Pourquoi Habré tarde à être jugé
À la question du financement, qui est loin d’être réglée, s’ajoutent de nombreuses lenteurs au sein de la machine judiciaire. Le procès de l’ancien dictateur tchadien ne semble pas près de démarrer.
Deux ans jour pour jour après que le sommet de l’Union africaine de Banjul a donné mandat au Sénégal pour « juger, au nom de l’Afrique, Hissein Habré », celui-ci n’a toujours pas été traduit devant un tribunal. Nommé ministre de la Justice, son ancien avocat, Madické Niang, a demandé, aussitôt après sa prise de fonctions, le 14 avril, que son nouveau cabinet lui fasse un point sur le dossier Habré, avant de s’engager à organiser un procès diligent et équitable (voir J.A. n° 2467). Plus de deux mois après, on en est toujours au même point.
Ulcérées par le retard accumulé depuis que les victimes ont porté plainte en 2000, cinq organisations de défense des droits de l’homme, réunies au sein du Comité international pour le jugement d’Hissein Habré, ont adressé à Niang un courrier daté du 27 juin. « Nous sommes préoccupés de constater que l’amendement de l’article 9 de la Constitution n’est toujours pas adopté par le Congrès. Votre annonce d’organiser la nomination de juges d’instruction pour le procès avant le 7 juin semble rester lettre morte », lit-on dans cette correspondance au ton courtois mais ferme.
Si, en effet, l’Assemblée nationale a voté le 8 avril une modification constitutionnelle qui donne rétroactivement compétence aux tribunaux sénégalais pour juger les faits de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, le texte tarde à entrer en vigueur. Madické Niang avait pourtant affirmé que le chef de l’État, Abdoulaye Wade, a signé le 20 mai, sous ses yeux, un décret de convocation du Congrès. Il en a fait la confidence le 21 mai alors qu’il exposait le « bilan d’étape de la préparation du procès » aux ambassadeurs de France, du Royaume-Uni, du Portugal, de Suède et des Pays-Bas, aux représentants de la Raddho et de la FIDH, ainsi qu’à Kansoumbaly Ndiaye et à Me Abdoulaye Babou, membres respectivement du Sénat et de l’Assemblée nationale. Qu’est-il advenu de ce décret ?
Ce n’est pas tout. L’instruction peine à démarrer parce que les trois magistrats qui doivent s’en charger ne sont toujours pas désignés, et que la « mission préparatoire » – que le procureur général, Mandiogou Ndiaye, et quatre de ses substituts devaient effectuer au Tchad et en Belgique (où le dossier a déjà fait l’objet d’une information judiciaire) – attend d’être effectuée.
Comité de suivi
Maigre avancée : Ibrahima Guèye, 63 ans, anciennement juge d’instruction et président du tribunal de Dakar, a été nommé « coordonnateur » du procès, chargé de l’organiser et d’en gérer le financement. Pour l’appuyer, un comité de suivi et de communication de huit membres (avocats, experts en communication, fonctionnaires du ministère de la Justice.) a été mis en place. Celui-ci, toutefois, ne s’est pas encore réuni. Et Guèye semble faire du surplace, d’autant qu’il cumule sa nouvelle fonction avec la charge de président de chambre à la Cour de cassation.
Des obstacles encore plus coriaces se dressent sur la voie menant au procès. Le Comité international pour le jugement d’Hissein Habré les rappelle au garde des Sceaux dans sa lettre susmentionnée : « Permettez-nous d’attirer votre attention sur une étape qui nous semble essentielle pour la bonne préparation du procès et de son financement : la définition d’une stratégie de poursuite. Cette étape conditionne en effet toute l’organisation et le déroulement du procès en déterminant les actes pour lesquels Hissein Habré sera poursuivi. Le rapport des experts européens souligne clairement l’importance de ce choix et de la répercussion qu’il aura sur le budget et la tenue du procès. »
Après avoir séjourné à Dakar du 20 au 25 janvier 2008, une mission d’experts de l’Union européenne (UE), composée de Bruno Cathala, greffier de la Cour pénale internationale, et de Roelof Haveman, a rendu un rapport qui suggère au Sénégal de « réexaminer les hypothèses de travail retenues, et donc le budget prévisionnel ». Estimé par la Compagnie internationale de conseil et d’expertise (Cice Audit & Conseils) à 18,7 milliards de francs CFA (dont 12,3 milliards au titre des dépenses de fonctionnement et 6,4 milliards pour l’investissement), ce budget a été établi sur la base d’un procès qui durerait 60 mois, ferait appel à 500 témoins transportés, hébergés et dotés de per diem. À quoi s’ajouteraient les (généreuses) rémunérations de 25 magistrats et 11 greffiers : à titre d’exemple, un salaire mensuel de 3,5 millions de francs CFA est prévu pour chacun des deux procureurs, soit plus de trois fois le traitement attribué à ceux qui exercent cette fonction au Sénégal.
Quant au budget de fonctionnement, il prévoit 5,8 milliards pour la réhabilitation du palais de justice du cap Manuel, où sont censées se dérouler les audiences, 300 millions pour l’acquisition de véhicules, 244 millions de matériel informatique, de sécurité et de surveillance, 38 millions de matériel de bureau.
Pour atténuer les coûts et les délais, les émissaires de l’UE suggèrent d’organiser un procès portant sur un ou deux chefs d’inculpation seulement (comme celui de Saddam Hussein) et faisant appel à une centaine de témoins auditionnés, chacun, pendant quatre heures en moyenne.
Désoeuvré
La proposition ne laisse pas indifférents la France, la Suisse, la Belgique et les Pays-Bas, qui ont annoncé leur intention de mettre la main à la poche. Tandis que le Sénégal maintient son format, et, par la voix de son garde des Sceaux, qualifie le montant de 18,7 milliards de « plancher ». Pour les mobiliser, il inscrit à son budget de 2008. 1 milliard de F CFA. Quant à l’UA, sous les auspices de laquelle se tient le procès, elle n’a pas encore déboursé le moindre centime. Sans doute désoeuvré, le Béninois Robert Dossou, qu’elle avait désigné pour s’occuper du dossier, a accepté le poste de président de la Cour constitutionnelle dans son pays (voir ci-contre). Hissein Habré n’est pas près d’être jugé.
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