Tunisie : Sfax, couvrez ces déchets que je ne saurais voir

Face à la crise des déchets qui frappe Sfax, les responsables se renvoient la balle et n’ont d’autre parade que des solutions à court terme.

Amoncellement de déchets dans une rue de Sfax. © HOUSSEM ZOUARI/AFP

Amoncellement de déchets dans une rue de Sfax. © HOUSSEM ZOUARI/AFP

Publié le 10 novembre 2021 Lecture : 3 minutes.

Depuis quarante jours, la deuxième ville de Tunisie, Sfax (Centre Est), suffoque et croule sous les déchets. Une crise qui a atteint son paroxysme le 7 novembre avec un soulèvement populaire et des affrontements à Agareb, localité située à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Sfax, qui refuse la réouverture de la décharge d’El-Guenna, dont elle a obtenu la fermeture en 2019 par un jugement.

Les protestataires estiment que ce centre de traitement des ordures leur a occasionné de nombreux problèmes de santé et qu’il faut s’en tenir à la sentence des magistrats.

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Le précédent de Djerba

Les autorités tunisiennes, dont le ministère de l’Environnement, ont fait fi de la décision judiciaire et souhaitent que le site accueille les ordures de Sfax, au moins à titre temporaire. Elles ont même suggéré qu’une décharge sauvage soit installée dans le voisinage de l’oliveraie de Chaal, la plus vaste d’Afrique.

« À vouloir éteindre un feu, ils en allument d’autres, encore plus dommageables. Il ne manque plus à notre région qu’une contamination de la nappe phréatique », s’emporte un régisseur du domaine oléicole de Chaal.

Des décisionnaires de l’environnement pris au dépourvu et un service public totalement paralysé : ce n’est pas la première fois que pareille situation se produit depuis la révolution de 2011.

Oubliée de tous, la crise similaire qui a immobilisé l’île de Djerba en 2014 après la fermeture de la décharge contrôlée de Guellala a été simplement « résolue » avec l’exploitation d’une décharge sauvage à Telbet, à quelques kilomètres d’une zone industrielle où 15 hectares avaient été attribués au développement d’un centre de traitement, de valorisation et de recyclage des déchets et de production d’énergies renouvelables. Le projet est encore dans les cartons sans que les études aient abouti.

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« La situation actuelle peut provoquer la même crise qu’en 2014 », selon le maire de Houmt Souk (Djerba), Houcine Jared. Qui rappelle que « les municipalités sont chargées de la collecte des déchets qu’elles déposent auprès d’un centre de transfert de l’Agence nationale de gestion des déchets [Anged], laquelle pourvoie à leur transport et enfouissement. »

Sur le papier, la politique publique privilégie la valorisation et le recyclage des déchets à l’enfouissement. Mais cela reste un vœu pieu et le problème des ordures devient endémique. Raouf Ellouze, agriculteur et acteur de la société civile, s’indigne : « Le problème des déchets est à l’image de la situation du pays. Les Anged ne servent à rien d’autre qu’à entretenir des ronds de cuir. Depuis 2007, aussi bien la société Eolia que la ville de Grenoble [jumelée avec Sfax, NDLR] ont tenté de sensibiliser les autorités locales au traitement et à la valorisation des déchets. »

Loin de considérer qu’il s’agit d’un problème de gouvernance, Kaïs Saïed y voit plutôt l’effet d’actions malveillantes

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Mais là encore, rien n’a été fait et la municipalité de Sfax, malgré ses plus de 260 000 habitants, n’a pas anticipé la crise, qui pourtant était prévisible au vu de l’abandon et du délabrement progressif de la ville la plus productive de Tunisie.

« Tunis ne saurait prétendre traiter seul la gestion des déchets, il s’agit d’un service de proximité et c’est de fait une question de développement local. Les communes devraient prendre les choses en main », commente Samir Meddeb, consultant en environnement et développement durable. Aujourd’hui, la crise d’Agareb illustre les défaillances des politiques publiques.

Difficile pourtant d’admettre que l’État, aussi démuni soit-il, en est réduit à user de violence et à envoyer en première ligne les forces de l’ordre pour contenir la colère des habitants d’Agareb. « C’est inadmissible », assène Romdhane Ben Amor, porte-parole du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), qui estime que l’action collective est essentielle pour les territoires.

De son côté, loin de considérer qu’il s’agit là d’un problème de gouvernance, le président Kaïs Saïed y voit plutôt l’effet d’actions malveillantes, au risque d’alimenter la polémique. Il assure ainsi que « certains refusent de ramasser les déchets pour noyer la Tunisie sous les poubelles ».

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