations (désherbage à la machette, taille des arbres). Les jeunes Burkinabè viennent à la rescousse de leurs aînés. Pour tous ceux qui créent encore de nouvelles plantations, tout se passe comme s’il fallait un surcroît d’effort dans les plus anciennes pour générer des revenus de nature à financer les nouvelles. On a là un beau « miracle » de l’agriculture familiale contribuant à expliquer pourquoi la Côte d’Ivoire résiste si bien.
La plus grande incertitude réside dans la gouvernance. Si la Côte d’Ivoire commet une erreur irréparable vis-à-vis de la formidable ressource que représentent les planteurs burkinabè, la production s’écroulera. Pour une brève période, quelques-uns en profiteront probablement, mais, rapidement, comme cela s’est souvent répété dans l’histoire du cacao, les concurrents en sortiront vainqueurs. Parmi eux, le Ghana, deuxième producteur mondial, rendrait en quelque sorte la monnaie de sa pièce à la Côte d’Ivoire, qui avait profité de son propre écroulement dans les années 1970. Il y aura surtout le Vietnam, aux aguets, « préparé » à cette éventualité par les multinationales du cacao.

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