Diversification en pointillés

L’État a réduit son périmètre d’intervention, mais le privé peine à prendre le relais. Sauf dans deux secteurs : l’agriculture et les mines.

Publié le 7 août 2006 Lecture : 8 minutes.

Longtemps différée, la date de déclin du pétrole gabonais serait-elle atteinte ? Après avoir enregistré un pic historique à 18,5 millions de tonnes (370 000 barils par jour, b/j) en 1997, la production d’or noir a lentement diminué, avant de se stabiliser aux alentours de 13,5 millions de tonnes par an ces deux dernières années, contredisant les prévisions des experts les plus pessimistes, qui, au tournant du siècle dernier, tablaient sur moins de 8,5 millions de tonnes en 2005. Mais elle devrait tomber sous la barre des 13 millions de tonnes en 2006.
Le champ de Rabi Kounga, qui, à son apogée, assurait jusqu’à 60 % de la production quotidienne du pays, soit 220 000 b/j, ne produit plus guère que 50 000 b/j, et son débit décroît maintenant au rythme d’environ 2 % par an. Aucune nouvelle découverte majeure n’ayant été enregistrée, le relatif maintien de la production gabonaise doit beaucoup à la mise en uvre de nouvelles techniques de récupération sur des champs arrivés à maturité et au développement par de petites compagnies de champs marginaux délaissés par les majors. L’arrivée de ces sociétés a permis d’optimiser les rendements et de donner une « seconde jeunesse » aux champs vieillissants.
Paradoxe : en dépit du léger tassement de la production, l’État n’a jamais été aussi riche. Grâce à la très bonne tenue des cours de l’or noir, les caisses sont pleines, et le budget devrait enregistrer un surplus de recettes de l’ordre de 300 milliards de F CFA (457 millions d’euros) en fin d’exercice. En 2006, les recettes pétrolières devraient représenter 1 057 milliards de F CFA, soit près de 60 % du budget de l’État. Pour mémoire, en 2003, l’or noir n’avait rapporté « que » 570 milliards de F CFA aux caisses du Trésor. Le Gabon vit une période de prospérité passagère, mais se prépare à des lendemains difficiles. La diversification de son économie est « une ardente obligation ».
Conscientes du problème, les autorités ne cessent d’appeler les privés « à prendre le relais », et les Gabonais à investir dans des activités productives. L’agriculture commerciale peut constituer un des axes de cette diversification. Les surfaces cultivées ne représentent que 1 % environ du territoire et leur production à peine 5 % du PIB. Plus de la moitié (60 %) des produits végétaux consommés à Libreville sont importés, une proportion qui passe à 70 % s’agissant de la viande. La privatisation réussie d’Hévégab (hévéa) et d’Agrogabon (huile de palme), deux sociétés nationales aux déficits abyssaux rachetés par le groupe belge Siat (voir encadré page suivante), montre que des investisseurs étrangers croient au potentiel agricole du pays.
Mais le tissu industriel reste embryonnaire et ne représente que 9 % du PIB. Le chiffre intègre la transformation du bois, la fabrication de la bière, le raffinage du sucre et la production de cigarettes. Le tourisme tarde à décoller, en dépit de potentialités importantes et identifiées. Le pays dispose d’un réseau de 13 parcs nationaux, créés sur décision présidentielle en 2002. Ils recèlent une biodiversité exceptionnelle, mais, hormis un ou deux sites, ne sont pas accessibles, et les aménagements font défaut. Lancé en septembre 2000, le projet de construction d’un immense complexe touristique dénommé Marina et capable d’accueillir des bateaux de plaisance n’est pas abandonné. Mais il a été ramené à de plus modestes dimensions (un seul site, la Foire des expositions de Libreville), et, surtout, il reste toujours à l’état de projet.
« Le pays a longtemps vécu adossé à la rente pétrolière, note un chef d’entreprise français installé depuis vingt ans au Gabon. Son aisance financière et la taille réduite de sa population (1,4 million d’habitants) lui permettaient d’importer tout ce qu’il consommait. Résultat, l’industrie ne s’est pas développée, et son essor est aujourd’hui entravé par les prix, extrêmement élevés, des facteurs de production. Les taxes douanières sont de l’ordre de 55 %, les bénéfices sont lourdement imposés, bref, les conditions ne sont pas vraiment réunies pour que le privé prenne le relais et tire la croissance. »
Le système éducatif porte également sa part de responsabilité. Il forme en grand nombre des diplômés et propose de généreuses bourses aux étudiants les plus talentueux. Mais les profils des diplômés correspondent rarement aux attentes des entreprises : trop de littéraires et de juristes, pas assez d’ingénieurs, et presque pas de techniciens. Or ce sont les métiers spécialisés, comme soudeur, mécanicien, chauffagiste qui recèlent les gisements d’emplois de demain. Conséquence de cette pénurie : les besoins sont comblés par les étrangers, originaires de la sous-région, d’Afrique de l’Ouest, et demain peut-être de Chine Autre problème, dont le Gabon n’a pas l’exclusivité : le manque de repères. La jeunesse est déboussolée, ne croit en rien et ne jure que par la débrouille. Ou le parrainage familial, fraternel ou politique, ce qui revient au même Michaël Moussa-Adamo, député et membre du bureau politique du Parti démocratique gabonais (PDG), n’hésite pas à parler de crise morale : « L’effort et le travail ne sont pas récompensés. Nos jeunes n’ont pas de modèles en qui s’identifier. Il faut se régénérer, rénover, organiser la relève, favoriser la promotion des quadragénaires. »
Il serait toutefois faux et injuste de soutenir que rien n’a changé. L’État a réduit son périmètre et a pratiquement bouclé son programme de privatisations. « L’État, malheureusement, s’est révélé un piètre gestionnaire », admet un haut fonctionnaire gabonais, qui préfère conserver l’anonymat. Libéral convaincu, il regrette que les opérations réalisées depuis 1997 sous l’injonction du gendarme financier international, le FMI, se soient résumées à substituer des monopoles privés aux monopoles étatiques. « Les entreprises sont mieux gérées et gagnent de l’argent. Mais il n’existe toujours pas d’environnement concurrentiel au Gabon. Il aurait fallu, en parallèle, libéraliser, faire jouer et, au besoin, stimuler énergiquement la concurrence pour faire baisser le prix des services. »
La diversification est en marche mais elle se limite pour l’instant au secteur des mines, en plein renouveau. Les richesses du sous-sol gabonais attirent aujourd’hui toutes les convoitises. Son poids économique est encore marginal, de l’ordre de 3 % du PIB environ, mais il devrait croître rapidement. Aujourd’hui, le manganèse exploité à Moanda par la Compagnie minière de l’Ogooué (Comilog), qui table sur une production de 3 millions de tonnes cette année, constitue la principale richesse du Gabon. Mais les prodigieuses réserves en minerai de fer localisées sur le site de Belinga devraient changer la donne. Belinga est l’un des derniers grands bassins de fer inexploités de la planète. Il est situé dans la province de l’Ogooué Ivindo, la plus enclavée du pays. Longtemps, les géants du secteur ont reculé devant l’ampleur des investissements à réaliser. L’émergence de la Chine et sa soif de matières premières ont tout bouleversé.
Dès le début des négociations sur l’exploitation du fer de Belinga, les Chinois avaient d’ailleurs fait savoir aux Gabonais qu’ils préféraient détenir 100 % des parts. Mais le 8 mars 2005, l’État gabonais signait une convention avec la Companhia Vale do Rio Doce (CVRD), une société brésilienne leader mondial de l’exploitation du fer, en tant que chef de file, à 51 %, d’un consortium formé avec deux sociétés chinoises, la CMEC et Sinosteel. Cette décision allait marquer le point de départ d’une guerre de tranchées feutrée, qui a connu un épilogue inattendu le 2 juin dernier, lorsque le gouvernement, réuni en Conseil des ministres, décidait finalement d’attribuer l’intégralité du gisement au groupement chinois. « Les Chinois ont fait de la surenchère, explique une source diplomatique proche du dossier. Outre la construction d’une bretelle de 250 km allant de Belinga à Boué et d’une autre, longue de 30 km environ, allant de Ntoum au port de Santa Clara, ils ont proposé de doubler la section de la ligne existante du Transgabonais, soit 500 km de voies nouvelles au total. Ils se sont aussi engagés à construire un barrage hydroélectrique sur l’Ivindo, alors que les Brésiliens envisageaient seulement une centrale thermique. Enfin, ils ont vu plus grand pour le port en eaux profondes de Santa Clara, destiné à évacuer le minerai, puisque leur dossier parle d’une jetée de 8 km, d’une usine de traitement, ainsi que d’un gigantesque plateau de stockage adjacent à la gare ferroviaire. » Dernier point, qui a contribué à rassurer définitivement les autorités gabonaises, l’État chinois est derrière le projet et le cautionne. Le risque de défaillance est donc moindre que s’agissant d’une entreprise entièrement privée, comme la brésilienne CVRD.
Belinga sera le premier chantier du pays au XXIe siècle. Le montant des investissements est estimé à 1 000 milliards de F CFA. Les travaux démarreront à la fin de l’année et dureront trois ans. La mine devrait être opérationnelle au début 2010. Au terme de l’exploitation, les infrastructures, qui désenclaveront entièrement l’Ogooué Ivindo, deviendront propriété exclusive de l’État gabonais, qui n’aura pas dépensé un sou dans l’opération. Les Chinois se rembourseront grâce aux recettes de la vente du fer, destiné à approvisionner leur marché intérieur. Le projet créera 20 000 emplois, pour la plupart réservés aux Chinois. Faute d’ingénieurs et de techniciens gabonais en nombre suffisant, ils tiendront aussi les postes d’encadrement. Les Brésiliens n’ont pas tout perdu : ils restent concessionnaires dans le domaine du manganèse et ont entamé des opérations d’exploration à Okondja et à Franceville. Les réserves sont estimées à 175 millions de tonnes. Les Chinois de Sinosteel, de leur côté, explorent à Ndjolé, à une cinquantaine de kilomètres de Libreville. Si tous ces gisements entrent en activité, le Gabon deviendra tout simplement le premier producteur mondial de manganèse.
D’autres minerais excitent les prospecteurs. Le niobium, par exemple, utilisé pour les alliages très résistants de l’aéronautique. La société Maboumine, qui bénéficiera de l’assistance technique de la Comilog, veut investir 36 milliards de F CFA dans la région de Lambaréné. Et d’autres – gigantesques – travaux d’infrastructures sont à l’ordre du jour. Comme le barrage hydroélectrique de Poubara, d’une capacité de 200 mégawatts, qui devrait être construit par les Chinois, toujours, mais cette fois pour alimenter en énergie les usines de transformation du manganèse de la région de Franceville, dans le Haut-Ogooué. Ce n’est encore qu’un projet, mais, s’il se réalisait, il confirmerait la montée en puissance de l’Empire du milieu dans ce qui fut longtemps considéré comme un fief de la Françafrique. Une évolution spectaculaire qui commence à faire grincer des dents du côté de Paris.

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