Costa-Gavras retrouve l’Algérie

Près de quarante ans après le célèbre Z, tourné a Alger, le cinéaste français est venu superviser la réalisation d’une fiction sur la guerre de libération.

Publié le 7 août 2006 Lecture : 5 minutes.

Un jour de 1995, l’ancien colonel de l’OAS Raoul Duplan est abattu d’une balle en pleine tête à son domicile parisien. Des lettres anonymes circulent, qui toutes se terminent par cette phrase : « Le colonel est mort à Saint-Arnaud ». Pour comprendre les mobiles de l’assassinat, il faut remonter à 1956, dans une Algérie en guerre contre le colonisateur. Guy Rossi, 22 ans, un sous-lieutenant français engagé volontaire, débarque à Saint-Arnaud (du nom du maréchal qui a participé à la « conquête » du pays en 1830), rebaptisé aujourd’hui El-Eulma, où il tombe sous le joug de son supérieur, le colonel Raoul Duplan. La jeune recrue, fascinée, se transforme insidieusement en exécuteur d’une justice « spéciale ». Rossi finit pourtant par se rebeller contre le système de torture institutionnalisé par la République
Coupez ! Tout ça, c’est du cinéma Certes, mais derrière l’intrigue policière, ce film, largement inspiré de faits historiques, est d’abord éminemment politique. Un genre cinématographique dont Constantin Costa-Gavras s’est fait une spécialité depuis qu’il a réalisé, en 1968, Z, le long-métrage sur l’instauration de la dictature des colonels grecs qui a consacré sa notoriété et qu’il a tourné en Algérie. Entre le cinéaste français d’origine grecque et l’ancienne colonie française, le lien est donc ancien.
Fidèle à son goût pour les sujets engagés, Costa-Gavras est revenu il y a quelques semaines en Algérie pour superviser le tournage d’une fiction sur la guerre de libération dont la sortie est prévue en janvier 2007. Sur le premier long-métrage du réalisateur Laurent Herbiet, Mon Colonel, il a endossé la double casquette de producteur et de scénariste en cosignant, avec Jean-Claude Grumberg, une adaptation du roman éponyme de Francis Zamponi (paru en 1999 chez Actes Sud) qui relate la descente aux enfers du sous-lieutenant Guy Rossi.
En collaboration avec le producteur algérien Salem Brahimi, le film – interprété par les comédiens Robinson Stévenin, Charles Aznavour, Olivier Gourmet, Cécile de France, Bruno Solo et Éric Caravaca – a été tourné principalement dans l’Est algérien, entre Sétif, Constantine et El-Eulma.
Le retour en terre d’Algérie de Costa-Gavras a suscité des commentaires enthousiastes. Le journal El Watan, par exemple, a souligné à quel point la nation était « fière de compter parmi ses hôtes un grand homme épris de paix et de liberté, ami de l’Algérie, qui a toujours su admirablement dénoncer les crimes commis aussi bien par les colonels que les généraux ». Le cinéaste, de son côté, n’a pas manqué de rappeler qu’il a « une dette énorme envers l’Algérie », car il n’oublie pas que c’est grâce à l’appui des dirigeants de l’époque tels qu’Abdelaziz Bouteflika et Chérif Belkacem que Z a pu être réalisé.
« Qu’elles racontent des histoires ou l’Histoire, les uvres cinématographiques, de même que toutes les autres formes d’expression artistique, transmettent des messages mais se doivent, pour être crédibles, de rétablir les vérités, a déclaré Constantin Costa-Gavras. Il suffit de lire le livre du général Aussaresses [paru en 2001] pour se faire une idée de certaines vérités, comme la gégène et les exécutions sommaires. »
Alors que l’émotion suscitée par la loi française sur les « aspects positifs de la colonisation » est loin d’être retombée et que la signature du traité d’amitié franco-algérien a été reportée sine die, Mon Colonel veut contribuer à faire évoluer les relations entre les deux pays. L’ambition du film est donc annoncée d’emblée : s’attaquer au sujet délicat de la torture pendant la guerre d’indépendance et, au-delà, inverser les regards, « décoloniser » le récit cinématographique.
Pour Costa-Gavras, l’exercice est des plus naturels tant il est vrai que sa culture, son passé, l’ont amené à faire des films qui n’ont pas vraiment de nationalité. Konstantinos Costa-Gavras est né le 13 février 1933 à Athènes, au sein d’une famille d’origine russe. Parce que son père est soupçonné d’être communiste, Konstantinos est interdit d’université en Grèce. Il part étudier en 1951 à Paris où, après une licence de littérature, il intègre l’Institut des hautes études cinématographiques (Idhec) puis devient assistant de cinéastes de renom comme Henri Verneuil ou Jacques Demy. En 1965, il réalise Compartiment Tueurs, avec Simone Signoret et Yves Montand, qui rencontre un grand succès. La critique salue déjà son professionnalisme et sa direction d’acteurs.
Mais sa carrière décolle réellement en 1969, avec le triomphe de Z, une adaptation du livre de Vassilis Vassilikos qui retrace l’assassinat d’un leader de la gauche grecque. À la sortie d’un meeting, un député nommé elliptiquement Z (incarné par Yves Montand) est renversé par un véhicule et meurt de ses blessures. Un jeune juge d’instruction intègre (impeccablement campé par Jean-Louis Trintignant) mène une enquête minutieuse et aboutit à la conclusion qu’il s’agit d’un assassinat politique perpétré par la police. L’espace d’un moment régnera un semblant de justice. Las, les coupables seront finalement acquittés.
Inspiré d’un fait réel, le meurtre du député grec Lambrakis en 1963, le film est salué par certains critiques comme le premier vrai grand film politique français, et Costa-Gavras comme le chef de file d’un genre encore peu exploré en France : « la fiction de gauche », qui traite un sujet politique avec les moyens du film d’action en mêlant acteurs connus du grand public, rythme et suspense. Auparavant, seul Yves Boisset s’y était essayé avec L’Attentat, qui retrace l’enlèvement à Paris de l’opposant à Hassan II en exil, Mehdi Ben Barka – sans que les protagonistes soient mentionnés explicitement, même si on reconnaît le général Oufkir sous les traits de Michel Piccoli.
À sa sortie en 1969, Z crée la surprise : prix du jury et prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes, oscar du meilleur film étranger pour l’Algérie et oscar du meilleur montage à Hollywood. Et dire que le film a failli ne jamais voir le jour ! Face aux difficultés à trouver les financements nécessaires à sa réalisation, Costa-Gavras avait associé au projet l’acteur Jacques Perrin, qui a alors créé sa propre société de production et sollicité ses contacts, en particulier en Algérie, où sera finalement tourné le film, coproduit avec Ahmed Rachidi pour l’Office national du commerce et de l’industrie cinématographique (Oncic). La distribution dans laquelle tous les rôles, y compris les plus fugaces, sont tenus par de nombreuses têtes d’affiche du cinéma français laisse rêveur. Outre ses acteurs fétiches, Montand et Trintignant, Costa-Gavras a fait appel à Jacques Perrin, Charles Denner, François Périer, Bernard Fresson Sans oublier la comédienne grecque Irène Papas.
En entremêlant l’intrigue policière et la dimension politique, Costa-Gavras avait trouvé son univers de prédilection, et inauguré un cycle de films sur les abus de pouvoir de divers régimes dans le monde (Chili, Tchécoslovaquie, Moyen-Orient, etc.). Ce genre préfigurait un cinéma affranchi de la propagande et de la censure, dont la veine semble épuisée depuis plusieurs années. Mon Colonel va-t-il lui redonner un second souffle ? Réponse en janvier prochain lorsqu’il sortira en salles.

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