Pathé Dione

Fondateur de Sunu, le premier groupe d’assurance vie d’Afrique de l’Ouest, ce fils de militaire sénégalais dirige, depuis la France, un holding de quinze compagnies.

Publié le 7 juillet 2008 Lecture : 5 minutes.

Ce qui frappe d’emblée, c’est l’impression de sévérité hiératique que dégage cet homme longiligne de 67 ans. Une sévérité qu’accentuent ses grosses lunettes qui lui mangent le visage et la pipe dont il ne se sépare jamais. Tient-elle à l’influence de son père, ancien militaire de l’armée française avant que le Sénégal ne devienne indépendant ? Ou à sa formation initiale en mathématiques, une discipline qui ne se prête guère à la fantaisie ?
Quoi qu’il en soit, de la rigueur, il en a fallu à Pathé Dione pour construire en une dizaine d’années le premier groupe d’assurance vie d’Afrique francophone. Domicilié au Luxembourg mais dirigé depuis la région parisienne, Sunu (« notre », en wolof) coiffe aujourd’hui quinze sociétés d’assurances réparties dans neuf pays.

S’il est né à Dakar, en 1941, et y a poursuivi une bonne partie de ses études, c’est en France, où il a débarqué il y a plus de quarante ans, que Pathé a construit sa vie et sa carrière professionnelle. Cette dernière a commencé par l’enseignement des mathématiques, jusqu’au début des années 1970. Mais alors qu’il revient du Tchad, où il a travaillé pendant cinq ans dans le cadre de la coopération, le jeune homme décide de reprendre des études d’économie à l’université Panthéon-Sorbonne, qui le conduisent à une maîtrise et à un DEA, prolongés par une thèse de doctorat en 1980.
Entre-temps, en 1972, il a décroché un job aux Mutuelles du Mans. Un nouveau domaine d’activité auquel il prend goût rapidement, même s’il n’y exerce encore que des tâches subalternes. Ses employeurs l’encouragent donc à acquérir une formation spécifique. Ce sera l’École nationale d’assurances puis le Centre des hautes études d’assurances de Paris, qui forme des cadres de direction.
Au sortir de cet établissement, en 1979, il est embauché par un groupe américain, Cigna Corporation, qui le dépêche l’année suivante en Côte d’Ivoire pour y créer une filiale, Colina, qui non seulement existe toujours, mais est aussi, aujourd’hui, le principal concurrent de Sunu sur son marché africainÂÂÂÂ
Spécialiste des comptes, Pathé Dione n’est pas homme à oublier ses dettes. Il en a une à l’égard d’Yvette Chassagne, alors présidente de l’Union des assurances de Paris (UAP), qui, en 1984, le recrute comme directeur pour tout le continent africain. Une responsabilité que Pathé assume jusqu’en 1997, après qu’UAP eut été absorbée par Axa. « C’est là, confie-t-il, que je suis tombé sur un homme extraordinaire, Claude Bébéar. Il m’a pris en sympathie tout en manifestant une certaine reconnaissance pour le travail effectué. »
Comme l’Afrique ne fait pas partie des priorités d’Axa, qui a surtout des visées sur l’Asie, une idée germe dans la tête de Dione. Pourquoi ne pas créer une nouvelle société qui reprendrait les filiales africaines de l’ex-UAP ? Non seulement Claude Bébéar accède à sa demande, mais il accepte, en plus, d’apporter son assistance technique à Sunu, qui voit officiellement le jour en 1998. Immédiatement, les banques acceptent de lui prêter de l’argent. La qualité des relations que Pathé entretient avec le système bancaire, aussi bien en Europe qu’en Afrique, où il travaille en étroite collaboration avec des établissements tels qu’Ecobank et la Bank of Africa (BOA), est sans doute la clé de sa réussite. Ses liens avec les établissements financiers sont tels qu’il vient d’ailleurs d’être nommé administrateur dans la filiale ivoirienne de BNP Paribas.
Aujourd’hui, le groupe Sunu s’est étoffé, jusqu’à rassembler quinze compagnies, dont quatre dans la seule Côte d’Ivoire. Assisté d’une petite équipe de quatre personnes, Pathé Dione suit de près leurs opérations depuis la France, mais ne les dirige pas directement. Chacune d’entre elles a son directeur et son conseil d’administration. Précision d’importance : la quasi-totalité du staff, soit près de 800 collaborateurs, salariés et commerciaux exclusifs, est africaine. Le holding a clos son exercice 2007 avec un chiffre d’affaires de 78 millions d’euros et un bénéfice net distribuable de 5,4 millions d’euros. L’essentiel de ce résultat est consacré au désendettement de la société, qui sera achevé en 2011.
Les hasards de la vie ont fait que « Pat » – comme le surnomment ses amis – s’est établi à Saint-Maur-des-Fossés, coquette cité de la banlieue parisienne nichée dans une boucle de la Marne, où Senghor a enseigné à la fin des années 1930. La ville est jumelée avec Ziguinchor, la capitale de la Casamance. Son Sénégal natal n’est donc jamais loin de ses penséesÂÂÂÂ De toute façon, dès qu’il le peut, Pathé y fait le déplacement pour rendre visite aux membres de sa famille. Notamment à son frère Mamadou, colonel dans l’armée sénégalaise – ses deux autres frères ayant choisi comme lui de vivre en Europe, l’un en Allemagne, l’autre en Grande-Bretagne.

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De son père, décédé, que ses affectations ont conduit aux quatre coins de la planète, Dione a hérité le goût pour les voyages. Avec son épouse, Marie-Reine, d’origine nigérienne, il part régulièrement à la découverte de nouvelles contrées. Mais pour le reste, il faut le dire, l’ancien prof de maths mène une vie très rangée : après avoir longtemps pratiqué le karaté shotokan, il se contente aujourd’hui, si l’on peut dire, de diriger la fédération africaine de cet art martial et de regarder les matchs de foot à la télé. L’occupation de son temps libre l’éloigne, en fait, rarement de son métier. Abonné à de nombreuses revues d’économie, il suit de près tout ce qui touche à la finance et à la théorie monétaire. Sa connaissance en la matière lui vaut d’être invité à des conférences partout dans le monde.
Dix ans après le lancement de Sunu, Pathé Dione tire les premiers enseignements de son expérience. Il a notamment démontré que l’épargne existe bel et bien au sud du Sahara, et qu’elle peut être collectée. Le problème est plutôt dans le manque de places financières permettant d’investir dans des valeurs mobilières, selon lui. Ce qui n’empêche pas les sociétés de son groupe de gérer 200 millions d’euros d’actifs, entre les souscriptions d’emprunts d’État, l’achat d’obligations ou encore les prêts à des entreprises. Identifié comme un groupe d’assurance vie, Sunu compte développer, à l’avenir, son activité dans le domaine du dommage. Une extension au marché anglophone est également au programme.
Reste qu’avoir construit un groupe d’une telle envergure ne suffit pas à Pathé Dione. Il veut aussi en assurer la pérennité. Son objectif est en voie de réalisation depuis que son fils aîné, Karim, 32 ans, diplômé de HEC Montréal, l’a rejoint l’an dernier. Avec Sunu, l’une de ses filles a monté, quant à elle, une société de micro­finance au Sénégal. Alors Pathé se prend à espérer que ses trois autres enfants, à commencer par la cadette, qui poursuit des études d’expertise comptable, marcheront eux aussi sur les traces de leur père.

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