C’était Tunis

Enfin réédité, le recueil de Zoubeir Turki donne à voir une galerie de portraits d’habitants de la capitale tunisienne, croqués dans leur univers quotidien.

Publié le 7 août 2006 Lecture : 4 minutes.

Dans Tunis naguère et aujourd’hui, l’artiste tunisien Zoubeir Turki présente, dans une série de 28 dessins, une galerie de portraits ou de scènes typiques, baignés par le doux soleil de la Méditerranée : rues tortueuses et bruyantes de la Médina, visages d’hommes, de femmes et d’enfants brûlés par le soleil, activités diverses ayant constitué l’univers familier de son enfance. Cet univers doucement suranné, l’artiste le déploie en une série de portraits de femmes : la khateba (marieuse), chantant la louange de la beauté de la jeune fille qu’elle veut marier ; la hannana, femme de grand âge et de grande sagesse, ornant de henné les mains et les pieds de la promise avant la noce ; la âroussa (mariée), « reine d’un jour », dans son costume brodé d’or et d’argent, trônant sur son siège d’apparat ; la hallala (pâtissière) préparant soigneusement la pâte feuilletée de la baklawa ; les chanteuses de la tijania, récitant les louanges de Sidi Ahmed Tijani, accompagnées de la timbale et du rebec ; la deggaza (diseuse de bonne aventure) lisant le destin dans un carré de sable étalé devant elle…
L’artiste brosse aussi, avec le même trait enjoué et espiègle, des portraits d’hommes au quotidien : le âoued (luthier), passant la nuit à accorder son instrument ; le crieur public au souk el-Berka (des bijoux), menant le jeu de l’offre et de la demande au milieu d’une foule d’enchérisseurs ; les tabbel et zakkar jouant de leurs instruments bruyants des refrains paysans ou des mélodies citadines raffinées ; le bach moharrek, ordonnateur des fêtes des grandes familles, dont l’élégance n’a d’égale que l’éloquence, accueillant chacun des invités selon les égards dus à son rang ; le bransi, maître dans l’art de couper la jebba (habit traditionnel masculin) ; le marchand de tissus, accueillant ces dames avec ses formules mi-galantes mi-libertines ; le fdaoui, conteur public, roi des veillées, sur sa haute chaise perché, narrant les épisodes passionnants de Sidna Ali et Ras el-Ghoul ; le chaouachi, fabriquant des célèbres bonnets en laine rouge ; le ftaïri, marchand de beignets, venu de son Sud lointain ; les baigneurs, enveloppés dans les vapeurs du hammam, glissant héroïquement dans l’eau quasi bouillante en murmurant Bismillah ! (« Au nom de Dieu ! »), avant de s’abandonner aux frottements de la kessa (gant de toilette), soigneusement manipulé par le tayeb (masseur) ; le meddeb, vieux maître du koutteb (école coranique) assis sur une natte au milieu d’une foule d’élèves psalmodiant à haute voix des versets du Coran.
Voici encore les zoufris, ouvriers journaliers assis au coin d’un café, attendant un hypothétique travail ou dansant et chantant le rboukh, chants populaires un peu canailles, pour oublier leur misère ; les soulamya, chanteurs mystiques réunis dans la zaouia (mausolée) de Sidi Ben Arous, au cur de la Médina, pour chanter les louanges d’Allah, en frappant des doigts sur leurs bendirs (grands tambourins) ; les cheikhs de la grande mosquée Zitouna roulant et enroulant leur turban, cadi ou mufti, sages des sages s’adonnant interminablement à l’exégèse savante du Texte saint ; le rebbi (rabbin) procédant à l’égorgement rituel d’une poule, le hajjem (barbier), maniéré et bavard ; les marchands de mechmoum (bouquets de jasmin)
Bref, une humanité de jadis, gouailleuse à souhait, que le dessinateur conteur évoque avec un mélange de respect, d’amour et de nostalgie. On se surprend alors à l’aimer, dans l’extrême dépouillement du trait, à la fois précis et tendre, qui leur donne vie. « Notre ami a inventé une extraordinaire machine à retrouver le temps de naguère. Avec les années, l’uvre prendra la saveur de ces anciennes chroniques ou de ces relations de voyage oubliées, qui restituent la couleur d’une époque », écrit feu l’historien Paul Sebag dans sa préface.
À sa première édition, il y a une trentaine d’années, cet ouvrage a eu beaucoup de succès. Épuisé depuis longtemps, il était gardé jalousement dans les étagères de nombreux bibliophiles. Sud Éditions l’a remis enfin à la portée de tous les lecteurs, en particulier des plus jeunes, qui pourront y découvrir un Tunis révolu.
Né à Tunis en 1924, Zoubeir Turki occupe une place à part dans le mouvement artistique tunisien. Artiste populaire, dans le sens noble du terme, il aime dessiner (et peindre) des portraits de gens simples, croqués dans leur univers quotidien. Les visages familiers et les postures dynamiques qu’il nous restitue avec un mélange de technicité – car il est un fin artiste -, de tendresse et d’humour, constituent aujourd’hui une vaste fresque vivante, où est reconstituée – et ainsi léguée à la postérité – une mémoire collective, celle des Tunisois, habitants de la Médina de Tunis, et de toutes ?ces médinas intérieures que nous portons tous en nous. Fresque vivante, mais aussi mythologie populaire, patrimoine national, musée imaginaire

Tunis naguère et aujourd’hui, recueil ?de dessins de Zoubeir Turki, préface ?de Paul Sebag et textes de Claude Roy, Sud Éditions (Tunis), 66 pages.

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