En attendant les législatives

L’opposition est revigorée, la majorité semble sur la défensive et le malaise social grandit. La rentrée pourrait être agitée bien avant le lancement de la campagne pour le scrutin de décembre.

Publié le 7 août 2006 Lecture : 6 minutes.

Libreville, fin juillet, sur le front de mer. Les ouvriers s’activent. À la hâte, ils refont une beauté au boulevard allant de l’aéroport au centre-ville, qui longe le palais présidentiel. Un lifting superficiel en prévision de la « fête tournante du 17 août », organisée cette année à Libreville, pour le 46e anniversaire de l’indépendance, et qui devrait réunir un parterre prestigieux d’invités étrangers. Travaux de voirie, réfection des routes : le chantier rend la circulation encore plus difficile qu’à l’accoutumée. À l’instar de Stéphane, la trentaine, courtier en assurances, les Gabonais ne se font pas trop d’illusions sur la pérennité de ces travaux « de prestige ». Libreville a été vertement sermonné par le Fonds monétaire international (FMI) pour le système des fêtes tournantes, jugé coûteux et inefficace.
Le chapitre de la présidentielle du 27 novembre 2005 – remportée par Omar Bongo Ondimba avec plus de 79 % des voix – à peine refermé, la classe politique a déjà le regard tourné vers les législatives de décembre 2006. Le nouveau Premier ministre, Jean Eyeghé Ndong, 60 ans, neveu du président Léon Mba, souhaite imprimer une tonalité sociale à son action. Il veut supprimer les frais payés par les patients dans les hôpitaux dès 2007 et réanimer un système de santé bien malade. Mais, pour beaucoup, son équipe pléthorique (49 membres) est là pour gérer la transition. On y verra plus clair après les législatives. Entre-temps, la trêve sociale, contrat de trois ans signé en 2003 entre l’État et les principales organisations syndicales, aura pris fin le 26 septembre. Les syndicats, qui veulent profiter de la bonne conjoncture que traverse le pays grâce aux cours élevés du pétrole, exigent une réévaluation du smic, le salaire minimum, fixé à 44 000 F CFA (67 euros).
Autre motif d’inquiétude pour le gouvernement : la grogne des personnels de la défunte Air Gabon. La liquidation du pavillon national, en mars, a laissé 870 agents sur le carreau. Tous ont fini par toucher leurs indemnités statutaires, mais demandent le versement de leur indemnité pour perte d’emploi (IPE). Entre 20 et 40 milliards de F CFA sont en jeu. « Nous avons été licenciés par la faute de l’employeur, l’État, qui n’a pas préparé de plan social ou de stratégie de réinsertion, explique Maixent Hubert Ndong Odzame, patron du Syndicat des personnels d’Air Gabon, le Sypag. Les pilotes, une quarantaine de personnes, ont chacun touché une prime de réinsertion professionnelle d’une cinquantaine de millions. Mais les autres ont été oubliés. Ce n’est pas normal. » Les anciens salariés menacent d’actions spectaculaires à la rentrée, si leur cas n’est pas réglé d’ici là. Quant à la nouvelle Air Gabon International, créée sur le modèle d’Air Sénégal International, avec Royal Air Maroc (RAM) comme actionnaire majoritaire, elle tarde à voir le jour. Son démarrage ne serait pas compromis, juste retardé de quelques semaines, le temps d’affiner les modalités techniques et financières, et de régler le problème – sensible – de la réintégration de certains personnels de la compagnie au perroquet vert. En attendant, Air France est temporairement en situation de monopole, et trouver un billet Libreville-Paris à un tarif abordable relève de la mission impossible
Sur le front politique, ce sont les négociations avec l’opposition, entamées au lendemain de la rencontre entre le président Bongo Ondimba et son principal opposant, Pierre Mamboundou, le leader de l’Union du peuple gabonais (UPG), le 19 avril dernier, qui monopolisent l’attention. Le feuilleton est fertile en rebondissements. Premier épisode : la confrontation avec, dans la nuit du 20 au 21 mars, une descente de police musclée au siège de l’UPG, à Awendjé, pour mettre la main sur un arsenal imaginaire d’armes de guerre. Craignant pour sa vie, Mamboundou trouve refuge à l’ambassade d’Afrique du Sud. Outre une démarche d’Alpha Oumar Konaré, président de la Commission de l’Union africaine, des contacts sont établis avec le pouvoir pour sortir de l’impasse. Une rencontre, la première en vingt ans, est organisée entre le président et l’opposant. Les deux hommes tombent d’accord pour ouvrir un dialogue entre la majorité et l’opposition afin d’aplanir les vues sur le processus électoral et de créer un climat apaisé avant la tenue des législatives. Même si des problèmes et des blocages ont surgi depuis, notamment autour de deux questions clés, la refonte du fichier électoral et la création d’une commission électorale autonome et permanente, le dialogue se poursuivait au moment où ces lignes étaient écrites. La principale formation de la majorité, le Parti démocratique gabonais (PDG), est aujourd’hui sur la défensive. Le dernier mot et les derniers arbitrages reviendront à Omar Bongo Ondimba. Pour l’instant, il observe, au-dessus de la mêlée.
« Rien n’obligeait le chef de l’État à pousser au dialogue comme il l’a fait, constate un journaliste. Il a voulu donner une bonne image de la démocratie gabonaise et préparer l’avenir à travers ces pourparlers. Cette attitude a provoqué des grincements de dents au sein du PDG, où certains ont l’impression que Mamboundou, l’ennemi d’hier, est un peu devenu le chouchou du patron. » C’est encore loin d’être le cas, même s’il est incontestable que les choses ont évolué et que l’atmosphère de confrontation qui régnait aux lendemains de la proclamation des résultats de la présidentielle appartient maintenant au passé. L’opposition croit en ses chances pour les législatives – à condition, évidemment, que les dés ne soient pas pipés. Du côté de la majorité présidentielle, on se veut aussi résolument optimiste. Mais les tractations au sein de cet attelage hétéroclite d’une quarantaine de formations dominé par le PDG et, dans des proportions moindres, par le Rassemblement du peuple gabonais (RPG) du vice-Premier ministre Paul Mba Abessole promettent d’être difficiles. Le RPG, qui estime n’avoir pas touché tous les dividendes de son ralliement à la majorité en 2001, voudrait davantage de sièges. Les sortants du PDG, qui détiennent une centaine de sièges sur les 120 que compte l’Assemblée, ne veulent rien céder – l’UPG avait boycotté les législatives de 2001. Le congrès du RPG, prévu pour septembre, s’annonce délicat pour son président, Mba Abessole, qui, poussé par sa base, pourrait être tenté par une radicalisation. Quant à l’Union gabonaise pour la démocratie et le développement (UGDD) de Zacharie Myboto, ancien baron du régime devenu opposant en 2005, elle entend présenter un candidat dans la plupart des circonscriptions.
« Entre les tractations internes à la majorité, la nécessité de faire un peu de place à nos alliés, les négociations politiques avec l’opposition, qui traînent en longueur, la refonte des fichiers électoraux, qui n’a pas commencé, il y a beaucoup d’inconnues à gérer d’ici aux élections, constate un influent député pédégiste. Cela n’engage que moi, mais dans ces conditions, un report et un couplage des législatives avec les élections locales de 2007 pourraient être une solution avantageuse pour la majorité comme pour l’opposition. » À voir. Une chose est sûre, en revanche : les résultats des législatives seront disséqués à la loupe et donneront de précieuses indications sur les rapports des forces politiques. Des indications dont le président Omar Bongo Ondimba, qui a promis d’organiser bientôt la relève politique, tiendra forcément compte.
Mais, en attendant, il ne changera rien à sa méthode reposant sur le strict respect des grands équilibres géo-ethniques du Gabon. « La façon dont s’est opérée la succession de feu Georges Rawiri à la présidence du Sénat a dissipé les derniers doutes à ce sujet, analyse un ministre en vue. Le président a tenu à ce que le perchoir reste à un représentant de la communauté myénée de Lambaréné, en la personne de René Radembinot Coniquet, tout comme il a tenu à ce que la primature reste entre les mains d’un Fang de l’Estuaire. Pour lui, ces équilibres sont immuables, et je pense que cette formule lui survivra et constituera en quelque sorte son héritage, car elle garantit la paix et que les populations s’y sont identifiées. »

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