Dakar contre « l’émigration de la honte »

Les plus grands artistes du Sénégal se mobilisent pour dénoncer la tragédie des candidats à l’émigration clandestine. Et chantent en chur du 15 au 30 août lors d’une série de concerts dans la capitale.

Publié le 7 août 2006 Lecture : 4 minutes.

Des pirogues échouées, des corps déchiquetés sur des kilomètres de barbelés, des centaines d’Africains – souvent à la fleur de l’âge – bravant la mort pour un ailleurs rêvé, maltraités, humiliés et, au mieux, refoulés par les gardes frontières Depuis quelques mois, ces images ont fait le tour du monde, alarmant l’opinion publique sur ces voyageurs sans bagages, ces « Barça wala bar zakh » (« Barcelone ou la mort ») comme on les appelle au Sénégal. Pourtant, ni les tombeaux anonymes des noyés, ni les destins brisés des rescapés ne semblent dissuader les candidats au sinistre voyage. Face à cette tragédie, de plus en plus de voix s’élèvent pour protester, prévenir ou informer. Et quelles voix ! Au Sénégal, ce sont les plus grands artistes du pays qui ont décidé de se mobiliser, multipliant les initiatives contre cette « émigration de la honte » avec un seul mot d’ordre : « Plus jamais ça ! ».
« Nous ne pouvions rester impassibles face à ces images d’horreur véhiculées dans les médias, explique Ousmane Faye, manager du chanteur-vedette Omar Pène. C’est comme ça qu’est née l’idée d’une campagne de sensibilisation contre l’émigration clandestine, que nous avons commencé à développer au début de l’année autour d’Omar Pène. » L’intéressé, leader du mythique Super Diamono de Dakar depuis plus de trente ans, a tout de suite été emballé par l’idée. Connu pour son engagement auprès des jeunes, notamment ceux des quartiers défavorisés de la banlieue de Dakar où lui-même a vu le jour, il avait composé il y a trois ans un morceau intitulé « Émigration » dans lequel il exhortait les jeunes à ne pas quitter un pays qui avait besoin d’eux. Fort de cette notoriété, il n’a eu aucun mal à convaincre les autorités sénégalaises de le soutenir dans ce projet, de même que d’autres partenaires, non seulement au Sénégal, mais également en Espagne, destination par excellence des « pirogues de la mort ».
Au programme de cette grande campagne nationale lancée le 25 juillet 2006 : des débats et actions de proximité dans différents sites de la capitale, suivis du 15 au 30 août d’une série de concerts animés par Omar Pène, qui a invité sur scène une dizaine d’autres artistes, sénégalais mais également maliens, mauritaniens, burkinabè et guinéens. « Il ne s’agit pas d’un problème sénégalais, mais africain, nous confie le chanteur. C’est pourquoi nous avons tenu à y impliquer des artistes de la sous-région, et notamment des rappeurs, car leur langage franc touche directement la couche de la population la plus exposée au problème, à savoir les 18-22 ans. »
Parmi ces artistes invités : le grand frère du hip-hop sénégalais et rappeur militant Didier Awadi. Indépendamment de l’événement, l’ex-membre des Positiv Black Soul a d’ailleurs composé en juin dernier un morceau intitulé Sunugaal (« Notre pirogue »), dans lequel il donne la parole à l’un de ces kamikazes de l’exil. Or, avant même sa sortie prévue en août 2006, la chanson est déjà un succès national. Car Didier Awadi a choisi de la mettre à la disposition de son public, en accès libre sur Internet, illustrée par un montage d’images plus qu’éloquentes. Résultat : ce sont plus de 50 000 connexions d’internautes qui ont été comptabilisées en quelques jours. Dans ce texte poignant, Awadi interpelle directement les autorités du pays et dénonce sans ambages la corruption, la fraude et le manque de liberté d’expression. « Il ne faut pas se leurrer, explique l’artiste, si tant de jeunes bravent la mort pour quitter le pays, ce n’est pas seulement parce qu’ils sont persuadés que le paradis existe, qu’il s’appelle Europe, et qu’il les attend les bras ouverts, mais c’est aussi parce que chez eux, dans leur propre pays, la situation sociale et politique laisse malheureusement à désirer. »
Dans un tout autre style, une autre « voix » sénégalaise s’est à son tour ralliée à cette même cause : celle du premier ambassadeur du mbalax dans le monde, Youssou Ndour en personne. La star mondiale, elle aussi connue pour ses engagements et prises de position, a décidé de s’impliquer dans la lutte contre l’immigration clandestine pour le compte de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), organisme qui offre aide et soutien aux émigrés clandestins depuis le pays de transit jusqu’à leur retour au pays d’origine. « Youssou Ndour a eu connaissance de nos actions et nous a approchés au printemps dernier pour proposer de nous aider, ce que nous avons bien entendu accepté avec plaisir, confie le porte-parole de l’organisation, Jean-Philippe Chauzy. La campagne parrainée par l’artiste ne sera lancée officiellement qu’à la mi-août par Ndioro Ndiaye, directrice générale adjointe de l’OIM [et ex-ministre du Développement social sous la présidence d’Abdou Diouf, NDLR]. Elle débutera dès le mois de septembre dans toute la sous-région, et sera éventuellement étendue au-delà, jusqu’en Afrique du Nord. »

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