Le syndrome de Pharaon

Tous les spécialistes sont d’accord : l’existence d’une administration tentaculaire et inefficace constitue l’un des principaux obstacles au développement.

Publié le 7 août 2006 Lecture : 4 minutes.

« Oui, nous espérons un changement politique et des amendements constitutionnels qui instaurent davantage de démocratie, de participation et de décentralisation aussi, qui permette aux gens de mieux exprimer leurs besoins », a déclaré, le 10 juillet au Caire, Heba Handoussa, la rédactrice en chef du « Rapport sur le développement humain en Égypte, 2005 », publié par le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), avec la collaboration du ministère égyptien du Plan et du Développement local. Les Égyptiens sont en effet « démobilisés, démoralisés et ne pensent pas avoir un rôle à jouer ». Ils boudent les urnes (les élections présidentielle et législatives de l’an dernier ont donné lieu à des taux d’abstention supérieurs à 75 %) parce qu’« ils n’espèrent aucun changement de la part d’un État qu’ils tiennent pour le principal responsable de leurs maux ».
Si, depuis les temps pharaoniques, l’Égypte a toujours été l’un des pays les plus centralisés au monde, explique Salwa Chaarawi Gomaa, directrice du Centre d’études et de consultation de l’administration générale et corédactrice du rapport, c’est en partie pour des raisons historiques : « Pendant des siècles, la population a dépendu du pouvoir central pour la gestion de ses besoins en eau d’irrigation destinée aux terres agricoles bordant le Nil. » Ce pouvoir omniprésent et omnipotent a longtemps permis d’assurer la subsistance de la population et de cimenter l’unité du pays, mais, aujourd’hui, il constitue un frein à son développement.
C’est en tout cas la thèse défendue par les auteurs d’un rapport intitulé « Choisir notre avenir : vers un nouveau contrat social » récemment publié par une trentaine de chercheurs appartenant à diverses disciplines qui ont étudié le fonctionnement – et, surtout, les dysfonctionnements – de l’administration publique. Leur diagnostic est le suivant : 61 % des fonctionnaires et employés de l’État travaillant pour les administrations locales n’ont qu’une faible influence sur le mécanisme de prise de décision dans les localités dont ils ont la charge. Preuve de cette dépendance : la part des collectivités et administrations locales dans le budget de l’État ne dépasse guère 15 %. Quant à leur part dans les dépenses, elle serait comprise entre 2 % et 3 %. La raison en est simple : 80 % des sommes ainsi allouées servent à payer les salaires des fonctionnaires ; lesquels sont dans leur majorité recrutés par… l’administration centrale.
Outre les recrutements, qui sont du ressort du département de tutelle – quand ce n’est pas du ministre en personne -, les primes, promotions, sanctions et licenciements sont décidés au Caire. Ce système fonctionne sur la base du clientélisme, qu’il soit politique (les membres du parti au pouvoir ont la préséance pour l’attribution des postes de décision), régionaliste ou clanique, et suscite de juteuses prébendes (les fameux bakchichs) dont profitent les commis de l’État, à tous les niveaux.
« Même en matière d’investissements, c’est l’administration centrale qui fixe les priorités et décide des dépenses. Les conseils municipaux ne font souvent qu’appliquer les ordres de tel ou tel ministre. Il en va de même des gouverneurs (préfets), qui ne disposent d’aucune indépendance financière », explique encore Handoussa. Les chercheurs considèrent donc la décentralisation comme un chantier absolument prioritaire. Ils préconisent de réduire d’au moins 1 million le nombre des salariés du secteur public (près de 6 millions, actuellement) et d’accroître en conséquence les effectifs du privé. L’objectif est de faire passer la part de l’État dans l’effort général en matière d’emploi de 27 % à 17 % en 2015.
Selon une enquête réalisée récemment par le Centre d’information et de soutien à la décision, qui dépend des services du Premier ministre, seuls 11 % des foyers égyptiens en milieu urbain possèdent un ordinateur. En milieu rural, ce taux tombe à moins de 1 %. Par ailleurs, seuls 43 % des urbains sont satisfaits du système éducatif et 77 % d’entre eux ont recours aux cours particuliers pour assurer une bonne formation à leurs enfants. Un luxe que ne peuvent évidemment pas s’offrir les familles pauvres vivant avec moins de 2 dollars par jour. Or celles-ci représentent le quart de la population totale du pays (74 millions de personnes).
Pour venir à bout de ces maux endémiques que sont le chômage (20 %), l’analphabétisme (55,6 %), les difficultés d’accès au logement, la détérioration de l’environnement et les carences des services publics, les experts sont favorables à la mise en uvre d’un « nouveau contrat social » en vertu duquel l’État encouragerait la société civile à participer plus activement à la réussite des réformes politiques, économiques et sociales. Il devrait pour cela intégrer les notions de participation, de démocratie, de liberté, de responsabilité, d’esprit d’entreprise, d’innovation, de transparence et d’équité. Bref, il faudrait que le tout-État cède la place à l’initiative privée, l’autocratie à la cogestion, le pouvoir centralisé à la responsabilité collective. Un nouveau cri dans le désert du Sinaï ?

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