« Messieurs les Ministres du Commerce »

Le directeur général de l’Organisation mondiale du commerce met en garde, dans un long courrier, les responsables politiques des grandes nations : sans reprise des négociations sur le cycle de Doha, les accords bilatéraux vont se multiplier, accrois

Publié le 7 août 2006 Lecture : 5 minutes.

« Messieurs les Ministres,
Le traumatisme engendré par l’échec des négociations sur le commerce mondial n’a pas encore d’écho dans les rues de New York, Paris ou Tokyo. Mais pour les cultivateurs de coton de l’ouest de l’Afrique, les producteurs de riz de Thaïlande et les éleveurs de bufs d’Amérique latine, les répercussions se font déjà sentir.
Si les négociations, suspendues le 23 juillet, ne reprenaient pas, il n’y aurait alors aucun vainqueur. Nous le payerions tous. Nous payerions les opportunités perdues d’étendre les échanges commerciaux, de stimuler la croissance économique et de soutenir les efforts de développement dans les pays pauvres. Nous le payerions aussi par l’affaiblissement des échanges commerciaux multilatéraux au profit d’échanges bilatéraux beaucoup moins efficaces. []
Oui, nous payerions tous pour cet échec, mais les plus pauvres et les plus faibles d’entre vous paieraient le plus lourd tribut. Le cycle de Doha a été lancé il y a cinq ans, dans l’idée qu’il serait le meilleur moyen d’intégrer les pays les plus pauvres de l’économie mondiale. Le commerce peut être un outil puissant du développement et il a été un instrument déterminant pour sortir des centaines de millions de gens de la pauvreté dans des pays comme la Chine, l’Inde, la Corée du Sud ou la Malaisie.
De nombreux autres pays souhaiteraient suivre cet exemple et tirer profit de la croissance économique liée aux exportations. Mais les règles actuellement en vigueur jouent contre eux parce que, dans les secteurs de production où ils sont les plus compétitifs, le commerce est entravé par toute une série de barrières à l’importation.
C’est particulièrement vrai pour l’agriculture. Bien que l’échec brutal des négociations ait été un choc pour beaucoup, le fait que l’agriculture en soit la cause première n’a surpris personne. Aucun accord n’était possible sans une réduction substantielle des taxes douanières qui grèvent sévèrement le commerce agricole et des subventions qui nuisent aux agricultures des pays pauvres en incitant leurs homologues des pays riches à vendre à bas prix leurs surplus sur les marchés mondiaux.
Le débat qui a bloqué la négociation pendant quelque temps s’est focalisé sur l’importance respective de ces réductions. Les partisans de fortes réductions des subventions ont été peu enthousiastes à l’idée d’ouvrir leurs propres marchés. À l’inverse, ceux qui prônent une plus grande ouverture des marchés n’étaient pas prêts à payer le prix d’une réduction des subventions agricoles. Parallèlement, on ne s’est guère préoccupé des droits de douane sur les biens et services industriels, alors qu’ils représentent près de 90 % du commerce mondial !
Le résultat, c’est que le cycle de développement de Doha est dans l’impasse et que les négociations ont dû être interrompues. Nous avons demandé un temps mort pour que vous laissiez la pression retomber et que vous puissiez réfléchir. []
Ce qui se trouve sur la table des négociations actuellement constitue un progrès sans précédent en matière de subventions et de droits de douane. Même la plus insignifiante des recommandations aurait réduit les effets néfastes des subventions agricoles sur les échanges commerciaux, deux à trois fois plus que les précédents cycles de négociations. Les subventions à l’export auraient été supprimées. Pour la première fois, les participants auraient limité les subventions à la pêche qui contribuent à la dégradation de nos océans. La grande majorité des exportations en provenance des pays les plus pauvres n’aurait plus rencontré d’entraves, et les pratiques qui handicapent les producteurs africains de coton auraient pu être substantiellement réformées.
D’importantes réductions sur les droits de douane, sur le point d’être conclues, auraient ouvert les marchés mondiaux comme jamais auparavant. Et les négociations sur les services portaient la promesse de nouvelles opportunités d’affaires dans des secteurs comme la livraison express, la banque, l’assurance, les services informatiques et les télécommunications.
De telles bases de discussions peuvent-elles être sauvegardées ?
Cela dépend beaucoup de vous, Messieurs les Ministres. On constate que l’échec de cette semaine a déjà donné naissance à deux phénomènes qui menacent le multilatéralisme : une priorité donnée aux accords bilatéraux ou régionaux qui signifierait la baisse des échanges mondiaux aussi bien en volume qu’en ampleur dans les domaines concernés, et le risque de voir se multiplier les menaces de faire intervenir notre très efficace système d’arbitrage des conflits pour régler ce qui n’a pas pu l’être par la négociation.
Les accords bilatéraux n’offrent ni la couverture géographique ni l’éventail des négociations nécessaires pour aborder les disparités des marchés. Dans ce type d’échanges, les petits pays et les pauvres seront oubliés et les subventions agricoles ne seront jamais réparties de manière adéquate.
Nombre d’entre vous, frustrés par le manque de progrès, se tournent massivement vers le système de règlement de l’OMC, et vous en avez le droit. Mais en passant d’une culture de la négociation à celle du litige, nous risquons de compromettre le fragile équilibre qui existe entre l’interprétation des règles actuelles et la signature d’accords, nouveaux et mieux adaptés.
Nos efforts visant à la création d’un nouveau système d’échanges commerciaux plus pertinents ont connu un sérieux revers, et notre avenir est incertain. Tous les pays, particulièrement les plus grands et les plus puissants, doivent faire le maximum pour que la situation ne s’aggrave pas.
Lorsque vous réfléchirez aux prochaines étapes, je vous demande de bien mesurer les graves conséquences de votre incapacité à conclure un accord. Je vous demande de ne pas retirer de la table des négociations les propositions qui vous ont été faites et de cesser ces attaques au vitriol qui ont rendu plus difficile le retour à la table des négociations.
Enfin, je vous demande d’élargir votre horizon et de ne pas rester sur la défensive. Pensez à ceux qui vivent dans la pauvreté et voient dans ces négociations l’espoir d’une vie meilleure. En ces temps de graves troubles politiques, l’OMC a la possibilité de contribuer à rendre ce monde plus juste et plus stable. S’il vous plaît, pensez-y pendant ce temps mort. »

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