Inquiétudes postélectorales

Les résultats de la présidentielle ne seront annoncés qu’à la fin août. Mais les partisans des principaux candidats crient déjà victoire. La polémique enfle et pourrait mettre le feu aux poudres, malgré les appels au calme.

Publié le 7 août 2006 Lecture : 6 minutes.

« Voter, c’est comme traverser la mer Rouge à pied avec Moïse », s’exclame Louis Kalakin, qui attend patiemment devant une école de Ngaliema, à Kinshasa, dont les salles de classe sont transformées pour l’occasion en bureaux de vote. « Il n’y a pas d’autre voie pour en finir avec la guerre en République démocratique du Congo (RDC) et choisir librement nos dirigeants », ajoute Benjamin Kalulu, quelque peu circonspect en découvrant le bulletin où figure la photo de chacun des trente-trois prétendants à la magistrature suprême. Plus déconcertant encore, le véritable poster qui rassemble 885 candidats à la députation pour une seule circonscription ! Il est 6 heures du matin, ce dimanche 30 juillet. Les agents électoraux terminent dans la précipitation l’installation des urnes tandis que des dizaines de personnes se pressent déjà dans une longue file disciplinée. L’engouement est palpable, la sérénité prédomine, même si quelques policiers en faction, l’arme au pied, se tiennent prêts à toute éventualité. « Je voulais être présent sur le terrain et participer à cet exercice démocratique », se réjouit le président du centre de vote, Albert Bayekola, enseignant de profession.
Victimes d’une confiscation du pouvoir pendant plus de quarante années, les Congolais goûtent enfin aux délices du suffrage universel. Après un conflit régional de six ans impliquant sept pays africains, puis une délicate transition de trois ans, la RDC ne veut pas manquer son rendez-vous avec l’Histoire. Elle fait face à des élections présidentielle et législatives hors normes dans un pays dépecé pour ses ressources minières, dévasté par les affrontements armés et toujours à la recherche d’une unité nationale. « Nous vivons une période passionnante et cruciale pour l’avenir du pays », estime l’historien congolais Elikia Mbokolo, présent à Kinshasa. « La classe politique s’est montrée en dessous des attentes de la population. Les arguments de campagne relevaient plus du spot publicitaire que du débat d’idées. Malgré tout, ces élections se sont globalement déroulées dans le calme et les électeurs ont fait preuve d’une grande maturité. Je suis surpris, car nous pouvions craindre le pire », ajoute-t-il.
De fait, seule la province du Kasaï oriental et celle du Kasaï occidental, fief de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS, d’Étienne Tshisekedi), ont été en proie à la violence. À Mbuji-Mayi et à Mweka, la tension a été particulièrement vive. Une quarantaine de bureaux de vote ont été détruits ou incendiés, le plus souvent par de jeunes manifestants munis de cocktails Molotov. Malgré le déploiement policier et la présence de la mission des Nations unies (Monuc), l’atmosphère est restée tendue toute la journée. Les opérations de vote ont été reportées au lendemain, le temps d’acheminer sur place le matériel de remplacement. « Les inciviques ne doivent pas pénaliser les électeurs. Il y a des contestations légitimes, mais s’enfermer dans la violence ne mène à rien », se désole le président de la Commission électorale indépendante (CEI), l’abbé Malu Malu. « Il n’est pas impossible que ce soient nos militants, mais cela ne veut pas dire qu’ils aient reçu un mot d’ordre. Le président Étienne Tshisekedi est resté en retrait et n’a lancé aucun appel au boycottage à la veille du scrutin, comme lors du référendum constitutionnel de décembre dernier », affirme Aka Mantsia, l’un des plus proches collaborateurs de Tshisekedi, qui a rejeté toute participation au processus électoral. La forte mobilisation sonnant comme un désaveu, l’UDPS cherche à présent à sortir par le haut en laissant entendre que ses militants peuvent se mobiliser pour faire la différence dans la perspective d’un second tour.
Autre région potentiellement explosive : l’est du pays, qui abrite plusieurs groupes armés encore en activité. Finalement, les rebelles hutus rwandais des FDLR dans la région d’Uvira, le général dissident de l’armée congolaise Laurent Nkunda dans le Kivu, et les miliciens du Mouvement révolutionnaire (MRC) en Ituri se sont résolus à faire profil bas. Le fruit, certainement, d’une intense pression militaire exercée ces dernières semaines par les Casques bleus de la Monuc. Le résultat aussi de la navette diplomatique des capitales occidentales entre la RDC et le Rwanda. Les présidents Kabila et Kagamé ont opté pour une forme de coexistence pacifique. « Le plus important est que nous puissions obtenir non seulement la neutralité du Rwanda, mais aussi sa coopération active pour déjouer toute tentative de déstabilisation », indiquait en mai dernier le ministre congolais des Affaires étrangères, Raymond Ramazani Baya. « La RDC ne soutient plus les FDLR », reconnaissait pour sa part Paul Kagamé, qui semble par ailleurs prendre ses distances avec le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), du vice-président de transition Azarias Ruberwa. « Le Rwanda a compris que le RCD allait perdre de son importance et qu’il était préférable d’avoir de bonnes relations avec le futur gouvernement de Kinshasa », analyse Jason Stearns, de l’organisation de prévention des conflits International Crisis Group (ICG). Marginalisé électoralement et ne pouvant pratiquement compter que sur le vote tutsi, le candidat Ruberwa va devoir faire preuve d’imagination pour rester politiquement en piste.
Consciente de ces enjeux régionaux déterminants pour la stabilité du continent, la communauté internationale s’est mobilisée, ne ménageant ni sa peine ni son argent. La légitimité populaire issue des urnes en RDC est l’une des conditions pour éviter toute nouvelle explosion de cette poudrière que constituent les Grands Lacs. Avec un budget annuel de plus de 1 milliard de dollars, la Monuc a assuré la formation de 73 000 policiers chargés de sécuriser le processus électoral, dont le coût atteint 450 millions de dollars. L’Union européenne a déployé un millier d’hommes pour prévenir tout dérapage. Placée sous mandat des Nations unies, cette force supplémentaire de dissuasion est mobilisable « en cas de troubles graves », en complément des 17 600 Casques bleus déjà présents. Quant à la transparence des scrutins, près de 1 500 observateurs ont été répartis sur l’ensemble du pays.
« Les systèmes antifraude mis en place par la CEI sont au-dessus de ce que l’on peut trouver ailleurs en Afrique », estime le chef de la mission de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), l’ex-ministre malien des Affaires étrangères, Tiébilé Dramé. Mais il ajoute : « Les risques majeurs concernent les cafouillages du fait de l’inexpérience des agents électoraux. » Une crainte justifiée. Votes doublons, bulletins déchirés, installation d’une urne de fortune pour remplacer la précédente totalement remplie des irrégularités ont été constatées. Quant au traitement des PV de dépouillement, il se poursuit laborieusement. « On est débordés, il n’y a pas assez de monde », déplore Moïse Mazaburu, le président du centre de compilation des résultats de la première et de la deuxième circonscription de Kinshasa. « C’est effrayant », s’exclame un observateur européen devant un monticule de cartons et d’enveloppes sous scellés déversés en plein air par un camion de la Monuc, contre un mur, sans la moindre précaution. « Il va falloir trier l’ensemble de ces colis le plus rapidement possible », conclut-il.
Quant aux accusations de tricherie mettant notamment en cause la formation présidentielle, elles se multiplient et laissent présager de nombreux recours en annulation auprès de la Cour suprême. « Des allégations dénuées de tout fondement et des réflexes de mauvais perdants », tranche Vital Kamerhe, le secrétaire général du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), qui soutient le candidat Joseph Kabila. Quoi qu’il en soit, les états-majors politiques se sont lancés dans une farouche campagne d’intoxication et de guerre des ondes. Avant les résultats provisoires annoncés pour le 20 août, la proclamation officielle attendue pour la fin du mois et l’éventuel second tour, fixé au 29 octobre, les palabres vont aller bon train. Avec, à la clé, des risques de débordements et de radicalisation des militants les plus extrémistes.
Afin de calmer les esprits, une mission de bons offices a été mise sur pied. À sa tête, l’ancien président burundais Pierre Buyoya, qui dirige les observateurs de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC). Il est secondé par Tiébilé Dramé pour la Francophonie. Ils ont rencontré les deux principaux prétendants (Kabila et Bemba), en présence de Théophile Nata, représentant l’Union africaine. Avec, à chaque fois, le même discours : « Respectez le verdict des urnes, car, à défaut, vous allez devoir rendre des comptes. » À cette initiative s’ajoute celle du Comité international des sages dirigé par l’ancien président du Mozambique, Joaquim Chissano. L’Afrique a beaucoup à perdre en cas d’échec du processus. En revanche, si ces élections sont acceptables, ce sera une grande leçon pour tout le continent.

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