Israël a besoin du Hamas et du Hezbollah

Publié le 7 août 2006 Lecture : 5 minutes.

L’État d’Israël a été créé en 1948. Depuis, la violence a été permanente entre Juifs et Arabes en Israël, et entre l’État hébreu et ses voisins. Parfois, elle a été faible ou même latente. De temps à autre, elle a tourné à la guerre ouverte, comme en ce moment. Toutes les fois où la violence s’est déchaînée, il y a eu immédiatement un débat pour savoir ce qui l’avait déclenchée, comme si cela avait un sens. Nous sommes actuellement dans une guerre ouverte entre Israël et la Palestine à Gaza, et entre Israël et le Liban. Et la communauté internationale s’est lancée dans son habituel et vain débat sur la manière dont on pourrait ramener cet état de guerre ouverte à un affrontement moins violent.
Tous les gouvernements israéliens ont cherché à créer une situation dans laquelle la communauté internationale et les voisins d’Israël reconnaîtraient son existence en tant qu’État, et où la violence intergroupes et inter-États cesserait. Israël n’a jamais réussi à atteindre cet objectif. Quand le niveau de violence est relativement bas, le peuple israélien est divisé sur la stratégie à adopter. Quand elle prend la forme d’une guerre ouverte, les Juifs israéliens et la communauté juive mondiale apportent leur soutien au gouvernement.

En réalité, la stratégie fondamentale d’Israël depuis 1948 s’est appuyée sur deux atouts pour la poursuite de ses objectifs : la puissance de son armée et le soutien massif de l’Occident. Jusqu’à présent, cette stratégie a été efficace : Israël a survécu. Toute la question est de savoir combien de temps encore elle sera efficace.
Sur la durée, l’origine de l’aide extérieure a varié. Nous oublions complètement qu’en 1948 c’est l’Union soviétique et ses satellites d’Europe orientale qui apportèrent un soutien militaire crucial à Israël. Quand l’URSS se retira, c’est la France qui prit le relais. La France était engagée dans la guerre d’Algérie, et elle considérait qu’Israël pouvait apporter une aide décisive pour faire échec au mouvement de libération nationale algérien. Mais quand l’Algérie est devenue indépendante, en 1962, la France s’éloigna d’Israël parce qu’elle cherchait à maintenir des liens avec l’Algérie indépendante.

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C’est alors seulement que les États-Unis apportèrent à Israël un soutien qui est aujourd’hui total. Un des facteurs décisifs de ce changement de politique a été la victoire militaire israélienne dans la guerre des Six-Jours de 1967. Lors de cette guerre, Israël a conquis la totalité du territoire de l’ancien mandat britannique sur la Palestine, et plus encore. Il a prouvé sa capacité à assurer dans la région une forte présence militaire. Il a fait basculer les positions de la communauté juive mondiale. Jusqu’à ce moment-là, la moitié environ de ses membres approuvait réellement la création d’Israël. Désormais, ils étaient une large majorité pour qui l’existence de l’État hébreu était une source de fierté. C’est aussi l’époque où l’Holocauste est devenu une justification idéologique majeure d’Israël et de sa politique.
Après 1967, les gouvernements israéliens n’ont jamais eu le sentiment qu’ils devaient négocier quoi que ce fût avec les Palestiniens ou avec les pays arabes. Ils ont fait des propositions, toujours aux conditions d’Israël. Ils n’ont pas voulu négocier avec Nasser. Ni, ensuite, avec Arafat. Ils ne veulent pas non plus négocier aujourd’hui avec ceux qu’ils appellent des terroristes. Au lieu de quoi ils ont enchaîné les démonstrations de puissance militaire.
Israël commet aujourd’hui la même catastrophique erreur, de son propre point de vue, que George W. Bush avec l’invasion de l’Irak. Bush s’imaginait qu’une démonstration de puissance militaire établirait sans contestation possible la présence militaire des États-Unis en Irak et intimiderait le reste du monde. Bush a découvert que la résistance irakienne était militairement beaucoup plus redoutable qu’il ne l’avait prévu, que les alliés politiques de l’Amérique en Irak étaient beaucoup moins fiables qu’il ne l’avait supposé, et que le soutien de l’opinion publique américaine à la guerre était beaucoup plus fragile qu’il ne l’avait escompté. Les États-Unis vont droit vers un humiliant retrait d’Irak.

La campagne militaire actuelle d’Israël est une réplique directe de l’invasion de l’Irak par Bush. Les généraux israéliens constatent déjà que les combattants du Hezbollah sont beaucoup plus redoutables que prévu, que les alliés des États-Unis dans la région prennent déjà largement leurs distances avec l’Amérique et avec Israël (ainsi, le soutien du gouvernement irakien au Liban et maintenant celui de l’Arabie saoudite), et ils découvriront bientôt que le soutien de l’opinion publique israélienne est beaucoup plus fragile qu’escompté. Déjà, le gouvernement israélien hésite à envoyer des troupes terrestres au Liban, largement parce qu’il se doute de ce que sera la réaction des citoyens israéliens. Israël va droit vers une humiliante trêve.
Ce que les gouvernements israéliens ne comprennent pas, c’est que ni le Hamas ni le Hezbollah n’ont besoin d’Israël. C’est Israël qui a besoin d’eux, et besoin d’eux désespérément. Si l’État hébreu ne veut pas être un royaume de croisés condamné à disparaître, seuls le Hamas et le Hezbollah peuvent lui garantir la survie. Ce n’est que lorsque Israël arrivera à s’entendre avec eux, porte-parole authentiques du nationalisme arabe et palestinien, qu’Israël pourra vivre en paix.

Arriver à un accord de paix durable sera extrêmement difficile. Mais les piliers de l’actuelle stratégie d’Israël – sa propre puissance militaire et le soutien inconditionnel des États-Unis – n’ont qu’une très mince fiabilité. Sa supériorité militaire diminue et ne fera que se réduire dans les années à venir. Dans l’après-Irak, les États-Unis peuvent très bien se détourner d’Israël comme l’a fait la France dans les années 1960. La seule véritable garantie d’Israël sera celle que lui accorderont les Palestiniens. Et pour obtenir cette garantie, Israël devra fondamentalement repenser sa stratégie de survie.

* Chargé de recherche à l’université Yale et auteur de The Decline of American Power.

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