Quand un émir parle aux Américains

Dans son édition du 1er juillet, le New York Times publie une longue enquête sur Al-Qaïda au Maghreb islamique. Tollé en Algérie !

Publié le 7 juillet 2008 Lecture : 4 minutes.

C’est un scoop retentissant comme le New York Times en a le secret. Dans sa livraison datée du 1er juillet, le prestigieux quotidien américain publie un entretien, le premier du genre, avec Abdelmalek Droukdel, alias Abou Moussab Abdelwadoud, émir d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Plutôt fouillée, abondamment appuyée par des dizaines de témoignages de repentis algériens, d’experts du renseignement européens, américains et arabes ainsi que par des officiers américains, l’enquête qui accompagne l’interview éclaire sous un nouveau jour cette organisation terroriste qui sème encore la terreur en Algérie. Recherché par les services de sécurité, maintes fois donné pour mort par les médias algériens, jamais approché par des journalistes, Droukdel répond, à travers un enregistrement audio en langue arabe, à une vingtaine de questions transmises par écrit par la rédaction du NYT. Remise par un intermédiaire, la cassette, d’une durée de sept minutes, a été authentifiée par un expert d’une agence fédérale américaine. Allégeance à Oussama Ben Laden, attentats kamikazes, attaques-suicides contre les édifices publics, assassinats et enlèvements d’étrangers, menaces contre les intérêts occidentaux au Maghreb, en Afrique et ailleurs en Europe, Droukdel, 38 ans, diplômé en mathématiques à l’université d’Alger, se livre et menace.
« Al-Qaïda et nous formons un seul corps, affirme en substance Droukdel. Il est tout à fait naturel que l’on se renforce mutuellement. » C’est durant l’automne 2004 que se nouent les premiers contacts entre Droukdel et Abou Moussab al-­Zarqaoui, à l’époque chef d’Al-Qaïda en Irak. Intronisé, en juin 2004, émir de l’ex-Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) à la place de Hassan Hattab, Droukdel sollicite alors l’aide de Zarqaoui pour obtenir la libération d’Abderrezak el-Para, ancien chef du GSPC, capturé en mars 2004 dans le désert tchadien. Le deal s’énonçait comme suit : Zarqaoui se chargerait de prendre en otages des ressortissants français en Irak et de faire ainsi pression sur Paris afin de l’obliger à jouer de son influence pour obtenir la libération d’El-Para. En contrepartie, Droukdel accepterait de combattre sous la bannière d’Al-Qaïda. Bien que l’opération ait tourné court – El-Para a été remis aux autorités algériennes, qui le détiennent dans un lieu secret -, Droukdel accepte tout de même de faire allégeance à Zarqaoui.

Comme en Irak
Rebaptisé Al-Qaïda au Maghreb islamique en janvier 2007, l’ex-?GSPC adopte donc les méthodes sanglantes et spectaculaires d’Al-Qaïda en Irak. Attentats-suicides, assassinats et enlèvements de ressortissants étrangers, médiatisation des actions terroristes via des sites Web, AQMI fait parler la poudre et couler le sang. Le 11 avril 2007, deux attaques kamikazes soufflent le palais du gouvernement et deux commissariats à Alger, faisant 30 morts. Une tentative d’assassinat contre le président Bouteflika à Batna, le 6 septembre 2007, fait 22 morts. Le 11 décembre 2007, deux kamikazes se font exploser devant la représentation de l’ONU et le siège du Conseil constitutionnel à Alger. Bilan : une trentaine de morts. Le 8 juin dernier, un ingénieur français et son chauffeur sont tués en Kabylie. Droukdel revendique la paternité de tous les attentats et promet de poursuivre les actions terroristes contre le pouvoir algérien, qualifié de taghout (« tyran »). « Le gouvernement algérien connaîtra le même sort que le siège de l’ONU, le siège d’Interpol, l’ambassade d’Israël à Nouakchott, les otages allemands et autrichiens », affirme-t-il au NYT. « Les intérêts occidentaux ne peuvent pas être protégés », poursuit-il dans un arabe truffé de versets coraniques. Droukdel promet de s’en prendre particulièrement aux Américains, qu’il accuse de construire des bases militaires dans le Sud, de piller le gaz et le pétrole algériens, d’installer une antenne du FBI à Alger et de mener une campagne d’évangélisation. « Tout le monde doit savoir, menace-t-il, que nous n’hésiterons pas à cibler les intérêts américains chaque fois que nous le pourrons aux quatre coins du globe. »

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Colère et indignation
De combien d’hommes et de quelle force de frappe dispose cette organisation, que l’on dit traquée par les services de sécurité, minée et affaiblie par les redditions et des dissensions internes ? Si Droukdel refuse de dévoiler le nombre de ses combattants, il déclare que leur grande majorité sont algériens. Peu sont des vétérans d’Irak et quelques-uns sont d’ex-repentis ayant bénéficié de la grâce promise par la Charte pour la paix et la réconciliation adoptée par référendum en septembre 2005. « Il y a aussi des Mauritaniens, des Libyens, des Marocains, des Tunisiens, des Maliens et des Nigériens », soutient-il. Selon des sources américaines citées par le journal, il y aurait actuellement entre 300 à 400 terroristes dans les maquis algériens ainsi que 200 sympathisants actifs dans des réseaux de soutien.
Comme on pouvait s’en douter, l’article a provoqué un tollé en Algérie. Si les responsables se gardent de tout commentaire, la presse nationale, en revanche, a unanimement condamné les propos de Droukdel et l’initiative du quotidien américain. Certains commentateurs reprochent au New York Times de faire l’apologie du terrorisme en ouvrant ses colonnes à « un émir sanguinaire » et en lui consacrant sa une. « Dans le fond, écrit le quotidien francophone Liberté, Abdelmalek Droukdel, qui profite de cette Âbouffée d’oxygène médiatiqueÂ, n’a rien annoncé de nouveau. » Quelques-uns ont même poussé l’indignation jusqu’à réclamer des sanctions contre le NYT. « Souvenons-nous que des journalistes d’Al-Jazira, à cause de simples contacts avec des résistants irakiens, ont été quand même arrêtés et emprisonnés par les Américains ou leurs différents alliés à travers le monde. Qu’attend donc Washington pour en faire de même avec le New York Times » ? s’offusque un éditorialiste du quotidien Le Courrier d’Algérie.

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