Bint Jbeil, une déroute qui fera date

Publié le 7 août 2006 Lecture : 4 minutes.

Ils ont foncé dans le piège tête baissée. Les soldats rescapés du bataillon 51 de la brigade d’élite Golani se souviendront longtemps de l’enfer de Bint Jbeil. Cette petite ville du Liban, située à moins de cinq kilomètres de la frontière nord d’Israël, a été le théâtre, du 26 au 28 juillet, des plus violents combats terrestres depuis le 12 juillet, date du début de l’agression israélienne contre le pays du Cèdre. La bourgade, dont il ne reste plus que des ruines fumantes, avait abrité, de 1978 à mai 2000, le quartier général de Tsahal au Sud-Liban. Hassan Nasrallah était venu y prononcer son discours de victoire au lendemain du retrait des forces de l’État hébreu, et son mouvement, le Hezbollah, y avait installé un centre de commandement.
Pour ces raisons, à la fois stratégiques et symboliques, les Israéliens tenaient à la reprendre aux combattants du Parti de Dieu. Mais ils avaient manifestement sous-estimé la capacité de résistance de leurs ennemis et ont dû battre – provisoirement ? – en retraite, après avoir déploré huit morts et une vingtaine de blessés. Les Israéliens tablaient sur l’effet de surprise. Ils avaient choisi d’attaquer de nuit, pour profiter de l’avantage que leur conféraient leurs équipements de visée nocturne. Et pensaient que les intenses bombardements qui avaient précédé l’offensive terrestre avaient désorganisé les lignes ennemies. Le 26, vers 4 heures du matin, les compagnies A et C du bataillon Golani, venues de la localité voisine de Maroun al-Ras, conquise quelques jours plus tôt, au prix, déjà, de pertes dans leurs rangs (quatre morts), entrent dans les faubourgs de la ville, apparemment déserts. La chaussée trop étroite et défoncée ne permet pas à leurs chars Merkava, réputés indestructibles, de les escorter. La colonne tombe dans une embuscade. L’ennemi est invisible. Les Israéliens se retrouvent sous le feu des mitrailleuses et des roquettes. Encerclés. Quatre soldats de la brigade, dont le commandant Roï Klein, qui se jette sur une grenade pour protéger la vie de ses hommes, sont tués dès les premières heures. Beaucoup d’autres sont blessés. Ils se replient dans des maisons et s’organisent pour tenir un siège. Quatre blessés décèdent au milieu de leurs camarades.
Les vivres manquent rapidement. La brigade avait seulement de quoi tenir douze heures. Ce n’est qu’au bout de deux jours d’intenses combats et de pilonnages que les Israéliens parviennent à se dégager et à battre en retraite dans les faubourgs, deux kilomètres plus bas. La zone est suffisamment dégagée pour que les hélicoptères puissent atterrir et emporter blessés et tués, avec d’infinies précautions d’ailleurs. Il ne faut surtout pas abandonner les corps des fantassins : ils seraient alors immédiatement récupérés et serviraient de monnaie d’échange, comme en janvier 2004, lorsque le Hezbollah avait réussi à troquer les corps de 3 soldats de Tsahal tués en 2000, ainsi qu’un colonel de réserve, Elhanan Tannenbaum, contre 400 prisonniers palestiniens, une trentaine de Libanais et de Syriens, et les dépouilles de 59 combattants chiites. La résistance, équipée de missiles sol-air, réussit à toucher un hélicoptère.
Les soldats valides refont le chemin à pied, en sens inverse, en suivant des fils blancs disposés à leur intention par leurs camarades pour ne pas sauter sur les mines, dont la région est truffée. À leur retour, les rescapés parlent d’une « mission-suicide » et évoquent des scènes dignes de Platoon. La comparaison avec la guerre du Vietnam et le harcèlement incessant des GI’s par les combattants du Vietcong, présumés plus faibles, mais plus mobiles, et, surtout, parfaitement à l’aise sur un terrain familier, n’est pas fortuite. Comme les Américains en 1968, pendant l’offensive du Têt, les Israéliens ont été surpris. En apparence, la confrontation pouvait sembler déséquilibrée. Face à la puissance de feu de Tsahal, ses 168 000 hommes, ses 400 avions de combat ultramodernes, ses 76 bâtiments de guerre, ses chars, le Hezbollah n’aligne que 3 000 à 6 000 miliciens, ne disposant pour tout arsenal que de kalachnikovs et de roquettes antichars. Mais ce sont des combattants entraînés par les troupes d’élite de l’armée iranienne, les Pasdarans, longtemps stationnés dans la plaine de la Bekaa. Ils sont autrement plus aguerris que les fedayine de Yasser Arafat, balayés en quelques jours lors de l’invasion du Liban par Ariel Sharon, et que les Palestiniens du Hamas, du Djihad et des Brigades des martyrs d’Al-Aqsa, qui donnent habituellement la réplique à Tsahal à Gaza et en Cisjordanie.
Interrogés par une journaliste de Libération, les commandos israéliens se sont étonnés de voir « des hommes en uniforme impeccable, avec leur plaque de militaire recouverte de ruban noir pour ne pas briller dans la nuit, des chaussures cirées. Une vraie armée ». À Bint Jbeil, ils sont manifestement tombés sur un os. Cet épisode, pour symbolique qu’il soit, ne préjuge évidemment pas de l’issue de la guerre. L’état-major israélien le reconnaît maintenant, l’objectif initial – la destruction du Hezbollah comme force militaire – ne sera sans doute pas atteint. L’ennemi est coriace, on sait finalement peu de chose sur lui. Ses services secrets sont impossibles à infiltrer. L’État hébreu, engagé dans une course contre la montre, veut maintenant lui infliger le plus de dommages possibles avant une trêve. Et redorer un blason terni par sa peu glorieuse retraite de la ville frontalière. Ce qui explique sans doute la spectaculaire et audacieuse opération commando aéroportée menée à Baalbek dans la nuit du 1er au 2 août, et qui a abouti à l’enlèvement de six Libanais.
Pour les opinions arabes, mortifiées par les terribles images des destructions provoquées par les bombardements aveugles, le fait d’armes de Bint Jbeil constitue un des rares motifs de réconfort. Mais pour le Hezbollah, dont l’aura, au Liban comme à l’étranger, ne cesse de grandir, c’est un succès éclatant qui galvanisera ses combattants.

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