Comment rétablir la confiance entre États et citoyens : les solutions d’Ousmane Diagana, Zéphirin Diabré, Adam Dicko…

Jeune Afrique, en partenariat avec la Banque mondiale, a organisé un débat inédit consacré à l’épineuse question de la défiance des populations africaines envers leurs institutions et aux moyens de restaurer la confiance. Voici ce qu’il fallait en retenir.

Publié le 12 novembre 2021 Lecture : 5 minutes.

Comment renouer le lien entre les citoyens et l’État dans les pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale, où cette relation est minée par les promesses non tenues, les conflits, la mal gouvernance ou le manque de moyens ? Pendant deux heures d’un intense débat, les participants à la conférence digitale organisée le 9 novembre conjointement par la Banque mondiale et Jeune Afrique ont tenté de répondre à cette épineuse question.

Sur ce constat, tous s’accordent. La situation est plus que préoccupante. Le contrat social qui lie les États à leurs citoyens est en lambeaux. « Nous le constatons partout », a reconnu Ousmane Diagana, vice-président de la Banque mondiale pour l’Afrique de l’Ouest et centrale, avant de relever l’émergence « de nouvelles contestations, de nouveaux troubles sociaux, dans plusieurs pays, qui révèlent les frustrations des populations » et de constater « une hausse de l’instabilité politique et des conflits » dans toute la sous-région.

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L’IDH le plus faible au monde

En Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, « onze des vingt-deux pays de la zone sont considérés comme fragiles, en conflit, et dans ceux qui ne sont pas classés officiellement comme fragiles, nous savons qu’il existe des poches où règne l’exclusion », a-t-il encore ajouté.

Même constat dressé par Manuel Vargas, responsable du pôle « gouvernance » pour l’Afrique de l’Ouest et centrale de l’institution de Bretton Woods, qui a notamment pointé le fait que l’Afrique de l’Ouest est la région du monde qui possède « l’Indice de développement humain (IDH) le plus faible au monde ». Manque d’accès aux services de première nécessité, corruption, clientélisme politique… Autant de facteurs qui viennent s’additionner pour mettre à mal le lien entre les citoyens et l’État, a souligné le spécialiste, avant de plaider avec force pour la nécessité de « placer le citoyen au centre des efforts de développement, en tant que bénéficiaire, mais aussi partie prenante, avec un pouvoir d’action ».

Déception face à la parole donnée non respectée

« Plus que dans une rupture de la confiance, on est dans une phase de défiance, avec une jeunesse bouillonnante, qui n’hésite plus à braver l’autorité de l’État », a abondé Lionel Bilgo, cofondateur et directeur Afrique de Teminiyis Media, entreprise burkinabè spécialisée dans la communication à destination des enfants et des jeunes. Une défiance qui se nourrit notamment de « la déception face à la parole donnée non respectée », a pointé Viviane Ondoua Biwola, enseignante à l’université Yaoundé-II. Et pour cette spécialiste des questions de gouvernance, l’une des causes est également à trouver dans le déficit de pluralisme démocratique. Pour la chercheuse camerounaise, dans plusieurs pays de la sous-région, les citoyens se trouvent confrontés à « un manque de contre-pouvoir entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire, tous tenus par un même parti, une même idéologie, un même groupe de personnes ».

Quelles solutions ?

Comment, dès lors, rétablir la confiance ? D’abord, en systématisant et en améliorant la qualité de l’évaluation des politiques publiques, a insisté Viviane Ondoua Biwola, tout en « évitant d’appliquer des approches normatives, que l’on appliquerait à tous les secteurs et dans tous les pays ».

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Sur cette question de l’évaluation des politiques publiques et de la reddition des comptes,  Zéphirin Diabré, ministre d’État burkinabé chargé de la Réconciliation nationale, voit dans les expressions de la colère sociale un signe d’espoir. « Nous avons des populations qui, lorsque l’on ne respecte pas le contrat, ne vont plus hésiter à réclamer », a noté le ministre burkinabè, citant l’exemple de son pays où, « depuis 2014, avec l’insurrection populaire, on sent un bouillonnement ». Désormais, « dans un quartier, lorsqu’une route tarde à être bitumée, les habitants érigent des barricades pour appeler l’État à agir », s’est-il félicité. « L’amélioration de l’accès aux services de base est désormais vu comme une obligation de l’État, alors que c’était jusque-là vu comme une faveur », a-t-il soutenu.

La Malienne Adam Dicko, directrice exécutive de l’Association des jeunes pour la citoyenneté active et la démocratie (AJCAD), s’est faite porte-parole de la société civile dans ce débat. Détaillant les actions menées par son association, qui entend, par un maillage de clubs locaux dans huit régions du Mali « identifier des leaders naturels » capables de se faire les représentants des populations auprès des politiques et des institutionnels, elle a plaidé notamment pour une meilleure formation des citoyens. Il faut, « donner la capacité aux jeunes de Kidal de comprendre que les autorités doivent répondre à leurs aspirations », a-t-elle expliqué. Et d’insister sur le fait que « la redevabilité doit aussi être mutuelle : si on veut que les politiques changent, il faut que les citoyens changent aussi ».

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Demande et offre

La directrice de l’AJCAD a aussi profité de la présence d’Ousmane Diagana pour l’alerter sur le fait que, selon elle, « des programmes, soutenus par la Banque mondiale, mais dont on voit qu’ils ne marchent pas, reçoivent pourtant à nouveau des financements, l’année d’après, encore plus important ». Et Adam Dicko de glisser que « parfois on a l’impression que la Banque mondiale soutien la médiocrité ».

Réponse d’Ousmane Diagana : « Si c’est le cas, c’est que l’on a été mal informés dans le processus d’évaluation. Nous ne remettons jamais des ressources dans un projet qui n’a pas marché. Par ailleurs, les évaluations ne relèvent pas de la seule compétence de la Banque mondiale. »

Surtout, pour lui, le contrat social liant État et citoyens ne sera restauré que si les efforts de développement se font en marchant sur deux jambes : d’une part solliciter les populations sur leur demande en matière de gouvernance, de l’autre améliorer l’offre proposée par les États. Sur les secteurs clés identifiés par la Banque mondiale, cela se traduit par le fait que sa volonté, « sur les financements que nous débloquons, de faut faire en sorte que les politiques publiques soutiennent l’inclusion économique et participe à la création de richesses qui doivent être, elles-aussi, mieux partagées ».

Mieux partagées, et moins confisquées, aussi. Le vice-président Afrique de l’Ouest et Afrique centrale de l’institution n’a d’ailleurs pas hésité à pointer du doigt la corruption comme l’un de maux endémiques. « En Afrique, il y a 14 milliards de dollars [investis] dans le cadre de projets d’électrification… Et l’on constate que moins de la moitié de la population a accès à l’électricité. Cela pose question sur la qualité de la gouvernance dans ce secteur, sur l’utilisation des ressources et sur la distribution des investissements publics », a notamment pointé Ousmane Diagana. « La Banque mondiale veut un nouveau contrat avec les États pour faire en sorte que, dans quatre ou cinq ans, il y ait de l’électricité partout. Aujourd’hui, les financements sont disponibles ! »

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