État voyou

Publié le 7 août 2006 Lecture : 3 minutes.

Pierre Vidal-Naquet nous manque déjà. Avec Rony Brauman, Guy Sorman, Edgar Morin et quelques autres, cet inlassable pourfendeur d’injustices, décédé le 29 juillet, était l’un des rares intellectuels français et juifs à ne pas confondre la lutte contre l’antisémitisme et la défense à tout prix de l’État d’Israël. Qu’aurait-il dit du massacre de Qana et des quelque neuf cents civils libanais tués par Tsahal depuis le 12 juillet, lui qui fut l’une des grandes figures du combat contre la guerre d’Algérie ? Qu’au sein du silence assourdissant de la classe politique française, celui de la gauche est sans doute le plus coupable. Le fait que, par électoralisme et par souci de se démarquer de Jacques Chirac – qui, n’ayant plus rien à perdre, donne libre cours à son courage en critiquant Israël -, un Nicolas Sarkozy ait cru bon d’afficher son soutien sans nuance à Ehoud Olmert dès le début de la guerre n’étonnera pas grand monde. Mais jusqu’où les socialistes français poursuivront-ils leur grand écart entre les principes politiques et humanistes qui fondent leurs valeurs et l’impossibilité d’exiger leur application dès qu’Israël est en cause ? Si, pour certains dirigeants du PS, ce grand écart met à nu un réflexe communautariste évident, pourquoi un François Hollande ou une Ségolène Royal* ne font-ils rien pour redresser l’image d’un parti considéré dans le monde arabo-musulman comme le plus pro-israélien de l’échiquier politique français depuis Guy Mollet ? Pourquoi être à ce point inaudible ?
Ce que n’a cessé de répéter Pierre Vidal-Naquet, alors qu’Israël commet au Liban ce qu’il convient d’appeler des crimes de guerre (tout comme doivent être qualifiés de criminels les tirs de roquettes du Hezbollah sur des cibles civiles israéliennes), est toujours d’une lumineuse actualité.
Reconnaître à Israël le droit à l’existence, ce n’est pas lui reconnaître le droit de tout faire. Cinquante-huit ans après sa création, il est plus que temps de juger cet État non pas sur ce qu’il est et sur ses origines particulières, mais sur ses actes. Or, au Liban, son comportement s’apparente à celui d’un Rogue State, un État voyou.
La souffrance originelle ne donne pas le droit d’opprimer. Faudrait-il, pour que l’abomination de la Shoah ne se reproduise plus, s’accommoder de la violation des droits d’un autre peuple – palestinien ou libanais – et mettre sur le même plan l’occupant et l’occupé ?
La politique suivie hier par Ariel Sharon et aujourd’hui par Ehoud Olmert fait plus de mal à l’État juif que des décennies de propagande arabe et/ou antisémite.
Nul ne devrait accepter les « regrets » d’Israël pour les massacres « collatéraux » commis au Sud-Liban. Et nul ne devrait accepter les contorsions cyniques d’un Avi Pazner, porte-parole du gouvernement israélien et ancien ambassadeur à Paris, expliquant gravement que si des femmes et des enfants meurent, c’est parce que le Hezbollah les met en première ligne – comme si les « valeurs » et la « morale » de Tsahal lui interdisaient de tuer de sang-froid ! Nulle part au monde, dans aucun conflit, on ne songerait à incriminer les parents pour la mort de leurs enfants écrasés sous les décombres, mais en toute hypothèse ceux qui les assassinent en lâchant les bombes sans se soucier d’autre chose que d’« un léger tremblement des ailes de l’avion » (la phrase, terrible, est du chef d’état-major israélien, le général Dan Haloutz). Il est vrai qu’Israël est un cas à part. Aucun reproche ne peut lui être adressé. Ce qui est condamnable, voire criminel, ce n’est pas de se taire devant ses agissements, mais d’oser les critiquer. Décidément, Vidal-Naquet va nous manquer, lui qui, deux jours avant sa disparition, cosignait dans le quotidien Libération un appel prémonitoire : « Assez de cette folie guerrière, assez de cette agression abominable menée au nom d’Israël contre des Libanais et des Palestiniens. [] Assez de cette course effrénée vers l’abîme. »

* Laquelle préfère mettre en cause les États-Unis et la « politique Bush » – une dérobade, qui, il est vrai, n’est pas électoralement pénalisante -, comme si ces derniers dictaient sa ligne de conduite à Israël !

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