Le joker israélien

Publié le 7 juillet 2008 Lecture : 7 minutes.

Dans mon dernier Ce que je crois, j’avais promis d’exposer cette semaine les raisons pour lesquelles le bombardement des installations nucléaires iraniennes me paraît non pas un bluff, comme on a tendance à le croire, mais une menace sérieuse et qui pourrait se réaliser avant la fin de cette année.

Je rappelle que les pays arabes ayant été mis (ou s’étant mis) hors combat, il ne reste plus au Moyen-Orient – la Turquie se tenant à l’écart – que deux puissances non arabes qui s’en disputent âprement le leadership : une très vieille nation, l’Iran, et un tout jeune pays, Israël.
Ils sont aussi dissemblables qu’on peut l’être, et engagés – depuis trente ans – dans une lutte sans merci.
Avec la complicité de la France et des États-Unis, Israël est, depuis quarante ans, une puissance nucléaire ; il dispose de quelque 300 bombes et pourrait les utiliser contre tout adversaire de la région.
Quant à l’Iran, il veut – à tout prix et en courant tous les risques – le suivre sur cette voie. Pour combler le fossé qui le sépare encore de son rival, pour être respecté et entrer dans la cour des grands, pour dissuader ce rival – et les États-Unis – de l’attaquer.

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L’actuel président des États-Unis, George W. Bush, et son vice-président, Dick Cheney, étaient déterminés à empêcher l’Iran « d’avoir la bombe » et même d’acquérir le savoir-faire pour la fabriquer. Depuis qu’il est apparu que leur successeur possible, voire probable, s’appelle Barack Obama (dont chacun sait qu’il n’est pas et ne pense pas comme eux), leur détermination a tourné à l’obsession.
Mais, fort heureusement pour la paix mondiale, aux États-Unis, un président sur le départ ne peut pas, sauf extrême et urgente nécessité, engager son pays dans une aventure militaire : ni le secrétaire à la Défense ni les généraux ne lui obéiraient ; la presse, le Congrès et le système judiciaire feraient barrageÂÂ
G.W. Bush et Dick Cheney sont-ils pour autant condamnés à ronger leur frein, à laisser passer cette occasion de réaliser leur obsession et d’écrire un chapitre de l’Histoire ?
Non, car ils ont le joker israélien, et ce dernier dispose d’une « fenêtre de tir ». Regardons de plus près.

Le gouvernement actuel de l’État d’Israël a en effet de nombreuses raisons « d’y aller ». Et presque aucune de s’abstenir.
La liste des raisons israéliennes pour bombarder l’Iran est impressionnante. Faute de place, je n’en passerai en revue ci-dessous que les plus évidentes.
1- Les militaires israéliens ont à leur actif une longue série de raids risqués et à long rayon d’action pour des objectifs petits ou grands : à Entebbe (3-4 juillet 1976), à Beyrouth (9-10 avril 1973), à Tunis (1er octobre 1985), en Argentine (11 mai 1960).
Le 7 juin 1981, l’aviation israélienne a bombardé, à 30 km de Bagdad, le réacteur nucléaire irakien Osirak ; le 6 septembre dernier, une installation militaire syrienne a subi le même sort, sans que personne ne proteste, pas même les bombardés.
L’aviation de l’État hébreu vient de procéder, en pleine Méditerranée, à une répétition générale de l’opération qu’Israël menace de mener en Iran.

2- Bien qu’ils aient violé toutes les lois internationales, ces raids n’ont jamais suscité de réaction hostile susceptible de dissuader leurs auteurs de recommencer : la plupart des grandes puissances les ont soit approuvés, soit tolérés. Idem pour l’opinion publique internationale.
En Israël même, de telles prouesses ont déclenché des réactions de fierté et de satisfaction. Les dirigeants qui ont eu le culot de les ordonner en ont retiré de la gloire et, sur le moment, un bénéfice politique.

3- Les actuels dirigeants politiques de l’État hébreu et leurs généraux sont, sans exception connue, favorables à un bombardement de l’Iran. Ils jugent le moment propice et estiment de leur devoir d’en profiter, « avant que l’Iran n’ait franchi le cap ou qu’un nouveau président américain ne [les] en empêche ».
Ils se prévalent de ce qu’ils appellent « la doctrine Begin », selon laquelle Israël ne laissera en aucun cas se mettre en place une dissuasion nucléaire dans « sa » région.

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Leurs déclarations sont d’ailleurs sans ambiguïté, et ils pourront même nous dire : nous vous avions prévenus !
Shaul Mofaz, ancien chef d’état-major, ancien ministre de la Défense et actuel vice-Premier ministre, a déclaré le 9 juin, il y a un mois :
« Si l’Iran poursuit son programme de mise au point d’armes nucléaires, nous l’attaqueronsÂÂ Les sanctions se révèlent inopérantes. Nous n’aurons pas d’autre choix. »
Un général d’aviation, Isaac Ben Israël, a précisé dans une déclaration à l’hebdomadaire allemand Der Spiegel :
« Le bombardement des installations nucléaires iraniennes est plus difficile que celui que nous avons exécuté en 1981 sur le réacteur irakien et auquel j’ai participé. Mais il est possible, et nous pouvons le faireÂÂ »
L’un et l’autre disent tout haut ce que pensent tout bas le Premier ministre Ehoud Olmert, le ministre de la Défense Ehoud Barak, sa collègue des Affaires étrangères Tzipi Livni et le chef de l’opposition Benyamin Netanyahou.
Ces quatre derniers songent, en outre, au bénéfice politique qu’ils ne manqueraient pas d’en retirer.

4- Selon les experts militaires que j’ai pu consulter, les Israéliens situent la « fenêtre de tir » à l’intérieur de l’année 2008 :
– avant que les Iraniens aient enrichi assez d’uranium pour leur première bombe
– et avant qu’ils aient reçu et installé le SA20 russe qu’ils ont acheté pour mieux assurer la défense de leur espace aérien et pourÂÂ protéger leurs installations nucléaires d’un bombardement.

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5- Les déclarations enflammées des dirigeants iraniens – ils répètent que leurs ripostes à un bombardement seraient si dévastatrices qu’elles dissuadent d’avance toute attaque, que les Israéliens et les Américains ne font que bluffer – cachent mal leur vulnérabilité et leurs inquiétudes.
Nous avons d’ailleurs dépassé le stade de la guerre psychologique ; la marine militaire américaine a déjà pris toutes les dispositions pour empêcher l’Iran de mettre à exécution sa menace la plus grave : bloquer le détroit d’Ormuz, par lequel passe 40 % du pétrole de la région.
Le monde entier saura gré aux Américains de faire en sorte que la route du pétrole ne soit pas coupée !

6- Les alliés de l’Iran – Syrie, Hezbollah et Hamas – sont tous les trois en négociation avec Israël et ont beaucoup à perdre – le Golan pour la Syrie – s’ils décident de les interrompre pour porter secours à leur allié.
7- Les États-Unis sont en campagne électorale jusqu’au 4 novembre et l’Europe est – par chance pour l’État hébreu – dirigée par des hommes et des femmes fervents amis et soutiens inconditionnels d’Israël.
Ses quatre plus grands pays ont pour chefs : Nicolas Sarkozy, Silvio Berlusconi, Angela Merkel, Gordon Brown. Tous les quatre seront contents de voir l’Iran humilié. Et s’ils en arrivent à déplorer un éventuel bombardement, ce sera du bout des lèvresÂÂ
La liste des raisons israéliennes de se dévouer « pour faire le sale boulot », de prendre la tête de « la lutte contre la prolifération nucléaire » est beaucoup plus longue, mais la place me manque pour les examiner toutes. Sachez seulement qu’elles font de cet acte de guerre une menace vraisemblable.
Ce sont les quatre mois qui nous séparent encore de l’élection américaine qui me paraissent les plus dangereux, car, au-delà du 4 novembre, les dirigeants israéliens devront informer le président américain élu et obtenir son accord.

Les Israéliens, adeptes de la surprise, oseront-ils frapper au mois d’août, alors que l’attention du monde – et des Iraniens – sera concentrée sur les jeux Olympiques ? Ou le feront-ils juste avant ?
Ou bien préféreront-ils le mois de septembre et le début d’octobre, qui coïncident avec le ramadan et les fêtes juives ? Souvenez-vous de 1973 et de la « guerre du Kippour » (ou du Ramadan)ÂÂ
Au-delà, ce sera encore possible pour trois ou quatre semaines, avant que ne se referme la fenêtre de tirÂÂ

Il se peut aussi qu’il ne se passe rien, soit parce que les dirigeants israéliens n’auront pas osé, soit parce leurs militaires n’étaient pas prêts, soit parce qu’un événement de politique intérieure a mis son grain de sable dans la machine.
Il se peut aussi que l’Iran, pays de grande tradition diplomatique, décide, à la onzième heure, de « désamorcer la bombe ». C’est d’ailleurs son intérêt le plus évident.
Il lui suffit de déclarer qu’il accepte de négocier sérieusement l’avenir de son programme nucléaire sur la base de la dernière offre que les six (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité plus l’Allemagne) viennent de lui faire.
Ali Akbar Velayati, ancien ministre des Affaires étrangères et proche conseiller du Guide de la révolution iranienne, vient de dire qu’elle est « acceptable en principe ».
Il a ajouté, très intelligemment :
« Les États-Unis et Israël – à l’inverse des Européens – veulent nous isoler, faire croire que nous sommes infréquentables et ainsi nous exposer aux sanctions, aux menaces militaires. Ils souhaitent nous voir continuer à refuser de négocier sur la base de ce qu’on nous propose. Notre intérêt est donc d’accepter la négociation. »
Il y a, vous le voyez, un rayon de lumière assez fort pour percer les sombres nuéesÂÂ

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