Sénégal : Marie Madeleine Diouf, magnifier les textiles africains

À la tête de la marque NuNu Design by DK, la créatrice sénégalaise mise sur la recherche textile pour développer ses collections, entre création et engagement.

Marie Madeleine Diouf, dans sa boutique NuNu Design by Dk, située dans le quartier de Dakar Plateau, le 9 novembre 2021. © Carmen Abd Ali pour JA

Marie Madeleine Diouf, dans sa boutique NuNu Design by Dk, située dans le quartier de Dakar Plateau, le 9 novembre 2021. © Carmen Abd Ali pour JA

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Publié le 2 décembre 2021 Lecture : 5 minutes.

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Macky Sall assumera en février la présidence tournante de l’Union africaine, dans un contexte sécuritaire, politique, économique et sanitaire particulièrement délicat. Jusque là épargné par le jihadisme et les tensions politiques, peu touché par le Covid-19, Dakar pourra-t-il faire profiter le reste du continent de son expérience et de sa stabilité ?

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Sur le pagne, le dégradé de couleur s’étend du fuchsia profond au rose clair, avec des nuances de mauve. Il s’obtient en utilisant des bourgeons de cactus, que l’on fait tremper pendant des heures dans l’eau pour en retirer les épines, avant de les écraser au pilon et au mortier. On laisse ensuite le tissu s’imprégner de la substance obtenue, d’un rouge rose profond. « Une teinte comme celle-ci, c’est impossible à trouver en industrie », sourit Marie Madeleine Diouf. Encore faut-il parvenir à la fixer sur le pagne. « Qu’on fasse sécher les tissus à froid ou au soleil, la couleur a tendance à s’altérer. Il faudrait que l’on trouve un moyen de la conserver naturellement », ajoute la créatrice.

Depuis qu’elle a ouvert sa propre boutique, NuNu Design by DK, dans la capitale sénégalaise, la Dakaroise expérimente autant qu’elle le peut de nouveaux tissus et de nouveaux procédés de peinture pour créer ses pièces. Cette teinture au cactus, elle l’a testée au début de l’année lors d’un atelier réalisé au cours d’une résidence à Gandiol (Saint-Louis) avec des femmes de la région. Elle a également expérimenté la teinture à l’argile, qui est tamisée et qu’on laisse macérer avant de la mêler aux tissus, auxquels elle donne un ton ocre et naturel. « L’idée, c’est de partager notre expérience avec ces femmes, afin qu’elles puissent l’intégrer et l’utiliser pour leurs commerces », détaille Marie Madeleine Diouf. Une expérience qu’elle a elle-même acquise en autodidacte.

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Tissus traditionnels et style moderne

Avant de se lancer dans la mode et le design, cette entrepreneuse de 41 ans était assistance médicale. En 2015, lassée par son domaine d’expertise, elle décide de démissionner pour lancer son propre business, en dépit des mises en garde de ses proches. « J’ai commencé sans vraiment savoir où j’allais, avec 60 000 F CFA de fonds de commerce et ma petite machine à coudre personnelle. Mais je n’ai pas hésité. J’avais envie de faire ce qui me plaisait. »

Avec une idée de départ : promouvoir à travers ses collections les tissus, les savoir-faire et l’héritage culturel du continent. Dans sa petite boutique nichée au cœur du centre-ville de Dakar, les pièces font la part belle aux tissus et aux coloris typiques de la sous-région. À l’arrière de la salle de vente et dans la cour intérieure, les couturiers s’affairent et les pagnes indigo, trempés dans l’eau et le vinaigre pour maintenir leur couleur, sèchent au soleil.

L’indigo est l’une des couleurs phares de NuNu Design. Une partie des tissus (du bazin, du pagne tissé) sont achetés à Labé, en Guinée ; d’autres sont teints directement à Dakar. Marie Madeleine Diouf utilise aussi du tiwan, ou pagne noir, habit traditionnel sérère utilisé lors des cérémonies, ou du koko dunda burkinabè. « À travers mes pièces, j’essaie de raconter le vécu des peuples qui ont conçu le textile », déclare la créatrice, qui définit son style comme « tradimoderne » et « authentique ». « Réfléchir sur l’héritage de nos tissus serait un moyen de réfléchir au développement de nos territoires », assure la quadragénaire engagée.

Marie Madeleine Diouf a progressivement agrandi sa boutique et son équipe. Le Covid-19 a toutefois drastiquement ralenti son activité et l’a forcée à se séparer de la moitié de sa dizaine d’employés. Avec la réouverture de son principal lieu de vente, en juillet 2021, elle espère cependant retrouver rapidement son rythme de croisière. Elle prévoit également de vendre ses collections dans différents concept-stores de la capitale. Lancée il y a bientôt sept ans, sa société produit cinq collections chaque année et plusieurs centaines de nouvelles pièces par semaine.

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Apprendre la patience

Dans la lignée de ses collections, elle commercialise également des senteurs à base de thiouraye, cet encens à l’odeur entêtante, élément phare du patrimoine culturel sénégalais. En y incorporant d’autres effluves, elle produit des mélanges liquides aux senteurs moins lourdes que celle de cet outil de séduction traditionnel. Chacun des sept flacons porte le nom de l’une des ancêtres de sa lignée maternelle, en commençant par sa grand-mère. Originaire du village de Fadiouth (Siné-Saloum), la créatrice a à cœur de magnifier la culture sérère. Passionnée de photographie, elle a également monté en 2020 l’exposition « Fadiidi » (« bienvenue », en sérère), dans laquelle elle exposait des clichés du XXe siècle (1930-1980) dénichés au fil des années dans les archives familiales.

Elle veut également privilégier le travail à la main pour ses pièces. « C’est une partie de notre héritage, rappelle-t-elle, et puis ça nous apprend la patience ! » Son engagement est aussi écologique : en expérimentant de nouveaux procédés de teinture, la designer tente de trouver des techniques les plus naturelles possible tout en générant un minimum de déchets.

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Elle se satisfait donc de voir que de moins en moins de clients estiment que le wax est le « tissu africain » par excellence et que des savoir-faire ancestraux  et des tissus traditionnels, comme l’indigo ou le bogolan, sont remis au goût du jour. « C’est le processus normal de ce que l’Afrique doit proposer au monde. Les Africains sont conscients que personne ne développera leur continent pour eux. C’est vrai pour le textile et c’est vrai pour le reste : approprions-nous ce qui nous ressemble. C’est ainsi que nous pourrons nous développer. »

L’indigo, pièce phare de NuNu Design by DK

L’un des principaux savoir-faire utilisés par la créatrice est la teinture indigo. Qu’il s’agisse de bazin ou de lépi (un pagne traditionnel originaire de Guinée), cette teinture aux dégradés de bleu est agrémentée de dessins faits à l’aiguille et au fil. Un procédé minutieux qui aurait été disséminé à travers le continent par les Soninkés. Le procédé naturel se fait à partir de l’écorce d’indigotier, un arbuste que l’on trouve sur le continent africain, mais également en Amérique et en Asie. Une matière végétale peut également être utilisée, faite à base de poudre qui vient majoritairement d’Inde.

La « pièce maîtresse » de la marque NuNu Design est un modèle d’indigo (tunique ou robe) assemblé avec les poches extérieures d’un jean bleu, récupéré dans les friperies de la capitale. « C’est le modèle qui marche le mieux, assure Marie Madeleine Diouf. Il revient dans toutes mes collections, d’une manière ou d’une autre. » Comme un exemple de cette fusion entre tradition et modernité dont elle a fait sa marque de fabrique.

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