Les trois vies de Jean-Louis Borloo

Avocat d’affaires, il a fait partie des cinq conseillers juridiques les mieux payés du monde ; maire de Valenciennes, il a redonné espoir à une région économiquement et socialement sinistrée ; ministre de l’Emploi, il se permet d’annoncer la fin du chômag

Publié le 7 août 2006 Lecture : 6 minutes.

Chaque fois qu’en France les choses vont mal pour la droite, journaux et hommes politiques pensent, pour occuper l’Hôtel Matignon, à Jean-Louis Borloo, ancien maire de Valenciennes et actuel ministre de la Cohésion sociale.
Quand le référendum sur la nouvelle Constitution européenne tourne au vinaigre, en mai 2005, et qu’il faut remplacer Jean-Pierre Raffarin comme Premier ministre, le nom de Jean-Louis Borloo est immanquablement cité. Lorsque Dominique de Villepin s’effondre dans les sondages, de bévue en bévue, de contrat première embauche raté en fusion GDF-Suez retardée, qui est suggéré pour le remplacer (en même temps que Nicolas Sarkozy) ? Jean-Louis Borloo.
Ceux qui l’aiment bien, avec sa tignasse à la diable, sa bouille de sale gosse et son fourmillement de projets, le qualifient de « Joker » ou de « Sauveur ». Le Times de Londres le baptise « M. Fix-it », ou « M. Bricolage ». D’autres le surnomment « Harry Potter », en référence au célèbre petit magicien de J. K. Rowling. Les moins enthousiastes l’appellent « Brouillon de culture » ou « Semeur de vent ».
Voici plusieurs semaines qu’il fait savoir, par la bande, qu’il ferait bien l’affaire pour réveiller un gouvernement à court d’idées. Il a inspiré un certain nombre d’articles et d’émissions où les commentateurs s’interrogent sur ses chances d’occuper Matignon, lui qui est le deuxième personnage de droite favori des Français après le ministre de l’Intérieur. Modeste, il répond invariablement qu’il n’y pense pas du tout.
Début juillet, il a brûlé la politesse à Dominique de Villepin pour être le premier à annoncer une baisse du chômage à 9,3 %, annonçant avec un aplomb admirable que « nous sommes sortis du chômage de masse ». Et tant pis si, la semaine dernière, Villepin a violé l’embargo sur les chiffres de l’emploi en juillet pour proclamer, avant Borloo, que le chômage avait atteint la barre symbolique des 9 % Borloo coupe aussi l’herbe sous le pied aux socialistes, en obtenant un coup de pouce au Smic en hausse de 3,05 %, et claironne qu’à ce rythme il réalisera en cinq ans la promesse du PS d’un salaire minimum à 1 500 euros par mois.
Objectif Matignon donc, et plus si affinité avec le peuple français. C’est qu’il a pris goût à cette politique qu’il affecte toujours de ne pas aimer ! À 55 ans, il lui consacre sa troisième carrière.
La première est celle d’un avocat d’affaires, né à Paris le 7 avril 1951. Il quitte très vite le bureau installé dans une chambre de bonne et se spécialise dans le conseil aux investisseurs désireux de reprendre des entreprises en grande difficulté et dans les fusions-acquisitions. Au milieu des années 1980, il est cité par Fortune parmi les cinq avocats les mieux payés du monde. Il conseille Bernard Tapie, prédateur reconnu. Mais il ne se satisfait pas de cette vie de « petit con » sans état d’âme, comme il dit, et tâte de la gestion en direct d’une entreprise de fumisterie qu’il redresse et du club de football de Valenciennes au bord du dépôt de bilan (Borloo est toujours président de l’association sportive de VA, la partie amateur du club).
Deuxième carrière : maire de Valenciennes. En 1987, il injecte jusqu’à 3 millions d’euros dans le club de foot et se voit proposer de prendre d’assaut une ville gérée par la droite et en pleine déconfiture économique et sociale, où il découvre une misère noire, pas encore baptisée « exclusion ». Aux élections municipales de 1989, il est plébiscité y compris dans les quartiers populaires acquis aux communistes : il l’emporte au second tour avec 76 % des suffrages.
Sa fortune lui permet de se consacrer à plein temps à son nouveau challenge. Il harcèle les ministères, Bruxelles, les chefs d’entreprise. Il pique des colères publiques contre les « petits marquis » et les technocrates qui ne comprennent rien à la vie ni à la ville. Ça marche : à sa prise de pouvoir, le taux de chômage de Valenciennes culminait à 25 % ; aujourd’hui, il est retombé à 13 %. Toyota s’est laissé convaincre d’installer une usine dans la commune proche d’Onnaing. Le centre-ville est rénové ; un tramway tout neuf y « donne l’accès à chacun au savoir et à l’emploi, par la mobilité ». Ses recettes ? D’abord, être « borlooptimiste », c’est-à-dire aux antipodes du « déclinisme », dire aux gens qu’ils sont formidables et qu’ils vont y arriver. « Je crois que la nature humaine va en se bonifiant », aime-t-il à répéter. Simple comme la méthode Coué. Par ailleurs, son expérience des entreprises lui a appris qu’il faut fédérer les crédits et les énergies pour arriver à un résultat durable, que ce soit en matière de logement ou d’infrastructures. C’est pourquoi il met tout le monde dans le coup, le conseil général et les autres maires, les communistes et les gaullistes, le préfet et les syndicats, les entrepreneurs et les églises. Il est le contraire de l’esprit partisan.
Troisième carrière : le destin national. Député européen sur la liste de Simone Veil, conseiller régional et député du Nord, il fonde Génération écologie avec Brice Lalonde en 1991. En 2001, il devient porte-parole de l’UDF, qu’il trahit en 2002 pour rejoindre l’UMP.
Claude Chirac, la fille du président de la République, à la recherche d’hommes et de femmes jeunes et imaginatifs issus de la société civile, le recommande à son père en 2002. D’abord ministre de la Ville et de la Rénovation urbaine, il est promu ministre de l’Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement dans le gouvernement Villepin. Il devient coprésident du Parti radical en 2005.
C’est peu dire qu’il fourmille d’idées « révolutionnaires » pour débloquer la France et réduire la fracture sociale. Il veut appliquer au pays tout entier ce qui a réussi à Valenciennes. Il ouvre des chantiers tous azimuts, tordant le bras du ministère des finances : 20 milliards d’euros pour la rénovation de 200 quartiers en difficulté, création d’un dossier unique pour les chômeurs, relance de l’apprentissage et recrutement de 500 000 apprentis, mesures en faveur des services dont il attend la création de 500 000 emplois en cinq ans, destruction programmée de 200 000 immeubles vétustes.
Plan de cohésion sociale par-ci, lutte contre le surendettement par-là, il apporte à la majorité de droite une pensée et une action sociale où se retrouvent les immigrés, les exclus, les jeunes, les mal-logés, même si les résultats ne sont pas toujours au rendez-vous des promesses.
Ce n’est pas grave : sa popularité tient moins à ses réussites prouvées qu’à l’image de personnage décalé et hors normes qu’il est parvenu à imposer dans l’opinion. Oui, il est de droite, mais il est pour le mariage gay comme pour le vote des immigrés aux élections locales, et sa loi sur le surendettement a été votée à la quasi-unanimité des députés. Cet ancien scout dont la mère était présidente mondiale de l’organisme caritatif catholique, les Conférences de Saint-Vincent-de-Paul, est un chaud partisan de la laïcité républicaine à la française.
Surtout, il se présente comme l’antithèse des hommes politiques compassés, virtuoses de la langue de bois et suffisants, que les Français ne supportent plus. Ses chemises sortent de son pantalon ; il enlève ses chaussures en public, a l’air d’avoir fumé un « pétard » ou de s’ennuyer à mourir dans les conférences de presse gouvernementales ; il parle cru, avouant que « gérer une ville c’est avoir les mains dans la merde », que la responsabilité de son ministère « lui a flanqué les chocottes » ou « qu’il lui faut se marrer au moins deux heures par jour ».
Il fait condamner un journal pour atteinte à sa vie privée (depuis un an, il est marié avec Béatrice Schönberg, qui présente le Journal télévisé de 20 heures sur France 2), mais refuse de toucher les dommages et intérêts du jugement, la leçon lui paraissant suffisante. Sympa, un rien flambeur avec un argent tellement bien gagné et correctement dépensé que le juge d’instruction Éric de Montgolfier a jeté l’éponge après l’avoir « fait chier pendant trois ans », selon l’intéressé.
Seulement, voilà, quand il y a le feu aux banlieues durant l’automne 2005 ou quand les manifestations drainent des millions de personnes contre le contrat première embauche (qui ne lui plaît guère) au printemps 2006, le ministre de la Cohésion sociale se réfugie dans un silence remarqué, quoique concerné au premier chef. Pas étonnant que ses collègues politiciens se méfient de ce rebelle qui joue très « perso ».
Il peut, certes, cohabiter sans difficulté avec Nicolas Sarkozy, Dominique de Villepin et même la socialiste Ségolène Royal. De là à ce que l’actuel président de la République ou son successeur lui confient les clefs de Matignon, il y a un abîme qui ne pourra être franchi qu’en cas de situation désespérée nécessitant le recours à un joker ou à Harry Potter !

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