Le Nigeria peine à confirmer

Réforme bancaire, euphorie boursière, investissements colossaux dans la téléphonie et légers progrès dans la lutte contre la corruption, le président Obasanjo avait remis le pays dans le sens de la marche. Son successeur, Yar’Adua, a du mal à suivre, et l

Publié le 7 juillet 2008 Lecture : 7 minutes.

C’était il y a dix ans. En juin 1998, après cinq années ubuesques à la tête de l’État, le général nigérian Sani Abacha succombe à une crise cardiaque. Sa mort est providentielle pour l’économie du premier producteur africain de pétrole : elle sonne le glas de plus de vingt-cinq ans de régimes militaires successifs qui ont instauré la kleptocratie et la corruption en modes de gestion, dilapidé les recettes de l’or noir – sous le régime d’Abacha, 5 milliards de dollars auraient été détournés ; près de trois fois plus l’auraient été sous celui de son prédécesseur, le général Ibrahim Babangida -, étouffé l’initiative privée et radié le pays des plans des investisseurs, à l’exception des compagnies pétrolières. En 1998, quarante ans après le début de l’exploitation des hydrocarbures, les 100 millions de Nigérians (ils sont 140 millions aujourd’hui) vivent plus mal qu’à l’indépendance. La dette extérieure, 30 milliards de dollars, équivaut au produit intérieur brut (PIB). Les pénuries d’essence et d’électricité sont légion. L’entreprise privée piétine. Le pays est isolé sur la scène internationale. Une décennie plus tard, le Nigeria reste un marché risqué, où les obstacles aux affaires sont nombreux. Mais il est convoité.
Dans les rues de Lagos, les opérateurs de téléphonie mobile se battent aujourd’hui à coups de promotions. Pour eux, le Nigeria, avec ses 140 millions de consommateurs potentiels (le pays est le plus peuplé du continent), est une nouvelle frontière. En 2001, quand V-Mobile – devenu Celtel -, adjudicataire, en 1999, de la première licence GSM, lance ses activités, le pays compte 266 000 lignes mobiles. Fin 2007, elles sont 55 millions. Cette croissance mirobolante, relayée par des perspectives tout aussi enthousiastes (+ 20 % entre 2007 et 2012), attire les investissements étrangers dans le secteur : leur montant total, en 2007, s’élève à 11,5 milliards de dollars, contre 8,15 milliards en 2006. Quatre opérateurs se battent pour profiter de ce marché encore loin de la saturation : le sud-africain MTN, leader, les nigérians Globacom et M-tel et le panafricain Celtel appartenant au koweïtien MTC. Le pays, s’il offre de faibles marges (70 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté), permet de vendre de gros volumes et de réaliser des économies d’échelle.

Le pouvoir civil aurait pu mieux faire
Les opérateurs mobiles comme les autres investisseurs trouvent également au Nigeria un système bancaire performant. Exemple, Globacom et le français Alcatel, son partenaire technique, ont signé en 2007 un contrat de 600 millions de dollars pour améliorer et étendre le réseau. Ces capacités de financement sont le résultat d’une profonde réforme, engagée en 2004 : les banques sont trop nombreuses (le pays en compte alors 89) et leurs capitaux trop faibles pour jouer leur rôle de moteur économique, diagnostique Charles Soludo, le gouverneur de la Banque centrale. Il augmente le capital minimum – multiplié par 12, il est fixé à 190 millions de dollars – et donne aux banques dix-huit mois pour s’y conformer. Au 31 décembre 2005, il ne reste plus que 25 enseignes au Nigeria. Chacune d’elle affiche un capital de 1,2 milliard de dollars au moins, soit plus de six fois le minimum requis. Un grand ménage, qui entraîne le développement du crédit : en avril 2004, le total des crédits engagés dans l’économie nationale s’élève à 11,6 milliards de dollars, contre 55,3 milliards en avril dernier. Si, d’après Charles Soludo, le secteur bancaire continue de souffrir d’un manque de main-d’oeuvre qualifiée et d’une observation approximative des règles de gouvernance, il est devenu attractif : c’est aujourd’hui 61 % de la capitalisation du Nigerian Stock Exchange (NSE).
Moribonde il y a dix ans, la Bourse de Lagos enregistre des performances à rendre jalouses ses consoeurs occidentales, frappées par la crise des subprimes. Entre 2004 et 2007, sa capitalisation a été multipliée par 4, passant à 98 milliards de dollars. Et, rien qu’en 2007, elle a presque doublé. Au total, 212 sociétés sont cotées. Certaines affichent des price/earnings ratios (PER, rapport entre le cours de Bourse et les bénéfices) proches de 10, quand la moyenne (à secteur comparable) est de 6 en Europe. Une génération d’entrepreneurs privés milliardaires est apparue (dont la réussite est aussi due à leur proximité avec le pouvoir) : Mike Adenuga, à la tête de l’opérateur mobile Globacom, qui vient de démarrer ses activités au Bénin et se lance au Ghana, ou Aliko Dangote, tout à la fois dans les industries du sucre et du ciment, pour beaucoup l’homme le plus riche du pays.
Mais la floraison du secteur privé s’inscrit dans une conjoncture favorable dont n’avait pas bénéficié la junte de Sani Abacha. À sa mort, les cours du pétrole, qui constitue le plus gros morceau du PIB (40 %) et des exportations nationales (90 %), sont au plus bas, aux alentours de 10 dollars le baril. En 1998, les revenus de la vente d’or noir atteignent péniblement 9 milliards de dollars. Fin 2007, grâce à la flambée des cours, ils s’élèvent à 70 milliards, continuant une progression entamée en 2003. Autant de devises étrangères qui dopent l’économie et permettent à l’État d’assainir sa situation financière : en octobre 2005, le Club de Paris accorde à Abuja une annulation de 60 % de sa dette – soit une « ristourne » de 18 milliards de dollars.
Le signal est positif pour les investisseurs étrangers pour qui, sous Abacha, il était impensable de faire des affaires avec un régime sous le poids de sanctions internationales (à la suite de l’exécution par pendaison, en 1995, de l’écrivain et activiste Ken Saro-Wiwa, qui dénonçait les méfaits de l’exploitation pétrolière sur la région de l’Ogoniland, dans le sud du pays). Le regain tient aussi au volontarisme politique . À partir de l’accession au pouvoir d’Olusegun Obasanjo, en 1999, un programme de libéralisation économique et de privatisations est mis en place par une équipe de fortes têtes : notamment Charles Soludo à la Banque centrale, Ngozi Okondjo-Iweala aux Finances, Nuhu Ribadu à la Commission de lutte contre le crime économique et financier (EFCC).
Le pouvoir civil, panacée à tous les malaises de l’économie nigériane ? Trop simple, comme l’inverse : sous le règne du « kaki », quelques jalons ont été posés. « Le régime Abacha avait une vision et des objectifs économiques, reconnaît Emmanuel Igah, docteur en géographie économique à Lagos. Il a stabilisé les taux de change, ce qui permettait de planifier les affaires à court et à moyen terme. Le projet de réforme bancaire qui vient d’être accompli a émergé quand il était chef d’État. En revanche, attirer les investissements étrangers hors pétrole était impossible pour le régime, compte tenu des sanctions. »
Et, après près de dix années de pouvoir civil, les ornières sont encore nombreuses. « Aucun entrepreneur n’a intérêt à venir s’installer au Nigeria », déconseille carrément un diplomate occidental, à Lagos. Premier surcoût : la corruption, qui, si elle est moins répandue qu’il y a dix ans, reste quotidienne. Autres surcoûts : l’insécurité, dans toutes les régions du pays, qui implique le recours à des sociétés de gardiennage onéreuses ; les coupures d’électricité, plusieurs fois par jour, qui imposent de posséder des groupes électrogènes ; le mauvais état des routes, qui allonge les délais d’acheminement. Un salarié de l’usine d’assemblage Peugeot de Kaduna, dans le nord du pays (dont le constructeur est actionnaire à 10 %), évalue à 25 % le surcoût global. « Oui, les indicateurs macroéconomiques se sont vraiment améliorés, témoigne le patron d’une moyenne entreprise, dans l’industrie. Mais pour nous, le travail au quotidien est toujours aussi compliqué et la rentabilité incertaine. » En janvier 2007, le français Michelin a mis un terme aux activités de son usine de production de pneumatiques de Port Harcourt, dans le delta du Niger. Officiellement, ce retrait s’inscrit dans une révision de la stratégie internationale du groupe. Mais il est bien sûr lié à la dégradation de la situation sécuritaire dans la région, où des employés des compagnies occidentales, pétrolières surtout, sont kidnappés puis libérés en échange de rançons qui, d’après un diplomate, s’élèveraient en moyenne à 1,5 million de dollars. Tel homme d’affaires nigérian se souvient d’une entreprise parapétrolière européenne qui avait prévu de s’implanter dans la région et qui, après une visite en 2006, s’est finalement ravisée.

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Baisse de la production pétrolière
L’insécurité dans le delta est la plus grosse épine plantée dans le pied du géant nigérian. Régulièrement, ces mêmes miliciens attaquent les installations et prennent d’assaut les plates-formes. Leur revendication : un meilleur partage des richesses de l’or noir qui gît dans le sous-sol du delta. Chronique, le conflit donne une image désastreuse à l’étranger et rebute les investisseurs. Autre effet, très concret : depuis 2005, la production est passée de 2,5 millions de barils par jour à 1,8 million. Résultat : en avril dernier, le pays a été déchu de son rang de premier producteur de pétrole africain, doublé par l’Angola. Au lendemain de son élection, il y a plus d’un an, Yar’Adua a promis l’organisation d’un sommet pour trouver une solution. Mais il n’est toujours pas passé à l’action. Le fera-t-il ? Difficile à dire : le chef de l’État jouit d’une réputation immaculée il n’est pas militaire et a géré avec honnêteté l’État dont il était gouverneur – mais, autour de lui, on ne trouve pas d’hommes forts en gueule et hyperactifs comme ceux dont avait su s’entourer son prédécesseur. Le ministre des Finances, Shamsudden Umar, ancien numéro deux de la Banque centrale, ne se distingue pas par son charisme. « C’est un bon fonctionnaire », résume, ironique, un observateur. Obligé de remercier ceux qui l’ont porté au pouvoir, le chef de l’État s’est plus préoccupé de sa légitimité politique que du malaise économique. Les Nigérians, eux, attendent toujours le grand soir. Certains d’entre eux se demandent même quelle est vraiment la différence entre gestion civile et militaire des affaires, quand ils voient que, en huit ans d’administration Obasanjo, 16 milliards de dollars ont été affectés au secteur de l’électricité et que les pannes de courant sont toujours aussi nombreuses. « Le pire des régimes civils est toujours meilleur que le meilleur des régimes militaires, économiquement aussi », se console un journaliste, à Lagos.

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