Mugabe-show à Charm el-Cheikh
Le Zimbabwe n’était pas au menu du 11e sommet de l’UA. Il n’a pourtant été question que de ce pays le 30 juin et le 1er juillet dans la station balnéaire égyptienne, où défenseurs et détracteurs du « Vieux Bob » se sont affrontés sans ménagement.
Il n’y en avait que pour lui. Le sommet de Charm el-Cheikh avait beau être consacré à l’eau et aux problèmes d’assainissement, il en a monopolisé les travaux. Robert Gabriel Mugabe, alias Comrade Bob, mal élu dans son pays deux jours auparavant, a été la star du 11e sommet de l’Union africaine, les 30 juin et 1er juillet.
Première pour le Gabonais Jean Ping, nouveau président de la Commission de l’UA ? Nul n’y a prêté attention. Dernière pour le Ghanéen John Kufuor, qui achève, dans quelques semaines, son second et dernier mandat ? Personne ne retiendra la standing ovation que lui ont réservée ses pairs en guise d’hommage. La sourde bataille que se sont livrée Égyptiens et Sud-Africains pour l’attribution du siège de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations unies que réclame l’Afrique ? Sans grand intérêt.
Officiels et journalistes, observateurs et lobbyistes n’avaient d’yeux que pour lui, guettant ses moindres faits et gestes, attendant vainement un signe de disgrâce. « Nous l’avons accueilli en héros », a affirmé le Gabonais Omar Bongo Ondimba, excédé par l’insistance des médias à l’interroger sur la présence de son homologue zimbabwéen.
Durant le huis clos qui précède traditionnellement la cérémonie d’ouverture des sommets, les chefs d’État ont manifesté leur agacement face aux pressions de toute part pour qu’ils excluent de leur « club » l’infréquentable Mr Mugabe. Jendayi Frazer, sous-secrétaire d’État américaine, était dans la salle pour « obtenir de l’Afrique qu’elle se démarque d’un dictateur ». Exilé à l’ambassade des Pays-Bas à Harare, l’opposant Morgan Tsvangirai avait demandé que « le siège réservé à [son] pays demeure vacant durant les travaux du sommet ». Jusqu’au Premier ministre kényan, Raila Odinga, qui en rajoutait une louche en sommant, depuis Nairobi, l’UA de refuser toute légitimité à Mugabe pour diriger la délégation zimbabwéenne.
Autant de pressions qui ont fini par braquer les chefs d’État. « Pas question de nous laisser dicter notre conduite » est le mot d’ordre qui fait le tour de la salle. Le sommet se déroule donc selon l’agenda prévu. Premier jour consacré aux thèmes retenus pour les travaux : « Objectifs du millénaire en matière d’eau et d’assainissement ».
Et Mugabe dans tout cela ? Tous ceux qui connaissent l’homme auront été surpris par une politesse et un sang-froid peu coutumiers. Chaleureux envers ses pairs qui l’ont félicité pour sa « victoire électorale », il n’a manifesté aucune animosité envers ses détracteurs. Il a même montré de la compassion à l’égard du président zambien, Levy Mwanawasa, victime d’un malaise cardiaque quelques heures avant l’ouverture du sommet. Président en exercice de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), Mwanawasa est l’un des premiers à avoir lâché Comrade Bob. On l’attendait arrogant, il a été courtois. On le croyait sur la défensive, il fut magistral, dans le sens pédagogique du terme. Voici, en substance, le déroulement du huis clos consacré au Zimbabwe.
Deux heures de débat
Nous sommes le 1er juillet, deuxième jour d’une réunion où vient de s’achever un long débat consacré à un sujet cher à Kadhafi : le gouvernement de l’Union. Posée par les pays membres de la Communauté des États sahélo-sahariens (Cen-Sad), la question passionne. Le débat s’éternise sur les problèmes de souveraineté nationale, de défense commune, de circulation des personnes et de partage des richesses.
Contrairement aux habitudes, les échanges sont moins polémiques et l’on parvient finalement à identifier les étapes : atteindre l’objectif (la création des États-Unis d’Afrique) passe par l’institution d’un gouvernement qui serait, en fait, un simple renforcement de l’exécutif, c’est-à-dire de la Commission de l’UA.
Tout le monde est presque soulagé du dénouement. Il est 15 heures. Ramtane Lamamra, le commissaire de l’UA à la Paix et à la Sécurité, entame la lecture de son rapport sur les conflits. C’est le dernier point à l’ordre du jour. À la suite du discours de l’Algérien débute un débat qui durera plus de deux heures.
Premier pays à lancer les hostilités, l’Angola. La délégation est dirigée par le Premier ministre, Fernando dos Santos, qui demande, à la lumière du déroulement de l’élection présidentielle au Zimbabwe, une prolongation du mandat de la SADC. Le vice-président du Botswana fait plus fort que l’Angolais. Il informe que son pays demande l’exclusion du Zimbabwe au titre des sanctions prévues pour les violations de l’ordre constitutionnel. Le Nigérian Umaru Yar’Adua s’éclipse, courageusement, de la salle pour laisser son chef de la diplomatie tailler en pièces le processus électoral du 27 juin.
Contrairement aux membres de sa délégation, visiblement outrés, Mugabe écoute religieusement les intervenants. Les manifestations d’hostilité sont reprises par deux autres dirigeants ouest-africains. La Libérienne Ellen Johnson-Sirleaf et son homologue sierra-léonais Ernest Koroma font un rappel des principes de l’acte constitutif de l’UA et exigent, à leur tour, l’exclusion de Mugabe.
C’est alors qu’intervient le premier soutien de Mugabe. L’Ougandais Yoweri Museveni s’en prend violemment à l’opposant Morgan Tsvangirai, qui « veut [leur] imposer une ligne de conduite ». Au passage, il s’étonne qu’un homme politique revendiquant le soutien d’un Zimbabwéen sur deux se réfugie dans une ambassade étrangère, alors qu’il pouvait être protégé par son propre peuple. Pourquoi n’a-t-il pas choisi une ambassade africaine ? ironise l’Ougandais, qui s’interroge également sur le refus de Tsvangirai de se présenter pour le second tour et sur ses relations avec les capitales occidentales : « Nous devons sérieusement réfléchir sur le financement des partis d’opposition dans nos pays pour éviter ce genre de mésaventures. »
Le Sénégalais Abdoulaye Wade prend la défense de l’opposant zimbabwéen. « C’est moi-même qui lui ai suggéré de ne pas se présenter au second tour, et ce pour éviter tout dérapage. J’en ai informé le président Mugabe, et il peut en témoigner. »
Comrade Bob opine du chef, puis sort enfin de son mutisme. « En préambule, j’aimerais rappeler au Premier ministre angolais que mon pays a organisé, depuis son indépendance en 1980, sept scrutins présidentiels. Chez vous, la dernière élection remonte à seize ans, si mes souvenirs sont bons. Je ne veux pas accabler le vice-président du Botswana et lui rappeler que son pays abrite et finance une radio semant la haine tribale dans mon pays. J’ai évoqué les nombreuses élections présidentielles dans mon pays. Elles n’ont jamais fait autant de victimes que le dernier scrutin en date au Nigeria, qui a vu la victoire de M. Yar’Adua. Quant à ceux dont la ligne de conduite est dictée par Londres [en référence au Liberia et à la Sierra Leone, NDLR], je me refuse de leur répondre. Vous me demandez de choisir M. Tsvangirai comme Premier ministre, et je vous apprends que je suis tenu par des réalités politiques dans mon pays. J’ai des partenaires et des alliés, je les consulterai. Quant au poids politique de l’opposition, les chiffres qui ont été communiqués sont fantaisistes, et plusieurs élus de l’opposition ont déjà rejoint mon parti. »
Délicate mission
Le Premier ministre éthiopien manque de s’étrangler : « Nous ne sommes pas ici pour faire le procès du président Mugabe ou celui de son rival. Nous sommes dans cette enceinte pour trouver une solution politique à une crise politique. Profitons du précédent kényan et tentons cette expérience au Zimbabwe. »
S’adressant directement à Mugabe, le Gambien Yahya Jammeh l’interpelle : « Vous ne pouvez dénier toute légitimité à un homme politique qui a réuni 47 % des suffrages et dont le parti est désormais majoritaire au Parlement. Partagez avec lui le pouvoir. »
Pour clore le débat, le Tanzanien Jakaya Kikwete, président en exercice de l’UA, propose un vote sur la résolution suggérant une prorogation du mandat de la SADC et de la médiation menée par Thabo Mbeki. Le chef de l’État sud-africain n’est intervenu à aucun moment. Il préserve sans doute ses forces pour la délicate mission qui l’attend du côté de Harare.
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