Burkina – Victor Démé : quand le blues se fait mandingue
Après plus de trente ans à avoir écumé les scènes d’Afrique de l’Ouest, Victor Démé sort un premier album aux multiples influences musicales.
« Les mains croisées n’obtiennent rien », aime répéter Victor Démé. Et pourtant, ce chanteur guitariste au physique frêle n’est pas du genre pressé. Originaire de Bobo-Dioulasso, seconde ville du Burkina, il a attendu sa quarante-sixième année pour signer son premier album. Sorti sous le label Makasound, créé par Camille Louvel, jeune Français installé à Ouagadougou, cet opus intimiste offre une douzaine de compositions aux tonalités mandingues auxquelles se mêle un blues-folk traditionnel servi par une voix à la fois puissante et chaleureuse.
Salué par le public français en mai dernier, alors qu’il se produisait pour la première fois sur une scène parisienne – en l’occurrence L’Européen -, Démé est incontestablement la découverte de l’année 2008. Il aura fallu plusieurs rencontres opportunes pour que son talent soit enfin reconnu. « J’ai tout de suite apprécié le style et la voix. L’étendue de ses influences musicales est assez rare chez un compositeur », explique Camille Louvel, qui l’a repéré en 2004 lors de la Semaine nationale de la culture du Burkina, avant de le faire enregistrer trois ans plus tard à Ouaga Jungle, le studio-résidence qu’il a créé.
Démé est un ovni dans le paysage musical de son pays. À l’instar d’un Compay Segundo ou d’une Cesária Évora, il pratique son art comme il vit. Naturellement, en toute simplicité et sans arrière-pensées professionnelles. « Enfant et adolescent, je passais mon temps à chanter. J’étais inspiré par ma grand-mère maternelle, Aminata, célèbre griotte du quartier d’Akoko, à Bobo. Les gens ne cessaient de me complimenter. »
Sa carrière débute presque par hasard, à la fin des années 1970, entre son métier de couturier et ses vocalises, lorsqu’il est présenté par une amie à Abdoulaye « Djoss » Diabaté, leader du Super Mandé, groupe phare à cette époque. Démé y officie plus de sept ans comme choriste en Côte d’Ivoire avant de rentrer au Burkina. « Mon plaisir, c’est le micro. Je voulais chanter mes propres compositions. » À Ouagadougou, il se produit dans différents groupes comme l’Écho de l’Africa ou le Suprême Comenda, qui animent les nuits de la capitale.
Redoutable virus
Pur autodidacte, il n’hésite pas à se mettre à la guitare, plaquant des accords sur des textes simples qui chantent l’amour, l’amitié, la tolérance, les femmes, mais aussi ce qu’il assimile à des souffrances : l’exode, les Ivoiriens qui raillent « les « Burkinabêtes », ou ses amis assassinés au plus fort de la crise ivoirienne. « Si on n’a pas besoin de toi à gauche, tu pars à droite. Et si tu ne peux pas partir à droite, tu rentres dans ton pays. Il ne faut jamais oublier ses racines. »
Timide, voire effacé, sauf lorsqu’il empoigne sa guitare, Victor Démé s’étonne de son succès. Il s’en excuserait presque. « Il a eu comme une envie de laisser tomber », affirme Camille Louvel. Il faut dire que pendant deux ans un redoutable virus lui a rongé les gencives et a bien failli avoir raison de ses interprétations. Mais son entourage l’a convaincu de persévérer. Il y a là Louvel et les tenants du label Makasound, mais aussi le journaliste français David Commeillas (Vibrations, MuziqÂ), tombé sous le charme en 2006 lors d’un séjour au Burkina à l’occasion du festival Ouaga Hip Hop.
Un an plus tard, Démé enregistre une vingtaine de titres. En trois semaines. « C’était éprouvant, mais les résultats sont là », raconte-t-il. Sur sa lancée, il peaufine déjà un second album. « J’ai de nombreux textes dans les tiroirs. » En attendant, il est en tournée en Europe jusqu’à la fin de l’année. On pourra notamment l’entendre le 18 juillet au festival Les Suds, à Arles.
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