Le trésor d’Houphouët à l’encan

Afin de financer la restauration de l’hôtel Masseran, l’une des résidences parisiennes de l’ancien président, l’État ivoirien a vendu une partie du luxueux mobilier. Reportage.

Publié le 7 juillet 2008 Lecture : 6 minutes.

Que reste-t-il du patrimoine français de Félix Houphouët-Boigny ? Plus grand-chose après la vente par l’État ivoirien de la quasi-totalité des appartements, résidences et villas qui, comme celle de Marnes-la-Coquette, ont appartenu à l’ancien président. Et moins encore après la décision de Laurent Gbagbo de se séparer de la prestigieuse collection de meubles, bibelots et toiles de maître de l’hôtel Masseran, l’une des résidences parisiennes que « le Vieux » avait acquises auprès de la famille de Rothschild dans les années 1970.
Organisée à Fontainebleau le 29 juin par la maison Osenat, cette vente, qui a rapporté 7,5 millions d’euros au marteau (avant impôts et taxes qui représentent 20 % du total), a dispersé une centaine de lots. « Ce résultat dépasse nos espérances », explique Pierre Kipré, le nouvel ambassadeur de Côte d’Ivoire en France, resté sagement assis au premier rang pendant toute l’opération. Cette somme sera intégralement destinée à la restauration de l’hôtel Masseran, dont les façades, la toiture et les murs n’ont pas été entretenus depuis plusieurs années. Une fois les travaux réalisés, le bâtiment de 3 000 m2, Âoeuvre de l’architecte Alexandre Théodore Brongniart, fera office de résidence officielle des présidents ivoiriens en visite en France.

Au bout du fil
Hormis des toiles de Bernard Buffet (1928-1999), de Maurice de Vlaminck (1876-1958) ou de Pierre Bonnard (1867-1947), les Âuvres présentées durant plus de trois heures témoignent d’un intérêt certain pour le style Louis XVI. « Une époque aujourd’hui moins recherchée par les collectionneurs », reconnaît Jean-Pierre Osenat, commissaire-priseur.
Cela n’a pas empêché une forte affluence. Dans la salle, située non loin du château de Fontainebleau, quelque cent cinquante acheteurs potentiels font face à une estrade bordée de tentures de velours rouge. Au premier étage, une cinquantaine d’autres observateurs, amoureux d’art ou simples curieux, se contentent de contempler. « Il n’est pas fréquent d’assister à la vente d’un Renoir », confie l’un d’eux.
Majoritairement blancs et âgés, la plupart savent que ces objets ont circulé entre les glorieuses mains de la grande-duchesse Maria Pavlovna, du comte Étienne de Beaumont, mais aussi de la duchesse d’Orléans et du baron Gustave de Rothschild. Ils ignorent, en revanche, qu’il s’agit de la succession du père de l’indépendance de la Côte d’Ivoire. Le catalogue lui-même ne l’évoque pas. Il aura fallu une brève intervention introductive de maître Osenat pour le rappeler.
Dans la pièce, transformée en étuve faute de climatisation, les peintures sont accrochées à l’aile gauche, près d’une cohorte d’huissiers qui saisissent les objets avec précaution. À l’autre bout, huit collaborateurs de l’étude sont en contact téléphonique permanent avec leurs clients. « Il y a des Russes, des Américains et des Suisses », commente l’attachée de presse. Lorsque la salle ne parvient plus à couvrir les enchères, les regards se tournent vers cette table où l’on parle davantage anglais que français. Les lots les plus prestigieux sont enlevés par ces anonymes pendus au bout du fil. C’est le cas d’une commode en placage d’acajou moucheté de Jean-Henri Riesener (1734-1806), ébéniste attitré de Louis XVI, adjugée à 470 000 euros, de deux commodes du manufacturier italien Giovanni Maffezzoli (1776-1818) achetées 350 000 euros, et surtout d’une paire de bas d’armoire du XVIIIe attribuée à André-Charles Boulle (1642-1732), vendue 1,2 million d’euros.
Houphouët était-il un véritable esthète, ou un collectionneur dont les acquisitions étaient guidées par leur valeur marchande ? On ne le saura jamais. Reste que cette collection exceptionnelle ne comporte quasiment aucune faute de goût. Elle compte des vases en porphyre d’Égypte, des consoles, des tables en bois doré et en fine marqueterie, des tapisseries de la manufacture royale d’Aubusson, des fauteuils signés Georges Jacob (1739-1814) ou Adrien-Pierre Dupain, des guéridons de Denis-Louis Acellet (1735-1823), des pendules, des girandoles. Figurent également des pièces uniques comme ces deux coupes en agate datées de la fin du règne de Louis XV, adjugées à 320 000 euros. « La somme la plus élevée jamais atteinte pour ce type de pièces », se réjouit Jean-Pierre Osenat.

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« Vente de l’année »
Dans cette orchestration sur mesure, seuls trois lots commandés à la maison Van Cleef & Arpels détonnent. Certes, les deux célèbres béliers et l’éléphant en question ont été remarquablement travaillés, chacun dans plus de dix kilos d’or massif orné de plusieurs émeraudes. Mais ils tranchent avec la finesse d’autres bibelots. Ils ont pourtant emballé les enchères. Mis à prix 80 000 euros, ils partiront à plus de 150 000. Houphouët avait adossé Boigny (« bélier », en baoulé) à son patronyme, d’où la présence de nombreux objets à l’effigie de cet animal (bergères, guéridons, sculptures en jade, athéniennes en bronze doréÂ), qui trouveront eux aussi rapidement preneurs.
Le lot n° 39 était l’un des plus attendus puisqu’il s’agissait d’une toile de Pierre Auguste Renoir (1841-1919), La Femme au fagot. « Ce portrait est loin d’être l’un des meilleurs », commente maître Osenat en privé. Le commissaire-priseur ne s’attarde pas sur l’enchère. L’huile est vendue en cinq minutes par téléphone pour 1,8 million d’euros.
Au-delà des toiles de maître, l’intérêt de la journée aura surtout résidé dans la présentation d’une dizaine de commodes et de salons. L’un d’entre eux, monté en tapisserie fine d’Aubusson et estampillé Pierre Gourdin, est adjugé 150 000 euros. Il ne pourra quitter l’Hexagone car classé monument historique. Une table en console Louis XV cédée pour 35 000 euros a fait l’objet d’un droit de préemption. En d’autres termes, l’État français est prioritaire pour son acquisition. De ce droit, maître Osenat a une définition plus prosaïque : « Cela signifie que l’acheteur l’a dans le baba », lance-t-il au micro.
Ces rebondissements ne retirent rien à sa satisfaction d’avoir réussi « la » vente de l’année. Quant aux multiples rumeurs nées ces dernières semaines autour « de conditions nébuleuses » évoquées par Le Figaro, qui auraient persuadé des maisons comme Christie’s et Sotheby’s de se retirer du dossier, elles n’entament pas sa sérénité. Pas plus que la volonté d’Hélène, l’une des filles adoptives d’Houphouët, de contester le bien-fondé de la propriété des objets vendus, ces derniers faisant partie, selon elle, de son héritage. « Concernant l’article du Figaro, je me réserve un droit de poursuite, affirme maître Osenat. Pour ce qui est des allégations de Mme Houphouët-Boigny, j’ai été approché et mandaté par l’État ivoirien après une procédure totalement transparente. Mon étude a été retenue parce qu’elle était la meilleure. Si [elle] conteste la propriété de la collection, elle pouvait me contacter. La vente aurait même pu être annulée. Or je constate qu’elle n’a strictement rien fait. »
L’ambassadeur Kipré est plus explicite encore : « Il faut que notre sÂur se calme ! Tout ce qui a été vendu aujourd’hui appartenait à l’État de Côte d’Ivoire. ÂLe Vieux a cédé ses biens par voie testamentaire. »
Les remous autour de la succession du président décédé en décembre 1993 ne sont donc pas terminés. « L’État Ivoirien n’a à ce jour produit ni titre de propriété, ni titre de cession à son endroit, ni preuve d’achat pris sur les deniers de l’État par feu mon père », explique notamment Hélène Houphouët-Boigny sur son blog, qui évoque « un grand vol organisé » (http://succession-mr-f.houphouet-boigny.over-blog.net). Seule certitude, quelle que soit la légitimité ou la teneur de leur combat, les descendants du « Bélier de Yamoussoukro » ne pourront plus faire valoir aucun droit sur le trésor dispersé à Fontainebleau.

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