Éthiopie : quelles sont encore les options d’Abiy Ahmed ?

Alors qu’Addis-Abeba se prépare à un possible assaut des combattants du TPLF alliés à ceux de l’OLA, le Premier ministre éthiopien est au pied du mur. Et les pays voisins s’inquiètent des répercussions de la crise.

Le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed, en 2018. © ALEX WELSH/The New York Times-REDUX-REA

Le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed, en 2018. © ALEX WELSH/The New York Times-REDUX-REA

Publié le 7 novembre 2021 Lecture : 4 minutes.

Abiy Ahmed peut-il encore renverser la situation à son avantage ? Jamais depuis qu’il est arrivé au pouvoir, en avril 2018, sa situation n’avait paru aussi précaire. La guerre a certes commencé il y a un an, les choses se sont accélérées ces dernières semaines. Fin octobre, le Front de libération du peuple du Tigré (TPLF) a en effet revendiqué la prise de deux villes stratégiques, Dessie et Kombolcha, situées à 400 km au nord d’Addis-Abeba. Le 3 novembre, l’Armée de libération oromo (OLA), qui a fait alliance en août avec le TPLF, a affirmé que l’arrivée de ses combattants dans la capitale était désormais « une question de mois, si ce n’est de semaines ».

En réponse, le gouvernement fédéral a annoncé un couvre-feu et a exhorté les habitants d’Addis-Abeba à se préparer à défendre la ville, qualifiant le conflit de « guerre existentielle ». Mais il est de plus en plus clair que les options d’Abiy Ahmed s’amenuisent rapidement.

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Ni vainqueur ni vaincu

Le Premier ministre pourrait se résigner une guerre d’usure, mais l’armée fédérale a subi de multiples défaites, particulièrement au cours des cinq derniers mois, et elle est démoralisée. Malgré ses dernières offensives et les frappes aériennes qui ont visé Mekele, la capitale du Tigré, les forces du TPLF ont encore gagné du terrain dans les régions Afar et Amhara, permettant une expansion géographique du conflit dont les répercussions pourraient se faire sentir pendant des décennies.

L’OLA a également fait des progrès significatifs. Ses annonces – de plans de marche sur Addis-Abeba et de formation d’une alliance politique plus large – suggèrent que les rebelles travaillent déjà à une transition post-Abiy.

Celui-ci pourrait tenter de trouver un accord avec ses adversaires, d’autant qu’il est de plus en plus évident qu’il s’agit d’une guerre qui n’aura ni vainqueur ni vaincu, toutes les parties s’étant rendues coupables de violations des droits de l’homme et de possibles crimes de guerre, selon une récente enquête des Nations unies. Même s’il n’est pas exclu qu’Abiy parvienne à sauver son pouvoir, un accord de paix lui offrirait, le cas échéant, la possibilité de négocier son départ et les contours d’une transition en bonne et due forme.

Les dirigeants du Tigré ont insisté sur le fait que leur objectif immédiat était de lever le blocus imposé à leur région, mais leurs visées à plus long terme ne sont toutefois pas claires. Faut-il y voir un indice ? On connaît le nom de l’alliance rebelle qui sera bientôt formée : le Front uni des forces fédéralistes éthiopiennes.

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Inquiétude régionale

Cette escalade du conflit, qui a coûté des milliers de vies et entraîné le déplacement de millions de personnes, a d’ores et déjà ébranlé l’Afrique de l’Est. Elle intervient dans un contexte marqué par un récent coup d’État et des contre-manifestations au Soudan voisin et par la pandémie de Covid-19.

Le 4 novembre, le ministre ougandais des Affaires étrangères a fait savoir que Yoweri Museveni avait convoqué une réunion des dirigeants de la région, le 16 novembre, pour discuter de la crise éthiopienne. En octobre, le président ougandais avait fait d’Amama Mbabazi, ancien Premier ministre et candidat malheureux lors de l’élection présidentielle de 2016, son envoyé spécial au Soudan du Sud et en Éthiopie, mais cela n’a permis aucune avancée.

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Le 3 novembre, c’est Uhuru Kenyatta qui avait appelé au dialogue entre les belligérants et a proposé l’aide du Kenya pour « assister le processus de la manière que les Éthiopiens eux-mêmes jugerait appropriée. » « Les hommes et les femmes du gouvernement éthiopien, dirigé par mon cher frère, le Premier ministre, ainsi que les hommes et les femmes qui combattent ce gouvernement doivent cesser immédiatement les combats et dialoguer », a-t-il ajouté dans un communiqué.

Le conflit dure depuis un an maintenant, mais les voisins de l’Éthiopie sont jusqu’à présent restés relativement en retrait, en dépit de l’aggravation rapide de la crise humanitaire et du risque d’une plus grande instabilité dans le pays le plus peuplé de la région.

Multiples répercussions

Mais alors que la plupart des dizaines de milliers de personnes qui ont fui les combats dans le Tigré ont trouvé refuge au Soudan, l’extension du conflit plus au Sud, vers Addis-Abeba, pourrait entraîner un afflux de réfugiés vers d’autres pays. Certains ont d’ores et déjà été signalés jusqu’à Nairobi, la capitale du Kenya qui partage, avec l’Éthiopie, une frontière de 861 km de long.

Dans une déclaration publiée le 3 novembre, le porte-parole de la police kenyane, Bruno Shioso, a d’ailleurs déclaré que le pays avait « renforcé la sécurité et la vigilance le long des frontières kenyanes et dans d’autres zones critiques » et demandé à ses citoyens de signaler « les cas suspects d’étrangers sans papiers ».

La chute potentielle d’Abiy signifierait probablement la fin de l’accord de paix passé avec l’Érythrée

La guerre en Éthiopie pourrait également avoir d’autres répercussions régionales. La chute potentielle d’Abiy signifierait très probablement la fin du jeune accord de paix passé avec l’Érythrée. Il pourrait également modifier les relations avec Mogadiscio, où le président Mohamed Abdullahi Mohamed « Farmaajo » est confronté à de multiples crises. Ces derniers mois, le président somalien a travaillé en étroite collaboration avec Addis-Abeba et Asmara, y compris au Tigré, espérant sans doute diminuer la dépendance de son pays vis-à-vis de Nairobi.

L’administration d’Abiy Ahmed a jusqu’à présent résisté aux pressions de la communauté internationale et aux appels au dialogue. Le Premier ministre éthiopien pourrait-il assouplir ses positions ? L’envoyé spécial des États-Unis pour la Corne de l’Afrique, Jeffrey Feltman, est arrivé à Addis-Abeba, le 4 novembre, pour plaider en faveur d’un cessez-le-feu, mais ses chances de succès sont faibles.

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